Le romancier Philippe Vilain défend le style, paradis perdu de la littérature contemporaine.

Même s’il s’en défend, Philippe Vilain s’inscrit avec cet essai dans tout un courant décliniste et réactionnaire, dès qu’il s’agit de juger de la valeur de la littérature contemporaine, comme en témoigne la critique du « présentisme » qui la caractériserait. D’où le titre de la première partie, « Pourquoi liquider les classiques ? » : « Cette littérature […] produit le nihilisme qu’elle stigmatise en assurant naître de rien, ex nihilo, en ne se reconnaissant ni origine ni héritage ni lignage, en récusant un passé glorieux dont elle se borne à penser l’obsolescence. » Voltaire, Proust ou Sartre ne sont plus des modèles, ils ont été remplacés par « des idoles à bon marché, […] du sacré discount dans le supermarché du quotidien ».

 

C’est la faute à Rousseau ou presque, du moins à « ce que Tocqueville nommait l’“abaissement des âmesˮ propre à l’émergence du phénomène démocratique ». La littérature est désormais « post-réaliste », elle voue un « véritable culte au réel », et s’est emparée de l’événement à la suite des médias. « Le post-réalisme entretient le culte de la littérature pour le réel naturel, historique ou social, en lui assignant de nouvelles prérogatives ; il se charge d’explorer une nouvelle dimension du réel, sa troisième, non plus en le figurant à la manière d’un Balzac, ni même en le sublimant à la manière d’un Breton, mais en investissant subjectivement le réel pour le réinventer, en réécrivant sa mythologie personnelle (autofiction), les mythologies collectives (biofiction), en faisant de la littérature le lieu d’un immense reportage de l’actualité, en alimentant une documentation fictive du monde (docufiction). »

 

La littérature n’est donc plus une aventure intérieure et n’admet plus les héros indécidés. Soumise à la loi du marché, elle fournit « des travers ou des politiciens, des ingénieurs ou des cadres supérieurs, des communicants ou des entrepreneurs, des tyrans ou des criminels, des hommes pressés ou des femmes actives, des ambitieux et des carriéristes, des connectés et des déterminés, agissant sur leur destin et leur petit monde. »

 

Ce qui manque surtout à la littérature contemporaine, selon cet essai qui a souvent le ton d’un pamphlet, c’est le style, défini comme la « forme d’expression accomplie qui permet la synthèse de la maîtrise technique et de l’expression d’une personnalité ». Philippe Vilain attribue ce manque de style à « l’art français de ne plus écrire », qu’il analyse même dans un développement intitulé « petite fabrique du désécrire », comme si le néologisme faisait preuve. Il s’agit d’une littérature « sans nécessité, sans goût, ni bien ni mal écrite, […] rédigée plutôt ». C’est qu’elle « s’est moins proustisée que célinisée ». L’expression, l’oralité et l’émotion l’emportent sur le travail de la langue et de la mémoire qui pouvait offrir une « vision du monde par sa forme » .

 

Maintenant que tout lecteur peut donner son avis sur son blog ou sur les forums, on assiste à l’« érosion de la critique légitimante », celle des universitaires et des journalistes, bref les clercs de l’entre soi, et il faudrait pour éclairer le bon peuple instaurer des appellations d’origine contrôlée, comme pour le vin ou le fromage, sur les couvertures des livres dans les supermarchés, et établir le prix des livres en fonction de leur valeur littéraire réelle, comme le suggère le dernier chapitre : « Toute valeur a un prix ». Il s’agit sans doute d’humour, mais on a connu comique plus léger et surtout plus généreux.

 

Dans un essai précédent, Philippe Vilain citait les mémoires de master écrits sur ses livres. Il indique ici, dans la liste de ses « essais », « Le paradoxe de l’écrivain » dans Philippe Vilain, ou La dialectique des genres, sous la direction d’Arnaud Schmitt et Philippe Weigel. Cet auteur, qui a fait son entrée dans la littérature en 1997 grâce à un récit assez indélicat sur sa relation avec Annie Ernaux, semble faire feu de tout bois et avoir pour idéal sa propre littérature