Ce recueil d'articles développe une réflexion sur l'art à partir d'un impensé pourtant essentiel de la relation esthétique : l'exposition.

Sous un titre à la Jean-Luc Godard, cet ouvrage donne à lire des recherches qui complètent avec bonheur tout un pan de l’histoire culturelle des arts, néanmoins sous un angle fortement institutionnel.

 

Au moment où l’art contemporain ne cesse de revenir sur la question de l’exposition pour en modifier non seulement les fondations mais aussi les exemplifications ; au moment où, dans les écoles d’art, les étudiants ne cessent de tenter d’échapper à ce qu’on appelle traditionnellement l’exposition, par des accrochages, des déambulations, des performances, des interventions sur Internet, des usages du Smartphone, etc., et où des étudiants-chercheurs interrogent l’histoire de l’exposition; Au moment où a contrario les politiques culturelles (des autorités nationales et régionales)   multiplient les expositions vis-à-vis du « grand public », cet ouvrage offre une perspective complémentaire, quoique exclusivement centrée, dans son esprit, sur l’expérience institutionnelle du Centre Pompidou.  

 

Ce recueil d'articles, tiré d'un colloque en 2013, concerne presque exclusivement l’exposition devenue autonome, à partir du XX° siècle. Les articles sont proposés dans leur langue originale, anglaise et française, dessinant un espace de réflexion européen (voire international) minimal. Le projet des auteurs consiste à proposer une méta-exposition de l’exposition d’art, un acte réflexif sur cet aspect des « choses de l’art », dont l’ampleur est trop restreinte.

 

En tête d’ouvrage, une question : Qu’est-ce que peut apporter un point de vue réflexif sur l’histoire des expositions ? Cette question est ancrée dans le constat selon lequel la dernière Biennale de Venise a fait de l’exposition un sujet vendeur   . La réponse dévie un peu : « Il ne s’agit pas de dérouler une histoire linéaire mais de faire émerger des questionnements et des moments emblématiques en matière d’expositions... ». Au demeurant, personne n’attend plus une histoire linéaire de l’exposition depuis longtemps. Le propos selon lequel « ce qui intéresse l’histoire des expositions c’est d’enquêter sur la manière dont la question de l’art occupe une place à la fois tout à fait spécifique, fortement contextuelle et complètement fluctuante, dans l’expérience individuelle et collective de tout un chacun »   , est un propos général qui pouvait être défendu, si les restrictions progressivement imposées au sujet, mais sans les justifier, n’en bridaient la signification. Car, en fin de compte, l’exposition n’est pensée ici que sous l’angle de la transmission, des modes de diffusion, de sélection et de présentation. Elle est vue comme un « support d’information, une technologie d’information et de communication », ce qui ne nous renvoie qu’à des périodes récentes.

 


En plaçant l’exposition exclusivement du côté de la consommation, les disciplines d’études privilégiées deviennent : les sciences de l'information et de la communication, la sociologie, l’histoire de l’art, l’esthétique et l’économie. Cet ordre hiérarchique est un peu perturbant, si l’on songe que l’histoire de l’exposition est concomitante de l’histoire de l’Art, et de la définition classique de l’art. Si l’on ne s’en tient qu’à la période de la conquête de son autonomie par l’exposition – là où « le sujet d’une exposition tend à ne plus être l’exposition d’œuvres d’art »   mais l’équipe curatoriale et une interprétation de la réalité artistique -, les années 1980-1990, alors les auteurs ont raison de procéder ainsi. Mais il manque tout un pan de cette « histoire », qu’il aurait fallu signaler au moins, sinon il n’est plus possible de distinguer l’art de culte et l’art, justement, dit d’exposition   . Ce que reprend fort bien un article (Frédéric Le Gouriérec) – en précisant que, dans certains cas, « une partie de ces œuvres relève déjà de dispositifs d’exposition propres, qui en sont souvent consubstantiels »   – consacré, au demeurant, à la Chine.

 

Retenons cependant un point absolument central de ce travail : l’approche de l’exposition par la notion d’espace public. Ainsi qu’y insistent les directeurs de la publication, cette approche repose sur une interrogation portant sur le type d’espace public que l’exposition constitue. La périodisation adoptée par eux est toutefois trop peu critique, dans sa présentation actuelle, ancrée dans des concepts prêts à l’avance : elle part des considérations de Jürgen Habermas, évidemment (mais sans prendre en compte les critiques qui lui ont été adressées), puis souligne « l’évolution » (qui est bien un terme de linéarité et de continuité) de l’exposition vers un autre type d’espace public, le système marchand-critique. Enfin, cette périodisation débouche sur la période qui commence autour de 1970, avec la montée en puissance des institutions et des politiques culturelles   , de la méditation culturelle, de la démocratisation culturelle et du thème de l’éducation par l’art, l’essor sans précédent du marché de l’art et la mondialisation   .

 

Ce sont 27 communications qui sont restituées. Elles proviennent à la fois de milieux internationaux, ce qui est tout à fait profitable au thème (Afrique, Europe, Chine), et de chercheurs de tous niveaux (étudiants, doctorants, professeurs), ce qui est positif à l’heure où l’on souhaite voir s’élargir l’espace public de la culture. Elles sont toutes centrées sur un regard très ouvert sur l’exposition, prenant en compte non seulement les œuvres exposées, mais les scénographies– surtout celles qui entourent le visiteur en lui aménageant une place spécifique   -, les catalogues d’exposition, et aussi les textes qui légitiment la pratique des expositions ou non, les mutations imposées aux publics, les interférences entre les politiques et les expositions, etc.

 

La part du spectateur et de la spectatrice étant, nous semble-t-il, cependant, fort négligée dans les diverses communications, sauf quelques remarques passablement éculées, sur le spectateur « passif » transformé en spectateur ou participant « actifs », grâce au « miracle » de l’exposition bien conduite, mais sans analyse théorique de cet aspect de l’histoire culturelle des arts, et de ses répercussions sur notre époque. Suffit-il, pour régler le problème, de remarquer qu’à partir du XX° siècle « le spectateur est alors pris en compte dans l’élaboration de l’exposition dès la conception de celle-ci », comme une sorte de victoire, si l’on oublie totalement les textes de Denis Diderot sur ce point, par exemple (mais aussi de Jean-Jacques Rousseau, etc.), ainsi que de tous ceux qui, depuis très longtemps, commentent les tenants et aboutissants de l’art d’exposition ?

 

Là où le projet touche juste, c’est dans la prise en compte de la machine exposition bien au-delà de l’art d’exposition. Outre les expositions universelles, qui posent des problèmes spécifiques, il est nécessaire de témoigner des expositions temporaires d’entreprises, de celles durant les forums mondiaux ainsi que sur divers objets parmi lesquels des œuvres d’art, etc.

 

D’autre part, l’ouvrage offre des analyses précises et pertinentes de grands expositions plutôt célèbres dont il est temps de tirer des conséquences et constats : outre les expositions présidées par Marcel Duchamp, les expositions de Marcel Broodthaers, et celles du Centre Pompidou   . Enfin, l’ouvrage ne s’interdit pas, en marge des institutions, de faire quelques remarques sur les expositions dites « alternatives » aux musées, aux galeries, mais aussi alternatives dans leurs modes de fonctionnement et leurs modes d’exposition. L’auteur d’une communication sur ce plan   proposant une thèse à discuter : Musées et espaces alternatifs présentent (fin des années 1960) une apparente opposition, mais l’étude de leur relation témoigne plutôt d’une influence mutuelle, d’une relation ambiguë de rejet et de dépendance   .