L’acteur Abel Jafri, récompensé pour son rôle de chef djihadiste dans le film Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, a publié en mars dernier son premier roman, Les dattes d’Aoulef. Il y raconte l’histoire d’un jeune Touareg du Sahara algérien qui part découvrir le monde. Une séance de dédicace a lieu aujourd'hui,  jeudi 16 juin,  à 18h à la librairie « Les Mots Passants » (Aubervilliers).  

 

Né d’un père Touareg d’Algérie et d’une mère italo-tunisienne, Abel Jafri arrive très jeune en France et grandit à Aubervilliers. Il démarre sa carrière dans le théâtre avant de jouer dans des films et séries télévisées pour Claude Sautet, Malik Chibane, Fabien Onteniente, Karim Dridi ou encore Mel Gibson dans La passion du Christ. En 2015, il obtient le prix œcuménique du festival de Cannes, pour sa prestation de chef djihadiste, dans le film Timbuktu d’Abderrahmane Sissako.

 

Du conte au témoignage

 

Ali est un jeune Touareg né en Algérie à Alouef, dans les années 20, et dont la vie semble toute tracée : il reprendra le commerce de son père sans jamais sortir de son oasis. Mais Ali a les rêves d’un homme libre, l’argent ne l’intéresse pas. Son vœu le plus cher est d’enseigner le Coran aux enfants, en devenant un taleb. Un telle mission nécessite à ses yeux, de partir à la découverte de l’homme dans sa diversité. Il quitte donc son oasis natale et sa famille, mû par son rêve et une foi profonde en l'humanité.

 

Au début, le récit a les traits du conte initiatique, mais à partir de la chute du rêve à la réalité, il se fait davantage témoignage. Dès son voyage pour la Tunisie, Ali découvre le pouvoir de l’argent, la trahison et la haine. Et très vite il ne parvient pas à trouver un sens à la « modernité » qu’il découvre. Un peu comme Usbek et Rica, les deux personnages principaux des Lettres Persanes de Montesquieu, Ali tente de saisir la relativité des coutumes, surtout lorsqu'il arrive en France et se retrouve à travailler dans une usine au Creusot. Mais il est à des années-lumière de la guerre mondiale qui vient de s’achever, et de l’usage des taxis ou encore du goût salé de la mer. Lui, le nomade, va se heurter à des hommes qui conçoivent le monde à partir de leur sédentarité. Il découvre ainsi un autre rapport à l’identité, lorsqu’arrivé en Tunisie, on lui demande ses papiers. Lui qui vient des grands espaces libres, doit faire front à l’encadrement du monde qu’on veut lui imposer.

 

Car pour Ali, les frontières ne sont que des entraves entre les hommes qu’il faut franchir : « Ils partagent le Sahara en morceaux. Ils tracent des frontières qui n’existent que dans leur imagination » dit-il à Batoul, Touareg lui aussi. « …Toi et moi sommes issus du même peuple, et on nous fait croire que nous n’avons pas le même pays » répond ce dernier.

 


L’immigré, personnage libre et créateur de sa vie

 

Le personnage d’Ali et sa trajectoire sont à rebours du regard habituel porté sur l’immigration. Ali n’est pas une victime. Il a quitté le Sahara par choix. Et même si les conditions de vie en France lui sont difficiles, toutes ses expériences donnent du sens à sa quête initiale, ainsi il est tour à tour jardinier, cuisinier, fondeur, éboueur...

 

L’histoire singulière de ce Touareg immigré des années 20, parvient à nous interroger sur notre propre rapport à la liberté. Ali nous rappelle que nous devons être les propres auteurs de notre destin et que la fatalité n’existe pas. Dans ce roman, l’immigration n’implique pas l’abandon de son origine, mais au contraire, elle exprime l’exigence d’une création de soi.

 

C’est pourquoi le rêve et ses croyances sont le moteur central de ce récit. Malgré ses naïvetés et ses incompréhensions, c’est parce qu’il croit profondément que l’humanité vaut la peine d’être observée et côtoyée dans sa diversité, qu'Ali parvient à réaliser son rêve : il a dépassé les frontières les unes après les autres, celles dans l’espace géographique, mais aussi celles des convenances, et des diverses conceptions du monde… Marcel, le militant communiste, image inversée d’Ali, avec qui il sympathise à l’usine du Creusot, a comme point commun avec lui, la force de ses convictions. C’est la force du « croire » qui pousse à l’action, en en construisant le sens. Et ce « croire » n'est pas celui de la religion.

 

Abel Jafri,

Les dattes d’Aoulef

Editions Public.com, mars 2016

109 p., 15 euros

 

 

Séance de dédicace le jeudi 16 juin à 18h à la librairie "Les Mots Passants" (Aubervilliers)