Tous les jeudi, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Le Moyen Âge, une époque de circulations et de déplacements. Mais ces mobilités sont-elles toujours heureuses ?

 

Voici venir à grand pas la fin de l'année universitaire et certains s'apprêtent à partir une année Erasmus à l'étranger. Mais les demandes sont nombreuses, et les départs sont réservés aux meilleurs élèves : le déplacement est une récompense. Pour les étudiants de licence, c'est le moment de se préparer à partir vivre à Sheffield, Copenhague ou Hambourg... avant de revenir au bercail, heureux comme Ulysse (du moins on leur souhaite). La formule date du XVIe siècle, et on la doit à Du Bellay :

« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ».

Comment ne pas y reconnaitre, déjà, notre façon très positive de penser la mobilité?

Bien sûr, le XVIe siècle n’invente pas le voyage. Au Moyen Âge, déjà, les hommes et les femmes marchent, migrent, naviguent et pérégrinent. C’est l’objet d’une exposition qui a eu lieu en 2014 au musée de Cluny, à Paris : Voyager au Moyen Âge. Pourtant leurs déplacements sont bien plus ardus que les nôtres, et le déplacement est loin d'être toujours bien vécu.

 

Un kilomètre à pied…

Un kilomètre à pied, c’est long. C’est encore plus long quand les grandes routes, qui quadrillaient l’Empire romain, cessent d’être entretenues pendant le haut Moyen Âge. À cheval, c’est à peine mieux. D’abord il faut pouvoir entretenir la bête. Posséder un cheval, c’est comme une Ferrari au niveau de la consommation, mais une Ferrari qui pourrait tomber malade ou s’abîmer un sabot. Et puis rien à voir au niveau de la vitesse. Au XIe siècle la circulation se débloque un peu, les foires se développent, les villes refont leurs ponts… Avant cela, à Lyon, vous passiez le Rhône en barque. Mais il vous faut toujours deux semaines pour faire 500 kilomètres à cheval, donc environ un mois pour un Paris-Lyon aller-retour. Ou alors, si vous êtes en forme, sept semaines pour un simple aller de Canterbury à Rome. À ce rythme-là, en effet, mieux vaut être heureux comme Ulysse…

Et puis un autre détail avant de partir : se déplacer c’est dangereux. Sur les routes on trouve des brigands, des routiers, des détrousseurs variés, sur les mers des pirates, ou même des navires bien sous tous rapports qui se font pirates pour l’occasion. Donc il n'y a pas le choix : il faut se déplacer en groupe. C’est aujourd’hui la solution conseillée par le ministère des affaires étrangères aux Français en vadrouille dans des pays jugés dangereux. Alors si vous avez déjà eu l’occasion de voir les cartes avec dégradé de couleur de leur site internet, visualisez un Moyen Âge entièrement rouge, avec une alerte maximale... à peu près partout.

Certes, il y a bien des nomades infatigables : des clercs pleins d'usage et de raison qui évoluent d’une université à l’autre, des pèlerins toujours prêts à reprendre du service, des marchands qui séjournent dans des ports étrangers. Mais en général, le voyage n’est pas vécu en termes très positifs. Les marchands relatent sur de longues pages leurs regrets de leur petit hôtel de famille, et ne craignent qu’une chose : mourir loin de chez eux.

 

Des bannis aux Erasmus

La justice accompagne ce sentiment général : quand on veut punir quelqu’un pour un petit crime, on peut le bannir. Le bannissement n’a d’ailleurs pas à être très lointain : François Villon, le poète mauvais garçon, voit l’une de ses premières condamnation à mort être gracieusement muée en un bannissement pour dix ans hors de... la ville de Paris. Les bannis sont d'ailleurs généralement mal accueillis ; l’étymologie le suggère : le banni a vite fait de devenir bandit. Il est vrai que les droits des étrangers sont généralement fragiles au Moyen Âge.

C’est intéressant, parce qu’aujourd’hui le bannissement a totalement disparu au profit de la prison. Pour nous, empêcher quelqu'un de se déplacer, c'est la punition par excellence. Alors que donner le droit de partir, en vacance, en voyage ou en Erasmus, c'est une récompense bien méritée. Alors bon voyage à ceux qui partent...

 

Pour aller plus loin :

- Paul Zumthor, La Mesure du monde, Paris, Seuil, 1993.

- Georges Livet, Histoire des routes & des transports en Europe. Des chemins de Saint-Jacques à l'âge d'or des diligences, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2003.

- Anaïs Alchus, Marc Bormand, Benedetta Chiesi, Michel Huynh, Voyager au Moyen Âge, Paris, Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 2014.

 

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