Chaque semaine dans Nation ? (chronique), Maryse Emel présente des essais ou des œuvres, des intellectuels ou des artistes qui nous permettent de repenser nos manières de vivre ensemble au XXIe siècle. Cette semaine elle interroge Pascal Beaudet qui a démissionné de ses fonctions de Maire à Aubervilliers le 21 janvier dernier.



« C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ». J’aime cette citation de Soulages, me confie l’ancien Maire PC d’Aubervilliers en Seine Saint Denis. Pascal Beaudet a démissionné de sa fonction de Maire, le 21 janvier 2016, le jour où Louis XVI se faisait guillotiner, ajoute-t-il avec un sourire. « A sa différence je me suis moi-même décapité. Je ne pouvais plus et ne voulais plus rester à la tête de la mairie et d’une équipe qui jouait avec mon goût du compromis. C’est vrai que je n’ai aucun goût pour le conflit. C’est une des raisons de mon départ ».


Nonfiction.fr : Vous avez fait deux mandats. De 2008 à 2014 ce fut le PS qui prit la Mairie.

Pascal Beaudet : Oui. 2008, appelons cela « une pause démocratique ». Je ne suis pas un homme de pouvoir. Dans notre système de représentation démocratique, je n’ai jamais cherché autre chose que de rendre service aux citoyens. Je les considérais comme des égaux.

Nonfiction.fr : Vous êtes arrivé tard au Parti Communiste.

Pascal Beaudet : En 2002, face à l’alternative que ne nous laissait pas la présence du Front national au second tour des élections présidentielles, j’adhère au Parti Communiste. Depuis 1995, j’étais Maire-Adjoint, aux côtés de Jack Ralite, alors Maire communiste. J’étais sous l’étiquette « personnalité ». Jamais le Parti ne m’a fait grief de mon indépendance politique. Je tiens à le souligner. J’ai succédé à Jack en cours de mandat. Cet homme je l’admirais, et en même temps je me demandais comment moi, homme ordinaire - rien à voir toutefois avec l’homme normal, l’homme de la norme – allais faire. Lui qui par exemple, inaugura les soirées du Collège de France à Aubervilliers, affirmant son désir d’offrir à cette ville ouvrière un programme culturel de qualité m’intimidait.

Nonfiction.fr : En plus c’est votre beau-père, pour faire un peu people.

Pascal Beaudet : Oui, le père de ma compagne. Combien de fois l’ai-je entendu ! Quoiqu’il en soit succéder à un tel homme, extra-ordinaire, au sens où il est inimitable, n’était pas chose aisée. Il me fallait affirmer ma ligne, et comme le dit Soulages, c’est en faisant qu’on sait ce qu’on cherche. Il y a quelque chose du savoir-faire en politique. En grec on appelait cela « poiésis », la compétence de l’artisan. Mais la politique c’est aussi l’urgence, les contingences humaines, l’impératif de la décision. Pas facile de prendre la relève et d’être tous les jours dans la solitude de la réflexion. Bien sûr il y a l’équipe des élus, des conseillers, mais en fait on est seul au moment du choix.

Nonfiction.fr : L’équipe c’était sans doute une autre difficulté ?

Pascal Beaudet : Comme dans tout groupe, il y a ceux qui aiment le pouvoir pour lui-même. Ce n’était pas ma voie. J’ai dit ne pas aimer le conflit. Disposer du pouvoir n’est qu’un moyen pour contribuer à un « mieux vivre ensemble ». On a fait croire que j’étais « mou », on me forçait à aller là où je ne voulais pas, dans ces discussions sans fin où certains testaient plus leur valeur oratoire que le souci de travailler en commun pour la ville. Mon erreur est sans doute là, dans ce refus du protocole de la fonction.

Nonfiction.fr : Vous pouvez expliquer ?

Pascal Beaudet : Lors de ma défaite en 2008, j’ai eu le temps de faire le point. J’en ai d’ailleurs aussi profité pour relire René Char. Je me souviens encore de ce vers : « Dans nos ténèbres il n’y a pas de place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté. » La poésie a toujours été là, avec moi. Un jour, la poésie s’impose à toi…Tout cela pour dire que je ne suis pas un gestionnaire des citoyens. Exercer une fonction c’est se séparer de soi. Je ne sais pas faire. Il n’y a pas d’un côté le maire, et de l’autre, l’individu. La politique, selon moi, doit produire du beau, comme au jeu de Tamgram où on cherche à produire de belles formes, à partir de peu de moyens. Elle rejoint la poésie au sens où cette dernière donne forme à un monde, dans un acte « poiétique ». Mais elle doit aussi composer avec la contingence. Les affaires humaines ne sont pas faciles à gérer, et je pense que ce qui est ma qualité, l’ouverture aux autres, mon goût pour la contemplation, n’est pas de mise dans notre système représentatif.

Nonfiction.fr : La politique sépare ?

Pascal Beaudet : Oui. Mes idéaux de dialogue, de service, ne sont pas au goût du jour. Ce que j’ai compris c’est la distorsion entre l’utopie que je porte et l’attente des administrés ou de l’équipe des élus. On attendait de moi une distanciation, un dédoublement dont je n’avais aucune envie.

Nonfiction.fr : Ce mélange de la vie privée et de la vie publique a dû être cause de douleur ?

Pascal Beaudet : J’ai aujourd’hui le sentiment d’être passé à côté de beaucoup de choses. A côté de mes enfants, de ma compagne. Elle avait compris bien avant moi que je n’étais pas un professionnel de la politique. J’y mettais trop de ma personne. Quand j’ai démissionné, elle m’a seulement dit : « je suis rassurée ». Une preuve d’amour.

Nonfiction.fr : Cette ville vous l’aimez ?

Pascal Beaudet : J’aime ses origines ouvrières, où on a très vite appris à relever ses manches. J’aime cet héritage maraîcher, où la culture est proche de l’agriculture…J’aime cette ville qui me rappelle mes origines.

Nonfiction.fr : Vos origines ?

Pascal Beaudet : La pauvreté.

Nonfiction.fr : Qu’allez-vous faire ?

Pascal Beaudet : Je crois en mes idéaux. J’ai encore des responsabilités politiques. J’ai besoin de prendre du recul. Mais je n’abandonne pas. J’ai appris auprès des communistes qu’il ne faut jamais renoncer. Je continuerai c’est certain.

Nonfiction.fr : J’ai envie de vous dédier ce vers de Roubaud : « je m’étais donné cette tâche : arracher les peaux mortes du présent »…