Comment se contruisent les identités politiques aujourd'hui, alors que les repères gauche/droite semblent s'estomper ?

Comment se construisent et se déconstruisent nos convictions politiques ? Sont-elles faites de séquences en fonction de l’avancée dans l’âge ? Quelle est aujourd’hui la place de l’événement dans la construction de l’identité politique? L’actualité, saturée, est-elle encore structurante dans nos choix politiques ? Autant de questions auxquelles tente de répondre Anne Muxel, Directrice de recherche au CNRS-CEVIPOF, dont le travail sur l’érosion du socle de gauche chez les jeunes a été récemment mis en lumière.

 

L’identité politique n’est pas figée et demeure un objet complexe à cerner, sans doute plus encore aujourd’hui alors que les repères s’estompent. Aussi comprend-on le choix de réunir, dans cet ouvrage collectif, les contributions d’auteurs provenants d’horizons disciplinaires différents – sociologues, politistes, philosophes, historiens et psychologues – afin de comprendre les trajectoires politiques et les maillages entre individualité et processus collectif.

 

Difficile quête de l’identité politique aujourd’hui

 

Dans le domaine politique, l’identité est d’abord « un récit, une histoire que l’on se raconte et qu’on raconte » selon Myriam Revault D’allonnes. Or, il est difficile pour chacun, dans la tyrannie actuelle du présent, de construire un récit sur lequel s’appuyer pour élaborer « un monde commun ». C’est pourtant nécessaire, voire salutaire. Janine Mossuz-Lavau résume cette quête d’identité en rappelant que « le chemin vers soi passe forcément par les autres », quoi qu’on puisse en penser et d’où qu’ils viennent, des univers sociaux ou familiaux : « entre ce qui est transmis et ce qui est vécu, le temps fait son œuvre et façonne notre manière d’être au monde ». La politique n’est peut-être pas ce qu’on perçoit en premier chez un être humain mais« elle est constitutive de son for intérieur ». Et à l’inverse, notre identité va agir sur le politique, elle va irriguer les engagements, les votes et notre attitude face à la société.

Janie Pélabay rappelle qu’il existe deux identités, la personne et le citoyen, « qui ont beaucoup de difficultés à  collaborer ». L’indépendance entre le public et le privé est de plus en plus marquée. Cela dérègle nos repères politiques et surtout leur constance, et« si le lien entre les deux existe, c’est par pure exigence de conformité identitaire ». Néanmoins l’espace de liberté se réduit inexorablement, de même que les modèles de revendications. Actuellement la présence de nombreux jeunes sur les places publiques ne doit pas cacher, ceux, plus nombreux, qui se désintéressent des causes publiques… mais ceux-ci même gardent une identité politique, malgré tout. La progression de l’abstention et la désaffection vis-à-vis du politique ne sont pas synonymes de la perte de l’identité politique, bien au contraire. Par contre, le modèle de référence est plus flou et ne rentre plus dans les postures gauche/droite, même si le clivage est encore actif.

 

L’événement, matrice de la politisation

 

« Est-ce une question de génération ? » se demande Alexandre Escudier. Chaque génération a eu son moment d’apprentissage de la démocratie, une démocratie toujours plus large mais pas forcément plus approfondie. Chacune a eu son processus identitaire construit à partir d’événements, de valeurs, de modes et de manières de vivre. On sait que les dynamiques collectives se construisent à partir d’événements, et les relations interpersonnelles à partir de la perception des urgences publiques. Leurs multiplications, parfois contradictoires, construisent une identité politique qui ne s’inscrit pas automatiquement dans un mouvement collectif. Réagir à tel ou tel événement n’inscrit plus une action collective dans la durée. Si « Nuit Débout » est bien un événement, il est difficile de saisir ce qu’il deviendra, et plus encore ce qu’il produira sur ses multiples acteurs.

Ludivine Bantanguy met en avant les bouleversements intimes produits par les grands événements, tels que Mai 68, et « le don qu’ils ont d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance pour interrompre le cours du temps ». Mais une révolution ne se réduit pas à un frisson qui s’estompe une fois l’événement passé. Mai 68 « ébranle le socle de la société et interroge souvent les statuts, les fonctions, rôles et places à bouleverser ». Ce moment de révolte a aussi été un appel à la fin du conflit entre les générations, avec la découverte que l’appartenance à une même classe d’âge ne constitue pas en soi une identité politique.

 

Une quête ni figée ni inéluctable

 

L’historienne Annette Wieviorka soulève la question du lien entre identité personnelle et identité politique à travers l’histoire, encore peu explorée, de la première génération des juifs communistes. Elle démontre les conflits possibles entre identité politique et racines à travers les tiraillements entre la démarche révolutionnaire et le sort des juifs d’Europe. Elle montre aussi comment une nouvelle génération jette un regard froid et lucide sur cette histoire dénonçant les hypocrisies et l’inaction de leurs pères.

Si l’adolescence est un point de départ, c’est aussi le temps de changements et de l’appartenance à de nouveaux groupes souligne Clémentine Chiarelli. C’est le  moment où « se confrontent identité et identification ». Rien n’est nécessairement déterminé par l’influence familiale, car « le social, comme l’inconscient, agît et nous transforme à notre insu ». C’est l’une des lectures de  la transformation du vote des jeunes, et notamment ceux dont la tradition ne devait pas les amener à des votes extrémistes. Le « Gaucho-lepenisme » décrit par Pascal Perrineau  reflète les paradoxes et les contradictions de l’identité politique, tout en témoignant de l’affaiblissement des identités politiques de gauche.

Comprendre ces changements politiques au fil des parcours de vie, c’est chercher à comprendre son propre parcours comme « une tentative de la maîtriser les chaos du monde autant que sa propre destinée », écrit Anne Muxel. La politique reste une expérience sensible. Même en s’en éloignant, voire en la rejetant, on y revient par un autre chemin