Un recueil d'articles souvent passionnants sur les rapports conflictuels entre les écrivains et les économistes français et anglais entre 1815 et 1848.

Paru aux éditions Le Manuscrit, le livre Economie et littérature fournit les actes d'un colloque organisé en avril 2006 par l'université de Paris X-Nanterre sur les rapports entre les écrivains et les économistes français et anglais entre 1815 et 1848.

Le sujet est vaste et il aurait été prétentieux que le colloque prétende répondre à toutes les questions qui peuvent se poser sur ce thème. Résultat, les interventions sont centrées sur des écrivains particuliers ou des économistes bien précis. Le livre est organisé en deux parties abordant deux questions : comment les écrivains ont-ils réagi à l’économie politique et ont-ils contribué à sa formation ? Comment ensuite trouve-t-on trace de la situation économique réelle dans la littérature du temps ?

Comme toujours dans ce genre de livre écrit à plusieurs mains sur la base, qui plus est, de communications à un colloque, l’ensemble est inégal. On peut même se demander si certains propos répondent bien à l’objet initial de l’œuvre. Ainsi, le livre comporte un chapitre fort intéressant sur un livre de Pierre Leroux, ce penseur original du début du XIXe siècle à qui il est courant d’attribuer l’invention du mot socialisme. Mais Leroux n’est ni un écrivain ni même un économiste à part entière et l’analyse faite de son livre ne paraît pas correspondre à une réflexion en tant que telle sur les rapports entre la littérature et l’économie. Autre exemple, l’article sur Stendhal veut à tout prix donner une pensée économique à cet écrivain de premier plan. L’enthousiasme de l’auteur pour Stendhal, s’il se comprend puiqu’il enseigne à Grenoble, le porte à voir dans certains passages de De l’amour des accents déjà keynésiens… Il est néanmoins probable que si Keynes et Stendhal pouvaient partager une forme de dandysme plus ou moins affiché, ils ne naviguaient pas pour autant sur les mêmes eaux.

Quoi qu’il en soit, ce qui ressort d’un ensemble au final assez bien mené et digne de lecture, c’est une analyse assez fine d’une époque où l’économie politique cherche à se détacher d’un aspect trop littéraire. Les chapitres sur Thomas de Quincey, le célèbre auteur des Confessions d’un mangeur d’opium anglais, ou sur Dickens sont à ce sujet passionnants. Ils montrent combien les économistes anglais des débuts de l’économie politique ont voulu afficher une rigueur dans le raisonnement digne des enchaînements mathématiques. Quincey avait reçu une éducation poussée où dominait encore l’apprentissage des langues anciennes et de la logique aristotélicienne revue et corrigée par les penseurs scolastiques. Ce que montre Daniel Becquemont, l’auteur du chapitre sur Quincey, c’est que ce qui fascine le "mangeur d’opium" chez Ricardo, dont par ailleurs il ne partage pas a priori le whiggisme, c’est la précision logique de ses théories. En écrivant Logic of political economy, Quincey cherchait avant tout à la mettre en lumière en utilisant les outils formels de la scolastique. Cette froide logique est ce qui intrigue puis effraie les écrivains. Dickens dénonce à plusieurs reprises l’utilitarisme de Bentham et le discours de Malthus rendant les pauvres responsables de leur situation. De même, l’article sur Balzac met en évidence combien, notamment dans les Illusions perdues, le célèbre écrivain français souligne la contradiction entre le discours libéral qui se veut respectueux de l’homme, tant dans sa dimension économique que dans sa dimension politique, et la réalité d’une pratique qui reste durablement et fondamentalement égoïste et par certains côtés amorale.

En fait, le livre mène au constat que 1848 a bel et bien amorcé la rupture entre les économistes et les écrivains. Les économistes des générations suivantes seront des mathématiciens cherchant à imiter la démarche des physiciens tandis que  les écrivains de la fin du XIXe siècle vont se radicaliser dans des œuvres en général critiques et amères sur la réalité de la société née de la Révolution industrielle. Cette amorce est en particulier bien décrite dans le dernier chapitre de Jean Pascal Simonin consacré aux émeutes du Buzançais de 1847, émeutes dues à la faim. Alors que l’économiste Gustave du Puynode y voit la confirmation de la nécessité de baisser les droits de douane pour réduire les prix et améliorer le pouvoir d’achat des plus pauvres, les écrivains de son temps le brocardent en l’accusant de ne rien comprendre au désespoir de populations qui ne parviennent guère à quitter l’état de simple survie.

Dans les années 1880, Marshall, le grand économiste anglais sera physicien de formation et membre du parti libéral, tandis que Hugo, Zola et autres tonneront contre les injutices aux côtés des socialistes. Mais c’est une autre histoire…

En attendant, lisons les actes du colloque d’avril 2006, avec intérêt, en nous délectant de découvrir des personnages fascinants comme Pierre Edouard Lemontey, écrivain et économiste qui succéda à l’Académie au célèbre abbé Morellet.