Au Théâtre de la Bastille,  à voir jusqu'au 29 janvier : « Le bruit court que nous ne sommes plus en direct » du collectif L'Avantage du doute.

 

Quid de la récupération par le capitalisme des œuvres les plus dissidentes ? C’est la question que pose le spectacle – jouissif et enlevé – du collectif l’Avantage du doute au théâtre de la Bastille.

La question n’est pas nouvelle, elle a notamment été traitée par Luc Boltanski et Ève Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme en 1999. Les auteurs montraient comment le capitalisme a su intégrer les critiques qui avaient été formulées à son encontre en 68 : la critique sociale qui lutte contre la misère et les inégalités, et la critique artiste qui dénonce l’inauthenticité de la vie marchande et l’étouffement des capacités créatives de l’individu.

Le bruit court…., c’est en effet l’histoire d’une récupération. Ethik TV est cette antenne indépendante, engagée, qui entend faire une trouée dans le flot ininterrompu des actualités oppressantes en proposant des sujets décalés, loufoques, barrés. Une tv qui laisse les présentateurs s’exprimer sur leurs émotions au lieu d’en faire des poupées Barbie et Ken figées dans leur rôle de robot. Une tv qui institue un moment de silence pour créer une disjonction dans le flux saturé des informations.

Seulement voilà, la tv vivote, franchit difficilement le cap des soixante « voyants ». Jusqu’à ce qu’arrive un mécène providentiel, un ami de Simon, l’un des journalistes, qui a revendu son magazine de contre-culture pour fabriquer de l’alcool à base de cactus et se montre tout prêt à investir dans Ethik TV. Sa fille, diplômée d’une grande école de communication, arrive perchée sur ses talons, enthousiasmée par le projet, qu’elle a néanmoins l’ambition de retoquer.

La suite on la connaît : storytelling, community manager, followers sur twitter. A force de « pimper » les journalistes et de faire vendre leurs histoires les plus intimes, les plus personnelles (Simon qui a vécu dans une réserve de Mohawks, cette autre journaliste qui n’arrive pas à avoir d’enfants), la chaîne décolle : c’est le succès. Sauf que tous ont l’impression d’y perdre leur âme. Ce qui se pose à eux, c’est la question, le dilemme qui s’offre à chacun de nous : poursuivre ses idéaux ou gagner de l’argent, s’aventurer à devenir soi-même ou se ranger, être fidèle à sa femme ou tomber amoureux de la jolie jeune fille sortie de son école de communication ?

À Ethik TV, on qualifie le public de « voyants » et pas de téléspectateurs, hommage à Rimbaud. La poésie est présente dès le titre – Le bruit court que nous ne sommes plus en direct – et tout au long du spectacle. Les comédiens – Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas et Nadir Legrand – ont tous leur moment de bravoure, ils écrivent chacun leur texte, et leurs monologues sont parfois de grands pétages de plombs, quand entre en dissension l’envie de s’en sortir et celle de « ne pas abandonner une part de soi devenue encombrante avec les années » – comme dit Pommerat dans la Longue et fabuleuse histoire du commerce, une autre pièce sur la récupération par le capitalisme de la critique artiste (voir ici).

À Ethik TV, les journalistes font un choix radical : ne pas gagner d’argent en restant fidèle à leurs idéaux. Le spectacle, qui tape beaucoup sur les grands médias, a reçu une très mauvaise critique dans Le Monde et Télérama. Médiapart au contraire en a fait un compte rendu dithyrambique (ici). Ce spectacle révolutionnaire mérite d’être vu !

 

Le Bruit court que nous ne sommes plus en direct

Par le collectif L'Avantage du doute

Théâtre de la Bastille

Du 7 au 29 janvier


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