Chantal Lheureux-Davidse, psychologue, psychanalyste, maître de conférence et coordinatrice du DU autisme à Paris 7, évoque dans cet entretien conduit par Annie Franck le film Le goût des merveilles. Au cœur de la controverse "autisme et psychanalyse", elle poursuit en expliquant comment elle se positionne dans la thérapie avec les autistes, et ce qu'elle pense des spécificités de leur fonctionnement psychique.

Nonfiction.fr : Chantal, en tant que spécialiste de l’autisme, tu as été sollicitée par le réalisateur du film « Le goût des merveilles », Eric Besnard, pour des échanges préalables au tournage. Ce film lumineux sorti tout récemment (décembre 2015), met en scène un jeune homme autiste qui présente un syndrome d’Asperger, subtilement joué par Benjamin Lavernhe de la Comédie Française. Dans le film, ce personnage semble vivre dans un univers singulier débordant de sensibilité et même de poésie. Pourrais-tu nous dire ce qui t’a intéressée dans ces échanges à propos de ce film ?
 
CLD : Ce film m’a donné l’occasion de parler des personnes autistes qui ont un syndrome d’Asperger avec Eric Besnard, le réalisateur du film, et aussi avec Benjamin Lavernhe, l’acteur principal, remarquablement doué. Ce syndrome est une question assez mal connue en dehors du cercle de spécialistes et des personnes concernées : je trouve important qu’un film de grande qualité, qui s’adresse à un large public, s’attache à traduire en finesse le monde intérieur d’une personne autiste. Benjamin Lavernhe joue ce personnage de façon subtile. Les témoignages de personnes « Asperger » qui ont un haut potentiel et qui ont accès au langage, nous apprennent grandement sur les personnes autistes sans langage et avec de grands retards de développement ; ceux-ci représentent la majorité des personnes autistes. Toutes ces personnes ont en commun une hyper sensibilité émotionnelle et sensorielle, qui souvent les déborde.
 
Le jeune homme du film est en grande difficulté pour exprimer directement ses émotions et s’adresser à autrui. Quand il parle, il évite le contact du regard et semble enraidi dans son corps. Mais la caméra filme des moments d’intense émotion esthétique et son émerveillement devant le ciel, les contrastes lumineux, les belles formes des arbres, la percée de la lumière à travers les branches. On le voit aussi parcourir les champs et laisser glisser sa main sur les blés et les fleurs, dans un bain de sensations. Comme d’autres personnes autistes, il a une extrême sensibilité aux textures, aux couleurs, à la lumière, aux contrastes, aux formes. Il n’aime pas qu’on le touche d’une façon imprévisible. Il s’arrête longuement pour observer le lent déplacement des nuages dans le ciel. Il y recherche des formes géométriques ou des nombres, car il est spécialement sensible à leur beauté. Le spectateur comprend à un moment qu’il est un calculateur calendaire (« il y a 37 ans, le 12 avril était un mardi », dit-il). Il est également doué en informatique au point d’être capable de déjouer des systèmes de sécurité.
Cette sensibilité extrême s’accompagne d’une certaine lenteur : il ne supporte pas la rapidité ou l’imprévisibilité d’une situation, car il a besoin de temps pour intégrer les informations afin que celles-ci ne représentent pas pour lui une effraction, particulièrement dans les moments de changement inattendus.
Comme pour d’autres personnes autistes, le plus difficile pour lui est de regarder en direct un visage avec ses grandes variations déroutantes d’expressions, d’émotions, et les mouvements trop rapides des yeux qui pourraient le submerger. Quand il est dans une situation trop imprévisible, trop intense, avec trop d’émotions ou des mouvements trop rapides, sa capacité d’intégration des informations sensorielles se trouve saturée. Soit il en est sidéré, soit il tente d’échapper à la situation, soit il exprime directement ce qu’il pense sans conscience sociale.
 
Nonfiction.fr : Selon toi, ce film témoigne-t-il avec suffisamment de justesse de l’univers intérieur de ce jeune homme ? En quoi est-ce  important à tes yeux ?
Dirais-tu que cette œuvre rejoint tes préoccupations et ta démarche de psychothérapeute d’orientation analytique ?

 
C.LD : La grande qualité de ce film est de faire partager au spectateur l’hyper-sensibilité d’une personne autiste et ses difficultés à entrer en relation avec autrui. Mais il montre également comment il est possible avec délicatesse et authenticité, par des détours, d’établir un contact.
Actuellement, on a beaucoup tendance à concentrer l’attention sur le manque d’adaptation des personnes autistes, sur leurs difficultés sociales, en les décrivant d’un point de vue extérieur et en considérant ce qui leur manque ou ce qui pose problème dans leur adaptation sociale. Leurs comportements sont décrits comme étranges et déroutants. Il serait important de davantage se soucier au préalable de leur vécu interne, et de s’intéresser au sens de leurs comportements étranges. Il ne suffit pas de leur apprendre des comportements plus adaptés socialement par des méthodes éducatives intensives.
Bien entendu, il est important que leurs comportements deviennent mieux adaptés, et qu’elles acquièrent des repères dans l’espace et dans leur emploi du temps. Mais pour que les apprentissages soient réellement intégrés, il est nécessaire de travailler à leur rythme à partir de ce qu’elles ressentent afin qu’elles se sentent concernées et qu’elles puissent s’approprier ce qu’elles apprennent ou ce qu’elles découvrent.
 
Nonfiction.fr : Tout à l’heure, je te demanderai d’entrer davantage dans certains détails de ce travail. Mais pourrais-tu maintenant préciser les spécificités d’une approche analytique de l’autisme ?
 
CLD : Ce qui est spécifique dans l’approche psychanalytique, c’est de s’intéresser au vécu interne de la personne, et à ce qu’elle exprime – avec le langage verbal ou le langage non verbal –  ou à partir de ce qui se manifeste dans son corps et dans ses actes. Il est important qu’elle trouve du sens à ce qu’elle vit, jusque dans chaque détail de son quotidien.
La particularité du travail d’orientation analytique avec des personnes autistes est qu’on se situe sur le plan d’une sensorialité archaïque. Il s’agit pour le thérapeute de rencontrer quelqu’un qui est essentiellement intéressé par des recherches sensorielles.
Il y a un manque d’informations sur ce qu’apporte l’approche psychanalytique, beaucoup de malentendus aussi, et souvent une vision caricaturale. Certaines personnes mal informées croient que les psychanalystes accusent les parents d’être la cause des troubles de leur enfant. Cette culpabilisation, en particulier des mères, a découlé malheureusement des travaux de Bruno Bettelheim datant des années 50, et largement diffusés auprès du grand public français dans les années 65-70. Il avait fait une déduction regrettable : des difficultés relationnelles des enfants autistes, il avait conclut à une origine relationnelle également.
Or nous savons que l’environnement n’est pas la cause du retrait autistique. Cette erreur a beaucoup desservi le travail psychanalytique, bien que d’autres recherches se soient développées parallèlement, dès cette époque : celles-ci ont mis à juste titre les troubles sensoriels des enfants autistes et leur hypersensibilité au centre de l’origine de leur retrait.
Heureusement tout ce courant de psychanalystes, avec Frances Tustin et Donald Meltzer, a insisté sur le repérage de l’hypersensibilité des bébés à potentialité autistique, qui les rend indisponibles à la relation à l’autre, alors que l’entourage apporte le meilleur.
Il y a une méconnaissance de ces auteurs et de leurs travaux de la part des associations qui ont tourné le dos à la psychanalyse : nos recherches et notre travail clinique, je le redis, partent principalement de l’extrême sensibilité des personnes autistes, sur les conséquences de leurs moments éventuels de saturation sensorielle, et sur leurs mouvements répétitifs ; ou bien sur leurs utilisations d’objets qui peuvent paraître bizarres mais qui, néanmoins, correspondent à des tentatives pour réguler leur sensibilité.
Les méthodes comportementalistes visent à l'acquisition de comportements socialement adéquats, afin de faciliter l’acceptation par l'entourage et l’accès aux apprentissages. Du côté psychanalytique, nous travaillons plutôt en-deçà de cette perspective : nous avons l’objectif préalable de favoriser le sentiment de soi chez les personnes autistes, car la plupart du temps, celles-ci n’ont ni le sentiment d’habiter leur corps ni même le sentiment d’exister en continu.  Elles ont beaucoup de sensations et beaucoup d’émotions mais ne peuvent pas se les représenter.
L’hypersensibilité des personnes autistes va entraîner une alternance de moments de plaisir et d’émerveillement avec des moments où une défense radicale se met en place face à des émotions  ou des sensations qui sont vécues d’une façon si forte qu’elles submergent la personne. La personne essaie alors d’éviter les ressentis et surtout leur trop grande complexité. Cette défense s’appelle « le démantèlement sensoriel ». Elle a été théorisée par Donald Meltzer : chez ces personnes, chacun des sens est potentiellement fonctionnel, mais leur vécu est si intense dans le moment présent, qu’elles ne peuvent être disponibles qu’à une seule sensation au détriment de la perception d’ensemble.
C’est ainsi que la personne autiste peut se focaliser exclusivement sur une lumière, par exemple. Dans le film, le jeune homme joue avec les rayons du soleil qui passent à travers un brin d’herbe qu’il agite rapidement tout près de ses yeux. Cela l’apaise, il s’émerveille de cette lumière qu’il fait bouger. C’est une façon de réguler sa sensibilité. Mais de cette manière, il s’isole des autres.
 
Nonfiction.fr : Comment permettre à ces patients de mieux supporter leur hypersensibilité et d’entrer en relation avec autrui ?

 
CLD : Nous cherchons d’abord à partager quelque chose avec cette personne à partir de ce qui la captive dans l’instant, et sans, immédiatement, lui proposer un comportement socialement adapté qu’elle ne pourrait pas intégrer à ce moment. Nous partons de son intérêt immédiat pour le partager. Dans un second temps, nous allons jouer avec des petites variations à partir de cet intérêt parfois restreint et répétitif, afin qu’il devienne une expérience plus large, moins strictement et souvent nécessaire.
L’intérêt que manifeste le thérapeute et ses commentaires de l’expérience sensorielle  constituent une occasion de rencontre. C’est ce qui développe le sentiment d’exister, la conscience de soi, et le sentiment d’être important pour autrui. Le thérapeute pourrait ainsi dire à Benjamin, par exemple : « Les rayons du soleil, quand on agite ce brin d’herbe devant les yeux en direction de la lumière, scintillent et brillent dans des contrastes magnifiques. C’est apaisant. » La voix du thérapeute qui s’adresse à lui, son intérêt réel pour ses recherches sensorielles, la mobilisation et la verbalisation de son propre sens esthétique, peuvent favoriser un moment de rencontre qui rend l’expérience autistique plus partageable.
Le partage est une première base de rencontre. Il représente une possibilité de relancer le développement relationnel et aussi la conscience de soi-même. Le préalable à la socialisation est d’établir des rencontres authentiques à partir de ce qui intéresse la personne autiste afin qu’elle se sente concernée par elle-même dans son expérience corporelle et par la relation avec son entourage.
Par la suite, le jeu à partir de variations autour de ce qui l’intéresse pourra être plus facilement canalisé vers des comportements plus adaptés socialement. Avec des personnes autistes il ne faut pas être trop impatient de partager des expériences socialement adaptées. C’est un grand pas de pouvoir les rencontrer à partir de leurs intérêts, même si ceux-ci sont répétitifs et restreints au départ et peu adaptés socialement.
 
Nonfiction.fr : Sous quelles conditions y a-t-il une possibilité de partage puis de rencontre ?
 
CLD : La plupart du temps, nous ressentons du plaisir à partager des émotions ou des sensations avec autrui, nous sommes heureux des rencontres en direct, des échanges des regards et des sourires, des paroles d’échanges émotionnels.
Les personnes autistes, au contraire, ressentent de l’inquiétude ou une angoisse à être directement sollicitées, car la rencontre avec autrui, et avec les visages en particulier, les met en grande difficulté. Il leur est nécessaire de passer par des détours pour modérer l’effet de la complexité et l’imprévisibilité. La communication est meilleure avec une personne autiste si on ne lui impose pas d’échanges en direct.
Dans le film, nous voyons ce jeune homme et la jeune femme, côte à côte, contempler silencieusement ensemble les nuages, puis alternativement commenter ce spectacle. Ils ne se regardent pas, mais s’émerveillent de façon conjointe. Un partage s’instaure, sans que le jeune homme soit débordé par trop d’émotions. Ces instants de partage tranquille se répétant, ils vont pouvoir nouer une relation extrêmement forte. Le jeune homme pourra se représenter ce qu’il éprouve et en prendre conscience, puis même l’exprimer directement : « Ici, je suis bien. Avec vous, je suis bien.»
 
Nonfiction.fr : Tu dis « prendre conscience et se représenter ce qu’il éprouve » ; veux-tu aussi dire que les vécus corporels et psychiques de ce jeune homme commencent à s’unifier et se constituer en représentations? Pourrais-tu nous parler de ton travail concernant l’image du corps ?
 

CLD : La construction de l’image du corps ne se fait pas d’emblée : elle se construit dès la toute petite enfance dans le lien à l’autre. Et en particulier dans les échanges de regards entre l’entourage et le bébé.
Mais dans la mesure où ces enfants, qui arrivent dans une hypersensibilité, se consacrent entièrement à traiter les informations sensorielles qui leur arrivent de l’extérieur et de leur corps, ils ne sont pas disponibles pour être en relation avec autrui, ni pour des échanges de regards avec leur mère en particulier, en dépit de l’amour dont ils sont entourés. Le bébé ne profite pas pleinement de la relation et de ce qu’elle lui offre. Comme la relation directe représente un excès de sensations, l’enfant va avoir beaucoup de réflexes toniques ou de mouvements particuliers pour tenter de se réguler tout seul, dans son corps.
Par exemple, il peut développer des réflexes d’hyper-tonicité musculaire tant que l’image du bas du corps ne s’est pas encore construite. Ceux-ci peuvent alterner avec des moments d’hypo-tonicité,  quand il ne s’auto- maintient plus.
Ou alors l’enfant peut faire de légers mouvements en agitant ses doigts ou un petit objet à une dizaine de cm sur les côtés tout près de ses yeux : ils visent à créer une sorte d’espace autour de lui, sécurisant et contenant. Cet espace est nécessaire afin qu’il se sente en tranquillité dans son corps.
Quand un enfant n’a pas pu bénéficier pleinement des échanges de regard qu’on lui a offerts, il n’a pas pu construire la notion de volume de l’espace. Car ce sont les échanges de regard qui  permettent d’évaluer les distances dans l’espace. Quand l’enfant se sent bien dans l’espace autour de lui, il se sent également bien dans son corps. La notion d’espace, de volume dans l’espace et de relation à l’autre se co-construisent, en même temps que la sensation d’être bien dans son corps.
 
Nonfiction.fr : Si je te suis bien, on voit que le travail est d’une grande complexité. Les différentes dimensions de la personnalité – intérêt pour la relation à l’autre, construction de la notion d’espace et de volume, image du corps, possibilité de s’accommoder d’une trop vive sensibilité – dépendent étroitement les unes des autres.
 
CLD : L’objectif primordial est celui d’un ancrage sur le sentiment d’exister et la construction d’un intérêt pour la relation à l’autre. Sur l’ancrage du sentiment d’exister dans son corps, l’enfant réussit peu à peu à relancer spontanément le lien à l’autre. Et en particulier le regard vers l’autre peut être recherché spontanément par l’enfant quand il se sent concerné par les commentaires que lui fait son thérapeute. Là les échanges de regard, lorsqu’ils sont spontanés, ne sont pas vécus comme envahissants.
Une vraie rencontre peut se produire, à partir d’un comportement répétitif et restreint auquel s’accroche une personne autiste qui tente ainsi de se repérer dans un univers trop complexe, pour peu qu’on prenne en considération son intérêt apaisant, son pouvoir de créer davantage le sentiment d’exister et à unifier des sensations. Depuis le lien qui s’établit ainsi, la personne autiste  peut se décaler petit à petit de son recours exclusif à un comportement unique qu’elle voudrait toujours identique à lui-même.
 
Nonfiction.fr : Voudrais-tu donner un exemple ?
 
CLD : Un enfant qui se balance souvent en avant et en arrière peut le faire pendant des heures d’une façon solitaire. Et nous avons l’impression que tant qu’il continue, il ne s’intéresse à rien d’autre. C’est pourtant une façon pour lui de s’auto-apaiser dans un environnement qui le submerge : par exemple s’il y a trop de bruit ou trop d’allées et venues, ou encore trop de mouvements, comme dans les temps d’accueil ou lors d’un changement d’activité ou de lieu. Si le thérapeute peut « accompagner » ce balancement, en lui disant qu’en effet, il y a beaucoup de bruit et qu’il a trouvé une bonne solution pour se calmer de cette façon, l’enfant se sent concerné par ces paroles. Il se reconnaît dans ce qui est décrit, et il prend conscience de ce qu’il est en train de faire.
Dans la mesure où il se sent concerné et davantage exister dans ce qu’il est en train de faire, il a le réflexe de se redresser dans son corps. C’est un signe de réinvestissement de son corps dans une bonne tonicité qui est bien différente d’une hypertonicité musculaire à laquelle il peut avoir recours à d’autres moments. Quand il se sent concerné, spontanément, il a envie de partager son expérience de retrouvailles avec lui-même, en s’orientant vers la personne qui en a été l’origine. C’est alors un point de rencontre, un temps essentiel, qui lui permet de sortir de son expérience autistique à ce moment-là, même s’il le manifeste peu.
A partir de cette nouvelle expérience, cet enfant sera davantage capable de s’ouvrir à des  variations, si le thérapeute se met par exemple à chanter au même rythme de ses balancements, puis dans un rythme un peu différent. Il faut beaucoup d’occasions de rencontres pour construire le lien aux autres.
 
Nonfiction.fr : Les balancements peuvent aussi se produire chez des personnes dites « normales » dans des circonstances particulières : de grande frayeur ou d’autres vécus émotionnels intenses.
 
CLD : Un enfant qui se balance peut tout à fait tenter de se récupérer au milieu d’un chaos d’informations sensorielles ingérables dans lequel il risque de se sentir absorbé, comme dilué, au point d’oublier son sentiment d’exister dans son corps. Par la suite, si son mode d’apaisement préférentiel est le balancement, il peut se balancer parce qu’il s’ennuie, il peut aussi se balancer parce qu’il est traversé par trop d’émotions, s’il est trop content ou trop frustré.
Les balancements constituent un réflexe tonique naturel pour se réguler. Ils convoquent des impressions, des traces de mémoire sensorielle archaïque, dont d’ailleurs tout un chacun a l’expérience. Un balancement rythmique se fait souvent à un battement par seconde qui est le tempo du rythme cardiaque maternel qui nous a bercé en continu in utero.
Ce rythme ramène à des sensations archaïques agréables, et il donne un sentiment d’exister en continu, autant chez des personnes autistes que chez des personnes qui ont un trouble sensoriel ou émotionnel.
Les balancements peuvent également stimuler de façon autistique le système vestibulaire, dans l’oreille interne, qui est responsable de l’équilibre du corps dans l’espace.
Quand on a très peu profité des échanges avec autrui dans sa petite enfance en raison de l’évitement du lien lié à son hypersensibilité, l’équilibre de son corps dans l’espace n’a pas été suffisamment construit. On recherche alors de façon réflexe une autre façon de sentir l’équilibre de son corps dans l’espace en faisant appel au système vestibulaire.  
Le système vestibulaire a besoin de mouvements contrastés près des yeux pour fabriquer une expérience de trace de mouvements autour de soi qui sécurise le corps dans l’espace. Et il a besoin également d’expériences de mouvements du corps pour trouver une moyenne qui est l’axe vertical du corps. Et, en effet, les balancements se font généralement autour de l’axe vertical, soit d’avant et arrière, soit dans le sens gauche/droite. Et puis l’équilibre du corps entre le haut et le bas peut s’éprouver par des sautillements, comme les personnes autistes peuvent les rechercher.
Le grand inconvénient de telles expériences est que leur effet bénéfice ne se produit que pour l’instant présent : elles doivent ainsi continuellement être répétées. Seules les expériences qui ont été partagées, suffisamment souvent et longtemps dans la petite enfance, ou par la suite dans une thérapie par exemple, vont s’inscrire et permettre que l’équilibre obtenu à chaque instant perdure. C’est le travail du thérapeute de raconter l’intérêt de ces expériences. Dès lors, il n’y a plus obligation à renouveler toujours les mêmes balancements (par exemple) d’une façon solitaire. Le recours à des comportements autistiques est peu à peu remplacé par un intérêt pour la relation aux autres.
Il y a pour le thérapeute un grand intérêt à comprendre le sens de ses balancements : celui d’autorégulations de l’équilibre du corps dans l’espace, et ainsi, une base pour se sentir exister en sécurité dans son environnement. Pour que la personne ne consacre pas toute son énergie à entretenir cette sensation à chaque instant, il est essentiel que celle-ci soit partagée, même si au départ, elle ne s’adressait à personne et relevait d’un réflexe tonique.
Ce partage permet l’amorce d’un intérêt pour l’exploration de l’environnement et de la relation aux autres.
Tout ce travail thérapeutique est nécessaire pour qu’une personne autiste puisse se sentir exister pour elle-même et qu’elle construise peu à peu une relation avec son entourage. Dès lors, elle pourra mieux comprendre l’intérêt des apprentissages proposés, et admettre les règles de conduite sociales. Le travail thérapeutique et l’accompagnement éducatif sont donc complémentaires ; ils peuvent se faire l’un comme l’autre au rythme singulier de chacun, sans pression, afin d’être assimilables.  Ainsi, la personne se sentira concernée par ce qu’elle vit