Le sport ne produit-il pas sur les femmes une violence meurtrière ?

Ronan David est docteur en sociologie, et membre du comité de rédaction de la revue Illusio, laquelle ne cesse d’interroger les mythes de la société contemporaine. Il reste qu’à côté des mythes de bien réelles césures partagent sans cesse les êtres humains, au cœur même de nos sociétés. Parmi elles, le sexisme, le machisme, dont on a largement étudié la prégnance dans de nombreux domaines. Mais pas tous. Il y a aussi le sport, et notamment le sport de compétition. Il mérite un examen. Car, souligne d’emblée l’auteur, l’institution sportive est demeurée un territoire réservé aux hommes. La raison : pour y acquérir et entretenir leur virilité. Cette raison est-elle suffisante ? C’est tout l’enjeu de cet opuscule, qui a le mérite de rendre compte de la domination masculine dans le sport avec pertinence et efficacité.

 

Virilité, force, puissance, vitesse, violence, culte du corps musculeux et dominateur, telles sont les représentations habituelles (et peu récentes) qui gouvernent le rapport au sport. À cela s’ajoute que la compétition sportive porte en elle les germes d’un rapport au monde fondé sur la domination. Pourtant, les femmes ont su résister, et ont désormais largement investi l’institution sportive afin de se l’approprier. Parité, mixité, deviennent des termes centraux. Ce qui ne va pas toujours de soi, car on peut encore tomber dans de nouveaux pièges : avoir recours aux femmes pour sauver une institution trop violente en leur imposant le rôle de retrouver les valeurs premières du sport, instrumentaliser le sport pour le muer en nouvel espace d’émancipation séparé, etc. La rectification des stéréotypes n’est pas achevée. La bataille du sport n’est pas sans danger.

 

Le sport pourrait-il devenir le domaine où se réaliserait l’égalité entre hommes et femmes ? L’auteur n’affiche pas un tel optimisme. Appuyé sur une théorie de l’aliénation de l’homme par le sport de compétition, il n’oublie pas que la logique de compétition et de rendement n’abolira pas d’un coup les dominations. De fait, ajoute-t-il, la logique sportive est essentiellement axée sur la conservation des identités, la stabilisation et la justification de l’ordre sexué. Le sport de compétition est totalement réfractaire à des logiques de mixité et d’échange entre les sexes.

 

Afin de déployer le résultat de ses enquêtes, l’auteur s’inspire de la théorie des appareils idéologiques d’État, célèbre dans les années 1990 (dans la veine de Louis Althusser), corrigée, par le sociologue Patrick Vassort, en théorie des « appareils stratégiques capitalistes ». Ces appareils tendent à produire une idéologie mondialisée, afin de favoriser la circulation du capital et la mise en concurrence et en compétition de l’ensemble des vivants, et produit dans le même temps de fausses identifications. Le sport en participe en développant la performance par laquelle s’exercent des contrôles nouveaux. Le problème est évidemment de savoir si la participation des femmes à ce monde sportif est ouverte au profit d’une extension des mêmes mœurs aux femmes et donc au profit d’un élargissement du recrutement pour mettre tout le monde en compétition, ou bien au profit d’un univers qui pourrait être transformé sous le coup de ces nouveaux investissements, voire de savoir si un véritable combat ne se livre pas là pour la remise en cause les stéréotypes. Et que dire devant la décision des Nations unies de défendre le port du voile des femmes lors des matchs de football (Iran, pays arabes), quand on n’autorise pas la séparation des sexes dans les stades, ou quand on affiche désormais les femmes dans les calendriers sportivo-érotiques à la manière des calendriers masculins ? Est-ce cela l’égalité ?

 

L’auteur pense finalement qu’il importe en réalité très peu au mouvement sportif que les femmes puissent s’émanciper des multiples déterminismes qui pèsent sur elles. Ce qui compte c’est la participation massive de l’ensemble des vivants à ces compétitions car la logique anthropophage de l’institution sportive vise à épuiser toujours davantage de corps. Le monde sportif a besoin de ces produits interchangeables, de ces produits de marketing afin de faire réaliser plus de bénéfices à l’entreprise sportive. Dans de très nombreux cas, aussi, les joueuses se succèdent dans les stades pour mieux accroitre les profits et l’attractivité des sports.

 

La démonstration occupe quatre chapitres. Le premier est consacré à l’égalité répressive de l’universalisme sportif ; le deuxième à l’entreprise de domination virile que représente le sport ; le troisième à la destruction des corps féminins par le sport, et la quatrième à la rationalisation des corps sexués.

 

Si l’on devait résumer la thèse, cela donnerait ceci : L’institution sportive empêche tout à la fois l’émancipation et la libération des femmes en soumettant les corps à la logique de la compétition et de la réification. Contre la vie, la chair, l’érotisme, se dresse toujours l’institution sportive virile qui détruit et broie les corps des hommes et des femmes, qui s’approprie la différence des sexes pour mieux la contrôler, poursuit l’auteur. À voir comment les corps sportifs sont meurtris et abimés par l’entraînement et la compétition sportive – désordres alimentaires, aménorrhée et ostéoporose (la triade de l’athlétisme féminin) – on se prend à adhérer au raisonnement proposé. Et que l’on n’oublie pas le dopage, qui s’inscrit pleinement dans la logique de la médecine sportive, cette médecine de la performance, disons une médecine de la production et non une médecine du soin. Sans parler de l’absorption massive de contraceptifs, du contrôle des règles et autres processus qui ne sont guère faits pour libérer les femmes de l’identité dans laquelle elles sont enfermées, comme les hommes par ailleurs.

 

Ce qui manque tout de même à cette analyse, c’est une ouverture sur d’autres pratiques possibles du sport. Manière de laisser quelque espoir de pouvoir pratiquer un sport sans tomber dans la logique de l’institution sportive