"La Révolution du féminin" ou l’intranquillité de l’être femme.

Question à 1000 francs : qu’est-ce qu’être femme ? A la lecture du livre La Révolution du féminin, une première évidence saute aux yeux, être femme c’est n’être jamais pénard. Eh oui ! que vous soyez jeune, âgée, mère, célibataire, homo, hétéro, secrétaire ou PDG, il y aura toujours un discours ou quelqu’un vous reprochant de ne pas faire comme il faut, d’être égoïste, soumise, autoritaire, régressive, écervelée etc. etc. « Fais pas ci, fais pas ça »  ... Dutronc aurait donc pu entonner son air pour une bonne moitié de l’humanité. Explication en caractères imprimés.

Dans son livre La Révolution du féminin, Camille Froidevaux-Metterie reprend l’histoire du féminin et montre par quelles évolutions le statut et la pensée de la femme sont passés. Ce qu’elle appelle « révolution » est la transformation du point de vue porté sur les femmes et la transformation de leur statut au sein de la société politique. Le texte s’organise en trois parties : l’autrice   explore d’abord la « désexualisation du vivre-ensemble » qui fait bouger les frontières établies entre les domaines public, privé et intime. A travers une étude des doctrines philosophiques depuis Aristote jusqu’aux théoriciennes du care en passant par les philosophes libéraux du XVIIIe siècle, elle montre comment la condition féminine creuse le chemin de l’émancipation de la femme et de l’égalité entre homme et femme. Ensuite, en brossant des « généalogies du féminin », elle étudie comment l’anthropologie, la psychanalyse et la théorie féministe ont dit la femme. Enfin, dans une dernière partie, elle propose de rendre compte de « l’expérience du féminin » par la phénoménologie en redonnant au corps féminin voix au chapitre.

Très documenté, le livre présente une histoire des doctrines et des théories ayant contribué à penser la condition féminine. Il nous rappelle donc (si on l’avait oublié) que sur l’échelle hiérarchique des êtres existants Aristote situe la femme juste après l’animal et bien sûr avant l’homme, qu’elle n’est donc que mammifère reproducteur servant l’espèce mais ne possédant pas une âme intellective lui permettant de disserter sur les phénomènes du ciel et de la terre. Sans nous attarder (ni nous énerver) sur Rousseau autrement appelé « méfiance-des-femmes.fr » ou Locke pour qui l’équivalence femme-domestique est une évidence, nous nous arrêterons sur la dernière partie de l’ouvrage, celle où l’autrice ose dire « je » et qui donne envie de continuer les questionnements qu’elle pose. Nous disons « ose », car l’autrice explique les raisons qui la poussent à prendre la parole à la première personne du singulier, subjectivité nécessaire pour rendre compte de « l’expérience vécue » de l’être femme, de ce qu’est « se vivre femme aujourd’hui »   . C’est pourquoi elle propose le discours subjectif et incarné comme méthode. Camille Froidevaux-Metterie dit : « Paradoxalement, c’est en assumant le point de vue qui est le nôtre, en ne nous dissimulant pas derrière le voile de l’abstraction universaliste et en assumant une réflexion à la première personne que nous pouvons soutenir la gageure de la montée en généralité : à partir de notre situation propre, qui n’est pas celle de toutes les femmes, nous allons essayer d’accéder à une interprétation générique qui vaille par-delà la diversité des expériences subjectives. »   . Et pour ce faire, c’est la phénoménologie qui servira d’outil. Elle écrit : « En faisant nôtre cette définition de Merleau-Ponty selon laquelle « la phénoménologie, c’est la décision de demander à l’expérience elle-même son propre sens », nous nous proposons de faire retour sur l’expérience du féminin telle qu’elle nous est donnée personnellement. Alors, certes, nous prenons là un risque, celui de la polarité axiologique, car « on ne décrit pas sans être impliqué dans ce que l’on décrit, ce qui suppose des choix, des omissions, des partis pris ». 

Or, si cette tentative d’établir un cogito féminin actuel retient notre attention et nous enthousiasme d’emblée (chouette, un discours féminin d’affirmation se dit-on), on reste déçu. Car ce cogito féminin s’avère introuvable. Serait-ce que l’autrice se sente finalement illégitime pour user du « je », et n’en use en définitive pas assez (dire « je » n’est pas qu’apporter un témoignage) ? Ou bien parce que le particulier ne parvient toujours pas à rendre compte du général ? Ou parce le projet phénoménologique ne s’accorde pas au propos de science politique ? Ou encore parce que trop de sujets sont abordés pêle-mêle ?

Et en effet, alors que l’intention explicite est de réhabiliter le corps des femmes, non pas pour renvoyer encore et toujours les femmes à leur corps et (in fine) leur condition gestative, mais dans une perspective phénoménologique pour rendre compte de la conscience du féminin qui passe forcément par le corps propre et l’expérience que l’on en a, il semble qu’on y voit trouble à l’abordage tous azimuts de sujets tournant autour des femmes. Ainsi, sont évoqués le corps, la beauté, les règles, la ménopause, la rivalité féminine, le vieillissement, la petite vérole, l’enfantement, le désir d’enfant, la grossesse, la potentialité maternelle, l’allaitement, la gestation extra-utérine et l’utérus artificiel... Autant d’événements inhérents au corps des femmes, que vivent les femmes certes, mais dont le corps des femmes ne garde pas l’exclusivité (sauf pour certains encore). L’autrice aborde ces sujets en reprenant des questionnements réels, et qui font polémique voire déchaînent les un.es et les autres. On y apprend des tas de choses, mais on se perd aussi dans ces événements du féminin qui ne suffisent pas à le définir, ce féminin.

Car s’il y a une généralité vraie apparaissant à la lecture de l’ouvrage, c’est bien celle qui fait des femmes des sujets sous influence. Dans la riche documentation que C. Froidevaux-Metterie présente en discutant les points de vue, on s’étonne de lire des propos frôlant parfois le dogmatisme ou le moralisme et qui contribuent à faire des femmes des mineures, c’est-à-dire, des êtres sous tutelle, dont il faut assurer l’éducation et la surveillance. Et, c’est surtout quand le féminin est pensé à l’aune de la maternité possible que les brouillards se lèvent et les propos se font insensés. Pourquoi ne veut-on pas réellement croire qu’une femme agit ou pense de son propre chef ? Ainsi, on s’étonne de lire sous la plume du philosophe Marcel Gauchet une critique du désir d’enfant et de « l’enfant du désir » émanant « d’une femme qui voit dans l’enfantement une expérience personnelle »   . On s’étonne car il apparaît que la grossesse soit avant tout une expérience éminemment sociale qui oblige la future mère au respect d’un certain nombre des règles en vue du bien de l’enfant à naître, qui l’expose au regard différent des autres sur elle. Cela induit l’autrice à poursuivre cette idée à notre sens fausse en disant que « c’est pour soi que l’on fait désormais des bébés ». Mais qu’est-ce donc que ce  « pour soi » ? Le désir d’enfant semble relever d’une structure bien plus complexe que celle d’un pour soi personnel. De même, C. Froidevaux-Metterie cite (sans pour autant la suivre) la philosophe E. Badinter qui dénonçait   un « retour en force du naturalisme »   dans le fait que les mères souhaitent allaiter au sein leurs bébés, poussées qu’elles seraient par le discours social promouvant un « idéal de la bonne mère ». Là encore, la femme est sous influence quoi qu’elle décide de faire. Ces assertions sonnent donc comme les blâmes de vieux moralistes ne comprenant pas le monde de nouvelles générations, ou tout simplement les effets de mode.

Convaincante dans sa recherche du féminin contemporain, C. Froidevaux-Metterie voit plus juste en précisant que si l’on parle de désir d’enfant, c’est essentiellement parce qu’il y a possibilité pour les femmes de choisir d’en avoir ou pas. Or, dit-elle, cette « survalorisation du choix [...] rend difficile la décision d’avoir un enfant »   . Elle souligne que « la norme dominante veut que l’accomplissement professionnel et l’indépendance matérielle l’emportent désormais sur l’éventualité maternelle »   et analyse le « processus de dématernalisation  de la condition féminine ». Elle écrit : « il faut bien mesurer la portée de cet affranchissement : d’horizon à la fois inesquivable et exclusif, la maternité est devenue une simple potentialité ». Et, « une telle dissociation de la maternité et de la subjectivité féminine constitue une immense nouveauté »   .

Alors, l’idée de réhabiliter la corporéité féminine se fait plus claire, et prend le contrepied de certaines théoriciennes féministes (passées et contemporaines) qui passent le corps des femmes sous silence, enjoignant les femmes à devenir des hommes comme les autres. Car, selon C. Froidevaux-Metterie, les théoriciennes féministes ont une responsabilité quant à la dévalorisation perpétuée de la corporéité féminine : « En réfléchissant aux modalités de la domination patriarcale, elles ont contribué à enraciner les représentations négatives associées au corps des femmes. Ainsi pour s’affirmer comme des individus de droits, ces dernières devraient effacer en elles ce qui les ramène à leur condition concrète et se présenter au monde comme des êtres que rien ne distingue des autres. »   . Ainsi les femmes doivent-elles dissimuler leurs menstruations par exemple, et regretter que rien ne soit conçu dans l’espace des villes pour ce moment particulier. Rendre compte de « l’expérience vécue » en se disant donc, c'est redonner corps au corps des femmes, parce qu’être femme c’est vivre dans un corps de femme. L’autrice explique : « être femme, ce n’est pas avoir un corps féminin, c’est être ce corps. Si depuis toujours, la corporéité féminine est indissociable de la subjectivité féminine, aujourd’hui, elle forme le socle même d’une identité devenue problématique »   . De l’affirmation du corps donc au questionnement du regard sur ce corps, elle en vient à « penser la beauté féminine dans sa dimension de projet ». Si la femme est en quête de beauté, c’est parce que « toute femme sait qu’en sortant dans le monde, elle s’expose »   . La quête de la beauté est alors « modalité d’être au monde placée sous le signe de l’incarnation »   . La femme ne pouvant faire l’économie de ce type de rapport à soi, il devient constitutif de son identité. C’est pourquoi Froidevaux-Metterie rejette l’idée que la femme apprêtée est une victime de la mode : « le schème interprétatif féministe qui associe la séduction à la soumission et la beauté à la compromission est erroné ». Pas victime mais plutôt désireuse de se faire belle, comme si la beauté créait l’être. 

Enfin, cette question du corps à oublier ou à expérimenter pour se faire sujet féminin amènera à prendre position pour ou contre l’utérus artificiel. Il y a celles qui y voient une véritable libération de la femme enfin délivrée de la biologie, celles qui rejetteront toujours cette appropriation (masculine ?) de ce qui reste profondément féminin : l’exclusivité de l’expérience de la gestation humaine. Or, ces questions du corps féminin ne concernent pas que le débat féministe et prennent un autre sens si on les regarde sous le prisme de la technique et de sa place dans notre société. Jacques Ellul définissait la technique   comme « la recherche en toutes choses de la méthode absolument la plus efficace »   . Alors, l’utérus artificiel s’avère être une aliénation technicienne et non une libération des femmes. 

En bref, si La Révolution du féminin ne convainc pas toujours quant à l’effectivité de cette révolution (ce qui n’est en rien le fait de l’autrice), le texte présente de nombreuses entrées dans les questions féministes et de quoi nourrir la réflexion

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