S’est déroulée vendredi au théâtre de l’Odéon une rencontre avec Angélica Liddell, animée par Arnaud Laporte (journaliste à France Culture). Les Scènes imaginaires proposent d’explorer l’univers d’un artiste à travers des textes qu’il choisit. Au programme ce soir là, Le Pavillon d’or de Yukio Mishima, Hypérion de Friedrich Hölderlin, Les Hauts de Hurlevent, d’Emily Brontë, Tandis que j’agonise de William Faulkner, des passages de la Bible et du dernier texte de Liddell, Mes yeux, blancs comme ton sperme.

La lecture d’extraits du Pavillon d’or permet à Angelica Liddell de revenir sur son rapport à la beauté. Celle-ci n’est pas un moyen de salut, pour l’auteure espagnole. Il n’y a pas de salvation. En se confrontant à la beauté on se condamne soi-même dit-elle. Ceux qui n’ont pas à se confronter à la beauté vivent sûrement plus heureux. Le journaliste la taquine alors en lui faisant remarquer qu’elle était au Louvre ce matin. Angelica Liddell répond : « ça me déprime beaucoup. Léonard de Vinci me déprime beaucoup. Demain, j’y retourne ».

L’art par contre est ce qui lui permet de se sauver la vie, et d’exulter ses envies de meurtre. Angélica Liddell confie en effet sur la scène de l’Odéon son penchant pour l’homicide, et avoue se sentir plus proche des psychopathes que des poètes. Sans le théâtre, elle aurait fini en asile ou en prison affirme-t-elle. L’acte de création vient d’une ultra-sensibilité à la laideur, Angélica Liddell voit d’abord la monstruosité du monde, combien il est dégoûtant. L’écriture jaillit alors d’une haine envers le monde. « Le théâtre et l’écriture sont pour moi des  moyens de me venger » dit-elle.

D’où vient cette haine ? Peut-être d’une enfance passée sous la dictature, avec le poids de la religion et de la domination masculine pour cette fille de militaire franquiste. Elle s’est rebellée très jeune contre la violence, la brutalité et l’ignorance, elle vont les grands-parents ne savaient ni lire ni écrire.

L’amour même a plus à voir avec le mal qu’avec le bien, il nous met en contact avec cette part d’irrationnel et nous fait rentrer dans des états violents. L’auteure a souvent dit : « Aimer c’est se sentir abandonné à chaque instant ». Comme s’il fallait envisager sa propre destruction pour arriver à vivre. L’homme n’accède pas à lui-même si ce n’est en se détruisant.

Il y a l’amour, et il y a son revers, le désamour, et l’humiliation qui est à l’origine de l’écriture d’Angélica Liddell. C’est Pascal Quignard qui dit : « la plus grande humiliation c’est de ne pas se sentir aimé », la plus grande humiliation c’est l’amour non-réciproque.

Selon Arnaud Laporte, il y a un malentendu persistant à propos de l’œuvre d’Angélica Liddell, qu’on qualifie de théâtre de la souffrance, alors qu’avorter de la monstruosité du monde permet d’admirer la vie et de penser. « Je pense grâce à la haine. Si je n’éprouvais pas cette haine, je ne pourrais pas écrire ni penser » dit l’auteure.

Quant à l’utilisation de son corps sur scène, qu’elle malmène, Angélica Liddell indique qu’il s’agit d’un exorcisme. Elle rapproche son travail d’un rite italien, le tarentisme de Pouilles. Ce qu’elle fait sur scène, c’est ce qu’elle ne peut pas faire en société à cause du pacte social. Elle se défend d’être une actrice : « Je ne suis pas une actrice car sur scène j’enlève le masque ».

« J’écris, et c’est une vengeance contre le fait d’être né. Les femmes enceintes me dégoûtent – et ça n’a rien à voir avec des revendications féministes. Cioran dit ça aussi. »

Ce n’est pas une violence contre Dieu. Ca n’a rien à voir avec le sacré, mais avec le prosaïsme de la vie. C’est simplement un rejet et une incapacité à supporter que nous naissions du ventre d’une femme, explique l’auteure.

La Bible est peut-être la plus grande influence d’Angélica Liddell : « J’ai étudié dans des écoles religieuses et heureusement j’ai découvert un livre merveilleux. Il faut voir la beauté formelle des livres d’Isaïe et de Job. Quand je dois écrire je lis la Bible avant. L’histoire d’Abraham m’a permis de penser le fait théâtral comme sacrifice. Le livre de Job pose cette grande question : pourquoi ? Job est le seul personnage de la Bible qui ose se confronter à Dieu, se disputer avec lui. Et à la fin il y a une chose merveilleuse, Dieu lui répond et lui rend tout ce qu’il lui avait enlevé. »

La soirée s’achève par une lecture d’un extrait de son texte Mes yeux, blancs comme ton sperme : « Je crains tellement la vie que seul mon fantôme pourra t’aimer »

 

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- La critique de « Todo El Cielo Sobre La Tierra » d'Angélica Liddell, par Nicolas Leron