De Descartes à Dark Vador, de Titeuf à William Wordsworth, ou encore de Freud à Titanic, ce petit opuscule, écrit sous forme de dialogue, joue les grands écarts entre les mondes. S’agissant d’expliquer l’inconscient, pourrait-il en être autrement ?

« C’est quoi exactement l’inconscient ? Mais quelle est la différence entre un sorcier, un prêtre, un psychiatre et un psychologue ? Tout le monde sait-il qu’il a un inconscient ? C’est quoi l’esprit ? Et mon rêve, il signifie quoi ? Tu veux dire que j’ai oublié ce que j’ai dit et pensé quand j’étais plus petit ? Tu ne crois pas que tout ça c’est un peu démodé ? Est-ce que le côté obscur est présent chez tout le monde ? Est-ce que l’inconscient explique entièrement ce que nous sommes ? ». Dans ce petit ouvrage de 116 pages, l’inconscient est interrogé suivant des voies les plus simples et directes. Face aux questions, Elisabeth Roudinesco   , historienne de la psychanalyse, femme de lettres et auteure engagée, répond aux interrogations d’une jeunesse cultivée. Elle nous invite dans une promenade formée de métaphores, de figures mythiques autant que de films, de peintures ou de poèmes pour nous raconter l’inconscient. Les réponses sont limpides, écrites avec des termes clairs et accessibles. Les figures servant à illustrer les notions psychanalytiques sont celles du quotidien, permettant à chacun de pouvoir découvrir l’inconscient. Loin des théorisations pour spécialistes, nul doute qu’il puisse plaire aux adolescents.


L’inconscient y est d’abord présenté dans une acception générale et non seulement psychanalytique. L’inconscient freudien n’est ainsi pas le seul objet du livre. Freud n’apparaît d’ailleurs pas tout de suite dans les propos de l’auteur, les premiers chapitres nous invitant agréablement à penser les origines du monde, l’histoire des civilisations, la place du cerveau et de la biologie dans le fonctionnement psychique. Puis peu à peu, apparaissent des notions complémentaires (le refoulement, le moi, le ça, le surmoi, les pulsions, l’Œdipe, etc.) utiles pour bâtir une représentation plus riche du fonctionnement psychique. Mais ces notions ne sont pas forcément suffisamment déployées, et souvent nous aurions apprécié, au fil de l’ouvrage, les voir précisées et mieux articulées entre elles. L’inconscient nous apparaît comme parfois un brin chosifié, devenant alors un objet propre, une sorte d’entité distincte dans le fonctionnement psychique. Cette réification de l’inconscient offre un propos d’ensemble qui s’organise parfois aux dépens d’une conception plus globale du fonctionnement de l’appareil psychique. Or, une telle conception de l’inconscient nous apparaît quelque peu datée, issue d’une psychanalyse dite de première topique. En effet, la part belle est donnée aux rêves, aux actes manqués et autres lapsus, bref, à tout ce qui constitue la première conception freudienne du fonctionnement psychique. S’appuyant sur l’étude des rêves, la psychopathologie de la vie quotidienne et le mot d’esprit, Freud avait en effet initialement pensé l’inconscient suivant ses modalités d’expressions ancrées dans le champ du langage verbal. Mais le développement de la psychanalyse ne s’est pas arrêté là, et nous savons aujourd’hui que l’inconscient n’est pas seulement organisé suivant des voies langagières, sauf à considérer « la dimension messagère de la pulsion »   et les différentes formes d’adresse langagière. Ne serait-il pas plus heuristique, fécond pour la pensée, de concevoir cette notion sans majuscule, comme un adjectif ? La psychanalyse actuelle tâche en effet de penser les « effets inconscients », les « processus inconscients » à l’œuvre, qui eux, s’expriment non seulement par le langage verbal, mais aussi par toute autre forme de communication, quand bien même celle-ci témoignerait d’une souffrance des processus de symbolisation. L’inconscient s’exprime aussi en actes, en pensées, en formes et en émotions, ou pour mieux dire, suivant les langages de l’affect et les langages du corps…


Ainsi passé à la loupe, l’inconscient souffre parfois de quelques simplifications. En grossissant les bords et en déformant les champs qui l’environnent, cette loupe restreint la perception du fonctionnement de l’appareil psychique. Mais c’est bien là le jeu d’un tel type d’ouvrage   ; son format ne permet sans doute pas de soutenir la complexité propre au fonctionnement psychique. Les réductions inévitables, produites par l’usage des métaphores pour expliquer les concepts, feront sans doute parfois grincer des dents les spécialistes. Aussi, cet ouvrage froissera-t-il peut-être l’attachement des plus puristes d’entre nous envers leurs conceptions psychanalytiques, mais cet ouvrage leur est-il seulement destiné ? Leur est-il même accessible ? Si ce petit opuscule s’adresse à tout un chacun, son lectorat privilégié pourrait bien être celui de la jeunesse adolescente. Ce livre pourra aisément être lu par des collégiens. Aux âges plus tendres, il paraîtra sans doute un peu trop ardu. Aux lycéens, il pourra utilement se présenter comme une belle introduction aux conceptions psychanalytiques, avec le risque cependant de ne pas forcément être à la hauteur des exigences caractéristiques de la pensée adolescente, dont nous connaissons l'appétence pour la complexité.


Certains peuvent se demander quel sens cela a, au XXIème siècle, de proposer une telle lecture de l’inconscient, alors que la littérature de vulgarisation est monnaie courante, et que les écrits psychologiques usant de mille attraits pour se rendre accessibles remplissent déjà les bouts de rayons des supermarchés du livre. Il n’empêche que les adolescents pourraient effectivement avoir besoin d’un tel livre. Il se peut que dans le monde des adultes nul n’ignore (même s’il en réfute l’existence) les théories psychanalytiques. Mais chaque génération doit reconstruire, réinvestir les "acquis" culturels, si nous souhaitons que la jeunesse d’aujourd’hui puisse accéder à d’autres références que celles de la télé-réalité, de solutions miracles sur ordonnance, de coachs proposant des modèles « prêt-à-penser ». Si personne ne peut ignorer les effets douloureux de la vie psychique lorsque surviennent la perte et le deuil, lorsque nous envahissent l’angoisse, la dépression ou les pensées obsédantes, pour autant, quels outils possèdent les adolescents pour en comprendre l’émergence, les origines et les motifs ? Voilà en cet ouvrage une sorte de manuel d’introduction à la vie psychique. Il aurait d’ailleurs été utile de le doter d’une bibliographie indicative, voire d’un petit lexique des termes techniques utilisés, pour les jeunes lecteurs souhaitant approfondir les notions auxquelles ils ont été ici initiés.

Par ailleurs, que penser d’une présentation simplifiée de la psychanalyse à de jeunes adolescents, quand nous savons la difficulté d’accès aux soins psychanalytiques qui peut exister ? Combien d’adolescents souhaiteraient pouvoir avoir accès à une psychothérapie, à un travail de réflexion sur soi, afin d’aborder ses angoisses, ses doutes, ses tristesses, tous phénomènes liés aux bouleversements que provoquent les changements pubertaires ? Malheureusement, ces accompagnements psychiques, ces soins psychothérapiques, sont bien moins accessibles que la lecture de ce petit ouvrage. Car si la psychanalyse, en tant que théorie et conception de la vie psychique, s’est démocratisée dans la culture populaire, en tant que thérapeutique, elle n’en reste pas moins un soin pour les privilégiés. Ce livre suffira-t-il à lui seul à ouvrir les jeunes lecteurs à leur monde interne ? Gageons qu’il pourra peut-être constituer un premier jalon en ce sens. On sait comment, durant l’enfance et l’adolescence, certaines rencontres avec un objet culturel peuvent changer notre vie, comment une ou des trouvailles par le biais d’un livre, d’un film, d’une musique, d’une peinture peuvent modifier nos orientations, nos pensées ou nos façons de voir le monde. Souhaitons alors que ce livre puisse participer de cette démarche, et qu’il puisse être rencontré par le plus grand nombre.

Frais, vivifiant et au ton juste, ce petit ouvrage devrait donc permettre aux jeunes et aux moins jeunes de s’initier à la découverte de leur fonctionnement psychique, l’inconscient n’étant qu’un alibi pour engager cette démarche infinie qu’est la connaissance de soi