La sociologie clinique dresse un diagnostic accablant du monde du travail pour se poser finalement la question d’un changement possible de société 

Peu de choses trouve grâce aux yeux des auteurs dans le monde du travail actuel et ceux-ci brossent un tableau particulièrement noir du fonctionnement de celui-ci autour de l’idée d’une montée des paradoxes, qu’ils adoptent comme fil rouge tout au long du livre   .

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Le capitalisme se traduit par une exacerbation des contradictions insurmontables, expliquent-ils, qui affectent directement les individus. L’objet de ce livre est d’explorer les processus qui contribuent à ce phénomène ainsi que ses conséquences pour la société et les individus.

Les auteurs examinent ainsi successivement le développement des nouvelles technologies d’information et de communication, la financiarisation de l’économie mondiale, le changement de forme d’exercice du pouvoir dans les organisations et notamment le rôle que jouent les consultants, le développement de nouveaux discours et pratiques de management  - la révolution managériale - ainsi que d’outils de gestion, en particulier dans le domaine des ressources humaines, et la domination d’un système de pensée opératoire et binaire, chacun de ces thèmes faisant l’objet d’un chapitre distinct.

Ces processus, expliquent-ils, ont conjugué leurs effets depuis les années 1990 pour provoquer une accélération des changements dans toutes les sphères de l’activité humaine, que la notion de paradoxe ou d’injonction paradoxale contribue ainsi à éclairer (un système qui rend fou). « Lorsque les contradictions ne sont plus médiatisées par l’organisation, elles se présentent comme des oppositions difficilement conciliables »   .

On retrouve là ce que l’un des auteurs avait déjà largement exposé dans un livre précédent (et important), Travail, les raisons de la colère   , pour expliquer le développement du mal-être au travail.

Ils en analysent ensuite les conséquences en termes de manque de temps (plus on gagne de temps, moins on en a), puis en matière de communication (malaise dans la symbolisation). Dans ce contexte, les cas de burn out, de dépression et de troubles bipolaires (avec leurs deux phases caractéristiques, une phase dépressive et une phase de manie) prennent des proportions inquiétantes, indiquent-ils.

Mais tout est instruit à charge ici, ce qui finit par faire naître dans l’esprit du lecteur une certaine suspicion (la complexité de ces phénomènes peut-elle vraiment être réduite aussi simplement ?), cela alors même que certains aperçus emportent l’adhésion.

S’adapter et/ou résister, pour changer la société

La suite est plus originale (même si l’on retrouve ici également des idées déjà présentes dans le livre indiqué ci-dessus), lorsque les auteurs se penchent, dans les derniers chapitres (11 et 12), sur les stratégies d’adaptations défensives et surtout sur celles de résistances créatrices que peuvent adopter les acteurs dans ces situations.

Les premières consistent principalement dans le fait de ne plus penser, le sujet recourant pour cela, soit au clivage soit au déni, développant souvent parallèlement une hyperactivité. Leur coût psychique peut être considérable.

Les secondes passent, à la fois, par « un travail réflexif d’analyse et d’élaboration, un travail psychique de désinvestissement, de déliaison, de désincorporation, de dégagement par rapport à l’emprise de l’organisation [et] un travail sur l’organisation [à l’articulation entre l’individu et la société] pour modifier les outils, les pratiques et les comportements qui génèrent et alimentent les paradoxes »   .

Et ce livre prend ici, finalement, la forme d’un engagement à agir (même s’il reste très général et abstrait), là où l’ouvrage précédent s’attachait plutôt à définir une autre conception du management et de l’économie, ce qui lui avait valu alors quelques critiques   .

Changer le système nécessite, nous expliquent les auteurs, de conjuguer les interventions aux différents niveaux, pour redonner au politique son rôle de médiateur des contradictions, mobiliser l’intelligence collective pour produire du sens, considérer en toute circonstance chaque individu en tant que sujet et enfin prendre la mesure de l’importance de la dimension symbolique pour toute communauté humaine, dont ils espèrent que cela puisse être un « guide pour l’action, […] pour les dirigeants qui nous gouvernent, pour les responsables institutionnels, mais aussi pour les citoyens, les militants et les intervenants qui pensent qu’un autre monde est possible »   .

C’est du reste, nous expliquent-ils (trop rapidement, à cette toute fin du livre), la position qu’ont adoptée de nombreux mouvements dans le monde   , où l’on pourrait voir une préfiguration du changement de société qu’ils appellent alors de leurs vœux. 

 

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