Un aperçu sur la politique européenne de Tony Blair, à l'heure où celui-ci postule à la présidence de l'Union européenne.

Premier ministre, Tony Blair, se décrivait lui même lors d'un discours devant le Parlement européen en juin 2005, comme "un pro-européen passionné". Mais après dix ans à la tête du gouvernement britannique quel bilan peut-on faire de sa politique européenne ? Les quatorze articles de cet ouvrage collectif tentent de répondre à cette question.

On serait tenté de recommander au lecteur de débuter ce livre par la contribution de Stephan Wall   , représentant du Royaume-Uni auprès de l'Union européenne de 1995 à 2000 puis conseiller de T. Blair pour les affaires européennes. Il offre un témoignage à la fois vivant et personnel de cette période au plus proche du pouvoir politique. Il analyse parfaitement comment l'adoption de la Charte sociale, les positions prises concernant l'euro puis le texte constitutionnel ou encore les progrès de la défense européenne ont été des arbitrages constants entre convictions, réalisme politique, rapports de force au sein du parti travailliste et état de l'opinion publique. Le lecteur pourra ensuite reprendre une lecture linéaire des treize autres articles au style plus universitaire qui commencent par  décrire les positions européennes des partis britanniques, puis  analysent les principes d’actions du gouvernement Blair dans le domaine européen.


Des partis gagnés par l'euroscepticisme

A droite, la radicalisation du discours anti-européen est très marqué. Après la défaite de 1997, l'eurosceptique devient pour les Conservateurs le seul élément différenciant face d'un New Labour qui s'est approprié certains de ses thèmes traditionnels   . Les leaders pro-européens Tories sont progressivement écartés. Ce discours donne de bons résultats aux élections européennes de 1999, mais est insuffisant pour gagner  les législatives de 2001 ou de 2005. David Cameron à la tête des Tories, depuis décembre 2005, met désormais en "sourdine" le discours anti-européen pour réinvestir les thématiques économiques et sociales. Cette période est également marquée par l'apparition de l'Independent Party (UKIP), le seul à proposer le retrait de l'Union européenne   . Ce parti populiste, né en 1997, aux résultats anecdotiques aux élections nationales britanniques (0,3% en 1997 et 2,3% en 2005), réussit néanmoins à obtenir en 2004, avec 16% des voix, 12 députés au Parlement européen.

Mais l'euroscepticisme touche également un parti aussi pro-européen que le Liberal Democrat Party (LDP). L'article de Christophe Le Dreaut montre que les militants et l'électorat du LDP ne sont pas unanimement favorables à l'intégration européenne et que des lignes de fracture apparaissent depuis quelques années au sein de sa direction sur des sujets tels que la PAC ou le budget européen.


La régionalisation au secours de l'Europe ?

De manière très intéressante les articles de Gilles Leydier et d'Edwige Camp abordent la façon dont l'Écosse traite des questions européennes depuis la "devolution" c'est à dire l'instauration d'institutions "régionales" en 1999. Le Scottish National Party (SNP) semble évoluer à rebours de la plupart des partis du Royaume-Uni. Hostile au maintien dans la CEE lors du référendum de 1975, il se rallie progressivement à l'intégration européenne au cours des années 80. Depuis 1999, second parti d'Écosse et opposition officielle au sein du Parlement d'Édimbourg, il dénonce la position frileuse du Labour en matière européenne, notamment sur l'euro. Cependant, lors du débat sur le texte constitutionnel, la position pro-européenne du SNP est  influencée par les intérêts locaux : défense des pêcheurs et appel à voter non en cas de référendum. Malgré des partis pour la plupart officiellement pro-européens, l'opinion publique  écossaise est à peine plus acquise à l'intégration européenne que la moyenne des Britanniques.

De manière assez surprenante, aucun article n'est consacré dans cet ouvrage à la manière dont le Labour, qui n'est pas exempt de tentations eurosceptiques, réagit aux débats européens de la période. Doit on en conclure que les positions du gouvernement ont été unanimement soutenues par le parti ?


La politique européenne de Tony Blair, entre convictions et réalisme politique

De France, on ne retient généralement de la politique européenne de Tony Blair que les conséquences de l'affaire irakienne et  le refus de l'euro. La seconde partie de cet ouvrage dresse un bilan heureusement plus nuancé. Deux articles rappellent que le gouvernement de Tony Blair a adopté au cours de ses premières années de mandat deux textes important d'inspiration européenne. Dès son arrivée au pouvoir, le parti travailliste adopte la Charte sociale européenne comme il s’y était engagé auprès des syndicats. L'article de Joëlle Harel décrit combien la transposition de ce texte a créé des changements considérables dans le système britannique : en matière de salaire minimum, de congés payés et  de relations entreprises/salariés.

Peut-être moins connu est l'impact de l'adoption en 1998 de la loi sur les droits de l'homme (Human Rights Act). Ce texte  met le droit anglais en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme. L'article de Patrica Kinder-Gest montre l'importance des effets produits par cette loi sur l'équilibre des pouvoirs entre le pouvoir législatif et judiciaire. Il engendre notamment l'abolition du Lord Chancellor et des Law Lords, fonctions profondément ancrées dans les institutions britanniques.


Efficacité économique et modernité face à la mondialisation

Tony Blair va constamment chercher à faire rentrer l'Union européenne dans la réalité de la mondialisation sur le plan social comme en matière d'éducation et de recherche. Une fois signataire de la Charte sociale, le Royaume-Uni agit pour faire évoluer ce modèle social, qu'il considère obsolète face aux défis de la mondialisation, vers plus de flexibilité et de concurrence en s'appuyant, le cas échéant, sur des alliés libéraux, notamment le gouvernement Aznar   . De même Tony Blair défend-il la nécessité pour l'Union européenne de concentrer ses ressources sur la formation et la recherche, avec comme corolaire un désengagement sur l'agriculture et les fonds structurels.   . Ces recettes "à l'anglaise", s'inspirant des politiques mises en oeuvre nationalement reçoivent un  accueil mitigé au sein de l'Union.

Mais le principal enjeu économique de la période est sans aucun doute l'intégration du Royaume-Uni au sein la zone euro. Cette perspective a connu une "fenêtre de tir" qui s'est rapidement refermée. L'article de Carine Berberi et Nathalie Champoux explique les raisons à la fois économiques et de stratégie électorale qui ont conduit un Labour, par ailleurs divisé sur la question, à ne pas prendre de risques sur l'euro.


Défense et politique étrangère européennes, victimes collatérales du conflit irakien

En matière de politique européenne de sécurité et de défense (PESD), le mandat de Tony Blair commençait sous les meilleurs augures, notamment grâce aux décisions du sommet  franco-britannique de Saint-Malo en 1998. L'article décrit parfaitement l'exercice traditionnel d'équilibriste joué par le Royaume-Uni pour maintenir à la fois un lien transatlantique fort et un ancrage dans l'Union européenne. Il explique pourquoi Londres fera toujours prévaloir l'OTAN sur la PESD. Plus encore que la PESD, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) a souffert de la crise irakienne et des dissensions européennes. Pauline Schnapper montre une PESC durablement affaiblie mais qui continue néanmoins de fonctionner. La crise irakienne a prouvé aux États membres que seul un front commun rend l'Europe crédible au niveau international. 


De cet ouvrage on retiendra finalement que Tony Blair en quittant ses fonctions peut se féliciter d'avoir réussi à sortir le Royaume-Uni de son isolement au sein de l'Union, ceci en dépit de sa position sur l'Irak, et d'avoir renforcé son influence au sein des institutions communautaires. A ce titre, on regrettera l'absence  d'une analyse consacrée à l'élargissement et aux relations du Royaume-Uni et des pays de la "nouvelle Europe" qui ont contribué à remettre l'Angleterre au centre du jeu communautaire. Tony Blair aura par contre échoué à rapprocher l'opinion publique britannique de l'Union européenne et aura manqué une occasion historique de faire entrer le Royaume-Uni dans la zone euro. Comme le dit Stephen Wall en conclusion de son article:  "j'aurais aimé qu'il consacre à l'Europe une petite partie de l'énergie qu'il a dépensé à propos de l'Irak. (...) Je le suis [déçu]. Il aurait pu faire tellement plus". Yes indeed !


* Pour aller plus loin :
- lire les critiques du livre de Florence Faucher-King et Patrick Le Galès, Tony Blair 1997-2007. Le bilan des réformes (Presses de Sciences Po), par Henri Verdier et par Éloïse Cohen-de Timary.
- lire la critique du livre dirigé par Jean-Philippe Fons, Le parti conservateur britannique 1997-2007. Crises et reconstruction (PUR), par Céline Forgues.
- lire la critique du livre Jean-Louis Thiériot, Margaret Thatcher, de l'épicerie à la Chambre des Lords (De Fallois), par Mathieu Laine.


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