Dans un ouvrage qui, cinq ans après sa première publication, reste d'actualité, Alain Bourdin dresse le bilan de l'urbanisme libéral qui domine selon lui depuis les années 80 et appelle à la mise en place d'un urbanisme d'après crise qu'il nomme également urbanisme de régulation.

Quatre ans après la parution de cet ouvrage, Alain Bourdin, dans la nouvelle préface à cette édition en format poche, affirme que nous sommes encore aujourd’hui, en matière d’urbanisme, dans « la crise, plus que l’après crise ». Si, sous certains aspects, la dynamique du changement s’est enclenchée, elle se fait encore timide, ce qui rend la lecture de cet ouvrage toujours aussi utile qu’en 2010. Cet essai, dont l’écriture peut sembler de prime abord spontanée, abrite un contenu riche par les nombreuses réflexions auxquelles il invite et par les questions – sans réponses, ce n’en est ni l’ambition ni le propos – qu’il pose. L’auteur, sociologue et urbaniste, professeur à l’Institut français d’urbanisme, met en exergue les impacts de ce qu’il appelle l’urbanisme libéral sur les façons de « faire la ville » et suggère quelques pistes pour bâtir un « urbanisme d’après crise » renouvelé.

Depuis les années 1980, l’urbanisme dominant, d’inspiration libérale, accorde la prépondérance à l’« artifice » rutilant et à l’événement. Quant au succès du marketing urbain, il a lieu aux dépens d’un important volume de territoires peu insérés dans les réseaux métropolitains et jugés trop ordinaires. Les centralités se trouvent privilégiées alors que, dans le même temps, les métropoles englobent une diversité de territoires et n’ont pas « le type d’unité qui faisait les villes ». Si l’auteur ne critique pas toutes les réalisations, outils et savoirs de cet urbanisme, il invite à réaliser une « révolution copernicienne ». Il faudrait ainsi faire le deuil de l’ordre urbain et accepter l’incertitude qui est une partie intégrante de nos villes et de nos sociétés. En mettant en place ce que l’auteur appelle un urbanisme de la régulation, il deviendrait plus aisé de se réadapter constamment à l’effet de déséquilibres inévitables. Il ne s’agit pas pour autant de subir passivement le cours des choses, mais bien de se doter d’une « méthode » et de « principes » pour influer sur celui-ci : « L’urbanisme doit maintenant se développer en sachant systématiquement laisser des marges possibles pour des bifurcations […] sans pour autant renoncer à exprimer un projet stratégique et à orienter l’action » (p. 131).

Après la domination d’un urbanisme qui s’interroge peu, il serait salvateur de prendre le temps d’édifier de nouvelles théories et de se donner les moyens d’une plus grande réflexivité. Alain Bourdin plaide également pour la réalisation d’un travail cohérent dans la durée plutôt que par une succession d’à-coups, ainsi que pour une « alliance entre chercheurs, experts, acteurs et formateurs ». Il souligne l’importance de l’urbanisme, cette « fonction sociale indispensable » pour notre société et l’intérêt qu’il y a pour les professionnels de réinvestir la recherche. Il faudrait dépasser une « pensée techniciste » et réduire l’importance prise par l’image et la communication. Pour cela, il invite à accorder plus d’attention aux perceptions et aux représentations des individus ainsi qu’à « l’action dans sa réalité quotidienne » plutôt qu’à la gouvernance, aux institutions et aux normes. Si l’auteur ne prend pas le temps de réellement définir ce qu’il entend par urbanisme libéral, il en trace malgré tout les contours en expliquant que cet urbanisme « repose sur un ensemble de constantes » : concurrence, espaces centraux privilégiés, grands projets, figure centrale du consommateur, etc.

Poursuivant son objectif d’établir un « cahier des charges » de ce renouveau de l’urbanisme, Alain Bourdin identifie une série d’enjeux majeurs. À la fin de la première partie de l’ouvrage intitulée « Des croyances aux énigmes », il présente « quatre grandes énigmes auxquelles devra répondre l’urbanisme après la crise ». Ces énigmes concernent l’évaluation de la réussite des villes, leur organisation sociale, les transformations qui affectent les formes urbaines et la nécessité de se doter de savoirs en urbanisme pour penser la ville durable. Dans la seconde partie de l’essai, « Une feuille de route pour l’urbanisme », ce sont la cohésion sociale (notamment favorisée par la reconnaissance de plusieurs catégories de droits urbains) et la programmation urbaine (souple, flexible et pensée à l’échelle de l’ensemble urbain plutôt que de ses parties) qui sont mises en avant comme étant des dimensions centrales du nouvel urbanisme souhaité par l’auteur. S’il estime que le développement durable peut être une solution d’avenir, il ne le sera qu’à la condition qu’il soit placé au cœur d’une stratégie globale plutôt que limité à une liste d’indicateurs chiffrés aux conséquences (potentiellement) délétères pour les villes. Notons que certains travaux récents mettent en garde contre une action publique urbaine qui sous couvert d’améliorer nos villes en les rendant plus « durables » serait porteuse de « normes » et d’« idéologies » qui avancent masquées.

Cet essai (rapide à lire et facile d’accès) attirera en premier lieu l’attention des professionnels de l’urbanisme et des chercheurs qui travaillent sur les questions urbaines. S’ajoutent à ceux-ci leurs homologues qui s’occupent d’enjeux (en partie) liés à la ville (sociaux, économiques, culturels, etc.), ainsi que les citoyens et responsables politiques intéressés par ces questions