Le portrait d'un homme d’État au travers de ses analyses historiques et de ses réflexions les plus marquantes.

En cette période de célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale, un de ses plus importants protagonistes revient dans l'actualité avec plusieurs ouvrages qui lui sont consacrés : Georges Clemenceau.

L'une de ces publications, Le monde selon Clemenceau de l'historien Jean Garrigues, propose de façon originale de retracer le parcours du « Tigre », en réalisant une anthologie de ses propos les plus lucides, ses joutes oratoires les plus flamboyantes et ses formules les plus éclairantes.

Le parcours d'un grand républicain

Dans la première partie de son ouvrage, Jean Garrigues retrace les principales étapes du parcours de Georges Clemenceau : le vendéen des origines, le révolté face au Second Empire, le tombeur de ministères au début de la IIIe République, le dreyfusard révolté face à l'injustice, le Tigre président du conseil, le Père la victoire de 14-18, le négociateur du traité de Versailles, pour terminer par l'écrivain et le globe trotter de la fin de sa vie.

Ce qui est intéressant dans l'approche de Garrigues, c'est qu'en évoquant la vie de Clemenceau, il ne la ponctue pas seulement d'aphorismes dont certains sont passés à la postérité : « La guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires », « En amour, le meilleur moment, c'est quand on monte l'escalier », « Quand on veut enterrer un problème, il suffit de créer une commission »…

Toutes les citations sont mises en cohérence autour des grands thèmes qui ont agité son existence, l'avenir du monde, le pouvoir, les femmes, la vieillesse, les arts et les lettres. Ils permettent de dresser les lignes de force de sa vie, tout en tirant des leçons pour ces non-contemporains que nous sommes et qui avons beaucoup à retenir d'une telle existence.

Visions clemencistes et observations sur le monde

La suite de l'ouvrage présente de façon originale de nombreuses citations, souvent mordantes, parfois cruelles, toujours distanciées, sur de nombreux thèmes qui ont jalonné sa vie et qui demeurent des questionnements perpétuels.

Sans être exhaustif, mais pour un offrir un panorama impressionniste de l'ouvrage, on peut relever plusieurs éléments qui apparaissent particulièrement emblématiques.. Sur le courage de certains de ses modèles, il évoque Louise Michel : « Devant les Versaillais, elle leur dit : ‘’vous ne me faites pas peur, je vous méprise. Vous pouvez me tuer.’’ » Ce qu'ils ne firent pas. Sa capacité d'admiration interpelle, au sujet de certains de ses contemporains : « Gambetta est une maîtrise d'idéalisme dont l'effort est d'emporter l'homme jusqu'aux suprêmes hauteurs de la pensée et de l'action. » Ses paroles suggèrent une certaine cruauté, et rappellent les vives oppositions qui ont été les siennes tout au long de sa vie : « Briand ne sait rien mais comprend tout ; Poincaré sait tout mais ne comprend rien. » Elles soulignent les vertus du régime parlementaire républicain : « Le Parlement est le plus grand organisme qu'on ait inventé pour commettre des erreurs, mais elles ont l'avantage d'être réparables dès que le pays en a la volonté. »

A propos du rôle de la puissance publique dans la réduction des inégalités, Clémenceau dit encore : « C'est l’État qui doit intervenir pour résoudre le problème de la misère, sinon la guerre sociale éclate. » Et en ce qui concerne la capacité d'action des dirigeants, il insiste : « Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes. Et trois, c'est déjà trop. » Sur les difficultés à résoudre les suites d'un conflit, il confesse : « On m'a dit, vous avez fait la guerre, faites la paix. Croyez-moi, il est plus facile de faire la guerre que la paix. » Tandis que sur la perception qu'il a de lui-même et de sa vie, il concède : « Je suis un bon Tigre. Dois-je toujours expliquer que je n'ai détruit que pour construire ? Je veux que chacun soit heureux, c'est pourquoi je suis un bon Tigre. »

Le portrait d'un homme libre et fédérateur

En refermant cet ouvrage, au-delà de l'aspect clivant de certains éléments de son parcours (le premier flic de France « briseur de grèves », les avis différenciés sur son rôle dans le sentiment d'humiliation de l'Allemagne dans les années 1920…), ce que l'on retient de Clemenceau, c'est le caractère libre et fédérateur du personnage. Libre, car incroyablement insoumis aux conservatismes et aux conformismes de son époque. Fédérateur, car tout le monde peut se retrouver dans tel ou tel aspect du parcours et de la personnalité du Tigre, admiratif de son sens de la formule ou de la pertinence de nombre de ses analyses.

Fondamentalement laïque et démocrate, autoritaire, patriote, féroce dans ses attaques et souvent si juste dans ses combats (l'innocence de Dreyfus...), Clemenceau était un homme complexe dont la profondeur et les ambivalences sont bien restitués dans ce livre. Sans doute peut-on regretter l'arbitraire du choix de certains thèmes plutôt que d'autres : la relation à l'Angleterre ou l'opposition avec Jaurès auraient pu à titre d'exemple être davantage développées.

Il n'en demeure pas moins que ce « monde selon Clemenceau » de Jean Garrigues livre, au travers de traits d'humour, de discours et de formules toujours ciselées, le témoignage d'enseignements toujours valables, démontrant l'actualité du personnage et de ses engagements