Alors que 68% des Français se disent aujourd’hui favorables au mariage gay, la question de la réécriture ou de l’abrogation de la loi Taubira (adoptée en avril 2013) est revenue au centre du débat politique avec l’élection à la présidence de l’UMP fin novembre. Dans ce contexte, nous avons interrogé Florence Augert , dite "Princesse de Comborcière", l’une des figures phares de la communauté gay - elle a notamment créé en 1999 le premier hôtel 100% gay de France et a lancé en 2009 la première marche des fiertés en altitude - sur le regard qu’elle porte sur l’évolution des droits des homosexuels ces dernières années, à travers sa propre expérience et les témoignages des clients de l’hôtel qu’elle dirige depuis désormais 15 ans.


Nonfiction : La Principauté de Comborcière a fêté cette année ses 15 ans d’existence. Pourriez-vous revenir sur les circonstances qui vous ont amené à créer un hôtel 100% gay et lesbien et les obstacles que vous avez rencontrés dans la réalisation de ce projet ?

Florence de Comborcière : Dans les années 1990, de manière systématique, dès que je séjournais dans un hôtel avec mon amie, on nous attribuait automatiquement une chambre avec lits séparés.

Quelques années plus tard, j’ai eu la chance de faire un tour du monde. J’ai constaté qu’il n’y avait qu’en France que cela se passait comme cela. Je me suis interrogée : comment la France, qui se targue d’avoir mené la révolution, pouvait être aussi arriérée ?

A ce moment-là, ma famille adoptive avait une petite pension de famille. De retour en France, j’ai effectué un réel retour aux sources, à mes racines, à ma montagne. En reprenant cette pension de famille, j’ai pensé que ce serait top de pouvoir séjourner ensemble dans ce lieu paradisiaque plutôt que de se retrouver au fond d’une back room ou dans un bar ! La Principauté de Comborcière était née. Ce projet, je l’ai mené à bien avant tout grâce à ma famille : sans eux, je n’aurais jamais pu ouvrir ce lieu unique qui tient aujourd’hui une vraie place dans la communauté. Les obstacles ? Ils se sont multipliés, des banquiers réticents, des autorités municipales frileuses à l’idée de voir débarquer une communauté selon eux exubérante, libérée, et sans limite, sans parler du « qu’en dira-t-on ?», la spécialité locale ! Aujourd’hui encore, je suis confrontée parfois à des situations que je préférerais éviter, mais depuis que je suis membre du conseil municipal, j’ai mon mot à dire et j’adore ça, pour tout vous dire !


Si les hétérosexuels sont les bienvenus dans votre hôtel, vous expliquiez en 2012 à Libération que dans les faits, ceux qui appelaient par hasard pour une chambre ne confirmaient ensuite jamais leur réservation. Deux ans plus tard, alors que le mariage pour tous est passé par là, est-ce que cette situation a changé ?

J’habite une station de ski, composée à 80% de réactionnaires, la clientèle est son image… Dieu merci, la seconde génération arrive ! Aujourd’hui, quand des hétéros nous contactent, soit ils raccrochent immédiatement soit ils réservent, on est davantage sur du 50/50 alors qu’avant, 9 fois sur 10, ils raccrochaient. Malgré tout, je ne pense pas que le vote pour le mariage pour tous y soit pour quelque chose : ça n’a pour ainsi dire rien changé à notre quotidien. L’évolution naturelle des choses nous fait avancer, cette loi nous a plutôt fait stagner.


Depuis que la loi sur le mariage pour tous a été promulguée, avez-vous noté une évolution en termes d’acceptation sociétale de la différence sexuelle ? Pensez-vous qu’une progressive normalisation de l’homosexualité est en marche ou que tout reste à faire ?

Je suis persuadée que le mariage a fait stagner notre évolution sociétale mais, paradoxalement, il fallait vraiment que cette loi passe pour nous !

Je pense que dans un an, les hétéros gay friendly qui n’étaient pas de notre côté sur ce sujet, et qui ont été « bousculés » par le vote de cette loi sur le mariage et les déclarations absurdes qu’elle a suscitées, nous soutiendront encore plus. J’espère même qu’ils nous aideront à dire stop aux crimes et aux discriminations homophobes, qui ont réellement explosé pendant les débats.

En revanche, je dois vous dire que le terme de « normalisation » me choque profondément : la normalisation, c’est la mort ! Ce n’est pas parce que vous êtes marié(e) que vous êtes normal(e). Je suis pour l’égalité face au droit et à la législation mais je revendique également les différences. Par exemple, je suis homosexuelle, je ne suis pas pour le mariage, mais j’ai défendu le droit au mariage. Chacun doit avoir le choix ! Pour vous dire la vérité, j’espère ne jamais me défaire de ces différences et de ces qualités forgées en partie par mon homosexualité. 


Jugez-vous la politique du gouvernement actuel satisfaisante sur cette question ou la trouvez-vous insuffisante au regard de ce qui pourrait être entrepris, notamment du point de vue de la PMA et de la GPA ? De manière générale, comment interprétez-vous les réticences et le conservatisme de la France sur ces questions ?

S’il fallait attendre quelques choses de nos politiques, ça se saurait ! Selon moi, c’est le peuple qui doit prendre position, les homos doivent davantage se manifester. 6% de la population qui dit stop ou encore, ça pourrait faire bouger les politiques, non ? Je le regrette chaque jour mais les homos sont comme les autres vis-à-vis des politiques, ils laissent faire. Sur le terrain, nous n’avons pas attendu la PMA ou la GMA pour faire des enfants (Vive la France belge !), nous devons nous montrer tout aussi actifs pour faire évoluer les mentalités et les politiques sur ce sujet. Et en ce qui concerne l’adoption, de par ma propre expérience, je peux vous dire que de nombreux enfants seraient bien plus heureux élevés par deux hommes ou deux femmes, peu importe, mais en tous cas, par deux parents aimants, plutôt qu’en foyer. Des lois plus sévères pour les parents qui vous abandonnent un matin d’hiver, ça, ce serait essentiel