Une analyse fine et documentée des dérives de l'idéologie sécuritaire et du sacrifice des libertés fondamentales qu'elles engendrent.


Les lecteurs assidus des colonnes du "Monde" retrouveront en quelques 60 000 signes une synthèse des analyses publiées depuis près de deux ans par J. Follorou sur notre idéologie sécuritaire et ses dérives. Un examen nourri par plusieurs enquêtes de terrain notamment en Afghanistan, des échanges confidentiels avec des agents des services de renseignement et documenté, depuis des mois, à l’aune des données rassemblées par E Snowden puis mises à sa disposition par le journaliste américain d’investigation Glenn Greenwald.

Pas de révélations fracassantes dans cet opuscule, ni de polémiques outrancières. Juste un constat : notre recherche forcenée du risque zéro mort dans nos rangs en matière de lutte anti-terroriste s’est traduite par une attrition de certaines de nos libertés, sans pour autant être certain que ce sacrifice ait sauvé de notre côté de nombreuses vies humaines. En un sens, en distillant la peur, Oussama Ben Laden tient une victoire posthume en mettant à mal des principes de droit de nos démocraties. Ce reniement est si pérenne, si profondément ancré dans nos esprits que les dirigeants européens et américains ont abandonné toute volonté de restaurer les espaces de liberté perdus depuis 2001 au nom des impératifs de la lutte la plus efficace possible contre le terrorisme transnational. Cet état d’esprit est dangereux car il produit des discours réducteurs, simplistes sur les conflits et les pratiques guerrières. Il induit des comportements, des réponses sécuritaires de nos appareils d’Etat dont on peut se demander s’ils ne génèrent pas les violences de demain contre nos intérêts et nos ressortissants.

Dans ce contexte de renoncement à plusieurs pans de l’Etat de droit, seuls les élus du Parlement européen semblent s’opposer de manière tribunitienne et méthodique. Il est vrai que leur pouvoir est limité. Non nul néanmoins ! On le verra dans les mois qui viennent, quand il s’agira de (re)légitimer plusieurs accords transatlantiques. Certains élus n’ont-ils pas déjà demandé la suspension de l'accord SWIFT entre l'Union Européenne et Washington, permettant aux Américains d’accéder aux informations relatives aux transferts bancaires internationaux ou encore le pacte de « havre sûr » qui permet aux compagnies américaines de s'auto-certifier sur leur respect des règles européennes de protection de la vie privée ?

Dans un essai parfois moins polémique dans la forme que certains de ses articles de presse, le journaliste du grand quotidien du soir pose de bien bonnes questions sur notre gouvernance, à commencer par celle des services de renseignement. Dans ce qui apparaîtra à nombre de lecteurs comme un long article, J. Follorou critique la sur-militarisation de l’affrontement avec les terroristes, la résurgence des « directives létales » qui permettent de liquider physiquement notamment grâce aux drones ou par l’action des forces spéciales des combattants étrangers. Autant d’inflexions promues dans un premier temps par les néo-conservateurs américains mais qui sont aujourd’hui la praxis de l’administration Obama et de la plupart de ses alliés.

A aucun moment J. Follorou ne se prend pour un « Policy Maker », il reste un journaliste. Il met à nu des comportements et les logiques qui les sous-tendent. Sans y paraître, il évoque des sujets ô combien sensibles et qui mériteraient, pour le moins, d’être débattus publiquement et avec rigueur, j’allais dire avec professionnalisme. Reste donc à trouver les agoras appropriées pour savoir : Quelles sont les limites à apporter au développement des coopérations entre nos services de renseignement et leurs homologues d’Etats non-démocratiques ? Comment s’assurer de la bonne maîtrise « politique » des accords techniques en matière d’échanges de données issus des interceptions électroniques opérées par les services de renseignement ? N’avons-nous pas accepté, au fil des années, une dépendance technologique trop grande vis-à-vis des Etats-Unis ? Quelles coopérations devons-nous entretenir avec la Grande Bretagne, si étroitement intégrée au dispositif de recherche américain du renseignement ? Comment s’assurer que les services de renseignement américains ne détournent pas de légitimes coopérations anti-terroristes à d’autres fins, notamment économiquement concurrentielles ? Quel est le processus de validation politico-administratif des échanges techniques de données au motif de la lutte antiterroriste ? Peut-on judiciariser certaines pratiques de la collecte du renseignement en matière anti-terroriste ? Comment améliorer, au plus vite, l’expertise technologique des organes de contrôles européens et américains des services de renseignement mais également des parlementaires chargés d’évaluer les politiques publiques ? Comment contrôler les exportations de technologies non-militaires de surveillance ? Comment contractualiser des accès privilégiés aux réseaux d’informations entre des entreprises privées et l’Etat ? Quelles sont les conséquences juridiques de la mutualisation du renseignement entre les services agréés qui composent notre communauté nationale du renseignement ? Est-il possible de bâtir de nouvelles règles communes entre pays européens en matière de protection des libertés individuelles ? La liste des questions politiques, éthiques, organisationnelles soulevées par J Follorou pourrait bien se révéler aussi longue que son essai