Un recueil d’études universitaires qui interroge le style Minuit tel qu’il est présumé par la critique mais tel qu’il s’avère problématique.

« Existe-t-il un style Minuit ? » : telle est la question qui fait titre à un ensemble d’études publiées par les Presses universitaires de Provence sous la direction de Michel Bertrand, Karine Germoni et Annick Jauer. Il n’apparaît pas de réponse claire, une, pour la raison qu’il n’y a pas de conclusion d’ensemble et que chacune des études tente de répondre à cette question sans expliquer pourquoi cette question se pose, sauf à interroger ce qui relève d’un stéréotype circulant dans le tout petit monde littéraire et dans la presse spécialisée.

Un court avant-propos délimite le champ d’investigation de ce volume de 274 pages : « Le roman minuitard », les romans Minuit. Toutefois, deux de ces études débordent ce cadre et enrichissent cette recherche d’un style minuitien propre aux romans publiés dans la petite maison d’édition parisienne : celle de Nigel Saint sur l’œuvre de Georges Didi-Huberman et celle de Philippe Jousset qui s’appuie sur un texte de Michel Serres pour questionner les frontières des champs du savoir aux éditions Minuit et pour reposer la question stylistique.

Qu’est-ce qui fait le style ? Qu’est-ce qui distingue Minuit d’autres maisons d’édition ? Quelle est la marque de fabrique de cette maison d’édition qu’on qualifie volontiers et à juste titre de « mythique » ? Et, surtout, pourquoi parle-t-on d’un style Minuit ?

Au fond, la question initiale jette le soupçon comme le signale dès le début la référence au travail d’Anne Simonin (Les Éditions de Minuit 1942-1955. Le devoir d’insoumission, Imec Éditions, 1994) qui insiste sur le « primat des individualités sur les groupes organisés » et qui rappelle que la maison Minuit se place sous le signe de la résistance. C’est d’ailleurs à ce thème que se réfère Annick Jauer relisant pour l’occasion Les Champs d’honneur de Jean Rouaud, livre publié en 1996 : écriture de résistance, écriture de combat.

Mais se demander s’il existe un style Minuit, ou plutôt si l’on peut encore parler d’un style Minuit, c’est s’attaquer à un présupposé. C’est dire que le style Minuit est présumé et, pour cette raison, contesté. Présumé, il l’est en effet par des pastiches (ceux de Patrick Besson et de Patrick Rambaud, par exemple) qu’étudie Pascale Hellégouarc’h, c’est-à-dire par le cliché d’un auteur Minuit, ou d’un « style Minuit », tel que l’interroge aussi Mathilde Bonazzi. Un style n’est-il pas ce que l’on imite, de sorte que serait inimitable ce qui est original ? Contesté, le style Minuit l’est ici aussi, comme l’écrit Philippe Jousset qui récuse une généralité d’ordre stylistique et dont la contribution résume à sa façon une position d’ensemble : « Pour un stylicien de stricte obédience l’expression "style Minuit" ne peut passer que pour une figure de style. Un "style", stricto sensu, il est plus que douteux en effet que les auteurs publiés par la maison de la rue Bernard-de-Palissy en aient un unique en partage. Mais il existe bel et bien un "(état d’)esprit", des caractéristiques, un cahier des charges tacite, des engagements, des refus, etc., qui concourent à définir une identité reconnaissable aux auteurs maison. »

Les études réunies pour cerner ce qu’il en est d’un style collectif, voire d’un Style, se situant par-delà les styles propres à ces écrivains singuliers dont les textes sont ici abondamment lus et comparés selon différents angles, n’ignorent pas que les auteurs publiés chez Minuit reconnaissent eux-mêmes qu’il existe un « esprit de famille » ou un « esprit Minuit » ; elles n’oublient pas que ces auteurs se lisent entre eux et que tous écrivent sous la figure tutélaire de Beckett comme l’exemplifie un texte de Jean-Philippe Toussaint consacré au Prix Nobel de littérature (« Pour Samuel Beckett », L’Urgence et la Patience, Minuit, 2012). Ainsi, celle de Cécile Narjoux étudie les régularités observées en lisant les romans Minuit ; ainsi, celle de Fabien Gris épingle le motif de l’évidement tout en rejetant les « étiquettes » de « minimalisme » et d’ « impassibilité ». Dans l’ensemble, les études monographiques occupent une place importante dans cette recherche d’un style au demeurant problématique quand on ne s’en tient pas aux œuvres individuelles qui font certes la singularité de la maison Minuit.

Reste que si l’on retient ou que si l'on se fie à l’expression de la journaliste Martine de Rabaudy qui parlait des « enfants de Minuit » inscrits dans ce qu’elle appelait une « dynastie », force est alors de leur chercher un père. Être à la recherche d’un style commun conduit finalement à celui auquel Jean Echenoz rendit hommage à sa mort : Jérôme Lindon (Minuit, 2001). C’est à cet éditeur exigeant, né en 1925, qui avait pris la direction des Éditions de Minuit en 1949 et auquel succéda sa fille Irène, c’est à celui qui marqua de sa patte de lecteur les textes qu’il publia, que renvoient peu ou prou toutes ces études unies par une question faisant débat : à un homme et à ses auteurs. Ainsi, Isabelle Bernard parle-t-elle de la « maison Lindon ».

En tout, cette étude d’ensemble qui explore les textes publiés chez Minuit (ainsi que ceux qui ne le sont pas, mais avec lesquels ils sont mis en miroir) travaille à comparer entre eux ceux qui incarnèrent hier la maison dirigée par Jérôme Lindon (Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Marguerite Duras) et ceux qui la perpétuent aujourd’hui (Christian Oster, Christian Gailly, Laurent Mauvignier, Jean-Philippe Toussaint, Jean Echenoz, Éric Chevillard, Éric Laurrent, Marie N’Diaye, Yves Ravey, Tanguy Viel) ; et à ces derniers, elle fait la part belle