Onze jeunes d'Evry écrivent un lexique du langage des cités… pour traduire « Kho, ça soule j'suis alcatraz ce soir, le frolo a poucave a ma matonne que j'avais tapé une punition sur le mur en face de la kalesh » (*) mais aussi pour se réconcilier avec les quartiers.

Est-on sorti de la « crise des banlieues » ? A-t-on assez diagnostiqué, décortiqué, analysé le problème, a-t-on résorbé la frontière qui nous sépare des cités ? Si vous en doutez, si vous voulez poursuivre cette réflexion, ouvrez le Lexik des cités. Fruit du travail de onze jeunes d'Evry, il répertorie 241 « mots des cités ». Tous sont expliqués, illustrés, identifiés : ceux qui viennent du verlan ont le droit à une étymographie qui nous montre comment le mot initial s'est transformé, des histoires loufoques constituent les étymofolies et les auteurs retracent l'origine des mots dans les "étymod'où ?". Et cette dernière partie est peut-être la plus passionnante : oui, certains mots viennent directement de l'arabe comme psartek, une petite formule de félicitations. Mais les horizons sont biens plus divers que ce que l'on pourrait supposer, et le langage des cités se nourrit aussi de vocabulaire allemand (comme gueuch, celui qui est sale et négligé), italien (et c'est pourquoi une intrigue signifie une situation sentimentale complexe dans les cités, comme le mot intrigo en italien), néerlandais (dans les cités une maquerelle n'est rien d'autre qu'une commère, comme le makelare qui est courtier ou entremetteur), etc. Il est aussi étonnant de voir les mots remonter le temps : lorsqu'on dit que quelqu'un est grave pour dire qu'il est lourd on ne trahit pas le mot mais on lui redonne sa signification latine !

 

Le Lexik est aussi à comprendre comme une main tendue. Ce sont des jeunes qui réfléchissent sur leur propre langage et qui nous l'offrent. « Je rêve qu'à travers ce Lexik les jeunes soient reconnus, que les gens ne pensent plus que dans les quartiers il n'y a que des voyous » confie Imane Rajef, une des auteurs. C'est une idée qu'illustre bien le dialogue qui figure au début du livre, dans lequel Disiz la Peste, rappeur originaire d'Evry, et Alain Rey, linguiste réputé et « pape » du Petit Robert, se trouvent une passion commune : celle des mots. Car les mots ont une force indéniable, celle de relier les individus entre eux, mais quand on ne se comprend plus c'est le fossé qui se creuse. « Ce qui a particulièrement motivé le groupe d'auteurs est le risque de malentendus », explique Marcela Pérez, qui est à l'origine de l'initiative.

 

Dans le Lexik, on apprend que si un jeune "pique", cela n'a rien à voir avec de la drogue mais signifie juste qu'il est fatigué. A vous, donc, de vous familiariser avec ce langage. Pas pour l'adopter car « celui qui voudrait se faire passer pour quelqu'un des cités, qui voudrait utiliser nos mots, on le repèrerait tout de suite » prévient Disiz la Peste, mais pour comprendre un peu mieux la réalité des quartiers qui transparaît à travers toutes les pages du Lexik.

 

 

* Sortie : 4 octobre 2007


* Lexik des cités, Fleuve Noir, 365 p., 19,90€

 

* Auteurs: Alhassane Sarré, Alhousseynou Sarré, Boudia Sylla, Cédric Nagau, Cindy Azor, Dalla Touré, Franck Longepied, Imane Rajef, Kandé Sylla, Marcela Pérez, Marie Mirline Azor.

 

* « Hey, mon ami, je suis embêté car je suis privé de sortie ce soir : un garçon m'a dénoncé et a dit à ma mère que j'étais l'auteur de la série de tags sur le mur en face de la prison. »