Membre du G20, quinzième puissance économique mondiale, la Corée du Sud cherche toujours plus à s’affirmer comme un membre actif de la communauté internationale. En effet, le « pays du matin frais » (et non du « matin calme ») reste une puissance moyenne émergente encore méconnue.

Dans la poursuite de cet objectif, Séoul ne ménage pas ses efforts, misant sur son développement économique, investissant dans la recherche et la culture, accumulant des ressources politiques et militaires. Pourtant, ce pays reste relativement dans l’ombre des « grands » qui l’entourent, à savoir la Chine et les Etats-Unis, ainsi que, à un degré moindre,  la Russie et le Japon, et cherche dans le même temps à développer ses relations avec l’Asie du Sud-Est (Vietnam, Indonésie et Philippines). Quant à une éventuelle réunification avec le régime nord-coréen, elle reste à l’heure actuelle véritablement hypothétique.

Aussi, comment expliquer le décalage entre le poids économique croissant de la Corée du Sud et sa puissance géopolitique qui reste encore limitée ?

Dans cet ouvrage complet, informé et très actuel, s’appuyant sur de nombreuses cartes et encadrés, Arnaud Leveau présente à la fois les fondements de la puissance sud-coréenne, mais également ses limites liées au contexte régional.

Une politique déterminée vers la puissance

Une politique de puissance suppose de disposer au départ d’un certain nombre d’atouts, mais également d’une vision claire des objectifs et des moyens.
Séoul dispose d’une véritable volonté politique en la matière. Comme le résume en effet l’auteur, « la Corée du Sud cherche à s’affirmer comme une puissance moyenne et se présente comme un pilier de la sécurité en Asie du Nord-Est, tout en voulant promouvoir son modèle de développement en Asie du Sud-Est » (p.8). La Corée du Sud n’appuie pas cette volonté sur du sable, sachant tirer profit d’un ensemble de facteurs, économiques, politiques ou culturels.

Tout d’abord, la Corée du Sud peut s’appuyer sur une indéniable puissance économique : elle compte aujourd’hui de nombreux Chaebols (ou grands conglomérats), et ce dans divers secteurs (construction navale, automobile, acier, pétrochimie, électronique…), la plaçant d’emblée dans la compétition internationale. Ses grands groupes, Samsung, Daewoo, Hyundai ou LG, ont aujourd’hui acquis une visibilité mondiale, preuve d’une montée en gamme réussie. Le pays s’est également doté d’une politique très volontariste en matière de recherche, plus dynamique que celle des pays européens.

Ensuite, la stratégie dite « Global Korea » permet à Séoul de dépasser son cadre asiatique, créant par exemple à cette occasion une politique spécifique pour l’Afrique. Militairement, la Corée du Sud est à même de déployer des forces dans les grandes opérations de maintien de la paix. Cet activisme s’accompagne d’une politique d’armement ambitieuse, mais également du développement d’une industrie de défense.

Enfin, il faut remarquer la « vague culturelle coréenne » (hallyu), qui attire l’attention et parfois la jalousie de ses voisins, avec notamment le succès de la K-pop (le chanteur Psy en est l’exemple le plus visible), en Asie et parfois au-delà. En matière de cinéma, de bandes dessinées ou de jeux vidéo, Séoul n’est pas en reste. Au-delà, la volonté d’exporter la langue coréenne est réelle, au-delà même des descendants de Coréens dans divers pays (par exemple les « koryo-saram » de l’espace post-soviétique). L’influence passe aussi plus marginalement par le rôle des forces religieuses. En effet, le pays connaît un nombre important de Chrétiens (30% de la population), la plupart du temps de tendance évangélique, et compte surtout de très nombreux missionnaires (le deuxième contingent au monde après les Etats-Unis).

Au final, la politique de rayonnement a déjà produit ses effets dans l’accueil des grands événements internationaux, puisqu’après les Jeux olympiques de Séoul en 1988 et la Coupe du monde de football en 2002, la Corée du Sud hébergera les JO d’hiver à Pyeongchang en 2018. Cette ouverture plus grande sur le monde n’est par ailleurs pas sans conséquences en politique intérieure. Cet ancien pays d’émigration (la Corée du Sud comptait plus d’un million d’émigrés pendant la décennie 1975-1985) est devenu aujourd’hui un pays d’immigration, et doit apprendre à gérer la diversité.

Un pays entouré de puissants voisins

En dépit d’atouts indéniables, si la Corée du Sud n’a pas encore le rayonnement politique et stratégique qu’elle souhaite avoir, c’est sans doute prioritairement en raison de l’environnement régional. Celui-ci constitue un enjeu de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, tandis que le Japon et la Russie sont également parties prenantes des problématiques régionales. Quant à la Corée du Nord, elle joue  évidemment un rôle essentiel dans toutes ces rivalités géopolitiques.

Dans ce contexte régional, l’alliance avec les Etats-Unis revêt pour Séoul un caractère stratégique, incontournable ; c’est là le soutien traditionnel depuis la guerre de Corée (1950-1953). C’est aussi le pays le mieux à même de donner des garanties de sécurité face à la menace nucléaire que constitue la Corée du Nord, au-delà du 38e parallèle. Sur le plan militaire, nucléaire, économique ou politique, Washington est la réponse la plus adaptée aux besoins des sud-coréens. Une bonne partie de la classe politique (essentiellement les conservateurs) en est convaincu, faisant des Etats-Unis la pierre angulaire de leur politique étrangère : c’est la position de l’actuelle présidente Park Geun-hye, élue en 2013, fille du président autoritaire Park Chung-hee (1962-1979). Cette position se distingue de la « politique du rayon de soleil » (sunshine policy), initiée par le président Kim Dae-jung (1998-2003) et poursuivie par Roh Moo-hyun (2003-2008), qui était davantage inspirée de l’Ostpolitik de Willy Brandt que de l’alignement inconditionnel sur Washington.

L’autre grande puissance régionale est la Chine, dont la montée en puissance constitue pour la Corée du Sud à la fois une opportunité et une contrainte. Même si les relations sino-coréennes ne peuvent qu’être étroites, Pékin reste un partenaire incontournable de Pyongyang. L’illustration de cette proximité réside par exemple dans le fait que la Chine abrite elle-même deux millions de Coréens, et constitue un partenaire économique essentiel et d’importance croissante. L’intérêt chinois n’est pas qu’économique, il est également intellectuel : les Chinois constituent la première population étudiante étrangère en Corée du Sud, avec près de 60 000 étudiants. Toutefois, la situation inconfortable de la Corée du Sud, en prise simultanément avec la Chine et les Etats-Unis, nuit au développement des relations avec Pékin. Comme le précise l’auteur, « Les changements de politiques et l’inconstance de la stratégie sud-coréenne dans sa relation avec la Chine font que cette dernière ne confère pas encore à la Corée du Sud le rôle de balancier de pouvoirs que le pays souhaiterait jouer en Asie du Sud » (p.84).

Deux autres puissances complètent les équilibres régionaux : la Russie et le Japon. La Russie, bien qu’en retrait en Corée du Sud (qui n’est pas son allié naturel), demeure une puissance qui compte en raison de ses projets énergétiques dans la région, comme le projet de gazoduc intercoréen. Ce point est important lorsque l’on sait que la Corée du Sud est extrêmement dépendante de l’extérieur sur le plan énergétique, étant comme le Japon dépourvue de ressources naturelles. Vis-à-vis du Japon, à la fois partenaire économique et ancien colonisateur, la relation reste encore empreinte de méfiance malgré des intérêts sécuritaires qui pourraient s’avérer convergents.

La situation de la Corée du Sud est enfin tributaire des évolutions du régime nord-coréen. Une reprise des hostilités semble une perspective éloignée à l’heure nucléaire, malgré les tensions, mais une réunification paraît également improbable. En effet, on peut estimer qu’une éventuelle réunification absorberait les ressources sud-coréennes pour trois décennies, limitant d’autant son rayonnement extérieur, même  si la Corée du Nord est un territoire riche en Terres rares. Elle reste donc une hypothèse, mais peu probable, tout en gardant à l’esprit le postulat selon lequel la surprise reste une loi de l’histoire.

On appréciera du livre le contenu informatif, riche et varié, malgré le souhait du lecteur d’en connaître davantage sur la Corée avant 1950, ce qui pourrait compléter la grille de lecture offerte. Il faut également ajouter que le livre contribue utilement à l’étude de la notion de puissance moyenne, constituant un cas d’étude original, et à bien des égards paradoxal