Petit livre manifeste, vigoureux et pertinent, pour un retour à un théâtre poétique et populaire.

Mal-aimés du système subventionné français, les auteurs – on les aide quelquefois, mais ils ne sont jamais, à l’exception de Jean-Michel Ribes, nommés à la tête d’un grand théâtre -, participent peu aux polémiques sur l’organisation de l’art dramatique en France et sur l’esthétique que suscitent les grandes structures et les grands festivals. Jean-Pierre Siméon intervient modestement dans le feu de la discussion avec un petit livre, Quel théâtre pour aujourd’hui ?, sous-titré Petite Contribution au débat sur les travers du théâtre contemporain. Il peut justifier de son inhabituelle audace en rappelant qu’il a travaillé et travaille avec Christian Schiaretti, d’abord à la Comédie de Reims puis au TNP de Villeurbanne, où il est actuellement "poète associé". Parmi ses pièces, Stabat mater furiosa   est la plus connue et la plus reprise : c’est plus un lyrique obsédé de social qu’un constructeur d’histoires, un écrivain pour qui tout commence avec le verbe et se poursuit avec son incarnation par l’acteur.

Dans une première partie, Siméon attaque. Dans une seconde, il propose une politique idéale pour le théâtre. En ouverture, il défend l’émotion, dénonçant "la suspicion généralisée à l’égard du pathétique et de la poésie dès lors qu’elle n’est pas ce savant chahut dans la langue, affranchi de la tyrannie du sens, émancipé des affects primaires, la joie, la colère, la tristesse, l’angoisse ou l’émerveillement". S’en prenant à un répertoire qui abuse du second degré, il affirme : "Trois types de relation dominent : le recul analytique, le surplomb ironique, la stupeur froide qui génèrent trois types de spectateurs possibles, à la hauteur : la savant (sourcils froncés), le connivent (sourires entendus), l’estomaqué (ko debout). Je ne prétends pas que la création contemporaine soit univoque dans ses réalisations, qu’elle n’offre ni variations ni contrastes mais je dis que dans le réseau consanguin des scènes nationales et des CDN, sous le paradigme des formes et des enjeux, et en dépit même de la diversité des esthétiques, les transcendant, les mêmes critères d’acceptabilité et de recevabilité les déterminent… S’il y a crise, notamment de la production et de la diffusion, c’est que le théâtre public est en passe de perdre le pari qu’il s’était lancé à lui-même au cours du XXe siècle : gagner un large public, un public populaire, au théâtre d’art".

Alors quels remèdes ? Siméon en suggère quelques-uns : une ouverture permanente des théâtres de façon à ce que le "débat poétique" soit permanent, une autre conception de l’acteur et du metteur en scène, une réinvention des relations entre le théâtre et le public, la présence systématique d’écrivains dans les institutions, un développement du registre comique (trop peu de Dario Fo, déplore-t-il). En conclusion, il propose de se soucier davantage des classes moyennes et rurales, pour ne pas les laisser à l’indigence télévisuelle ; d’où un retour nécessaire aux formes brèves et nomades. "C’est, en un mot, revendiquer l’archaïsme généreux des Copeau, Dasté, et Vilar, l’impossible pari qu’on ne pourra bien sûr jamais assumer jusqu’au bout : la fête, le texte, le peuple".
 
Voilà un ouvrage passionné, vigoureux, pertinent, un peu sérieux pour quelqu’un qui revendique le recours au comique, à mettre au dossier de l’idéale réforme du théâtre. Siméon y dénonce aussi le caractère volontiers glauque d’une certaine production, sans se référer (mais en y songeant à l’évidence) à ce qui déclenche la polémique à Avignon depuis quelques années. Mais pourquoi ce pessimisme volontiers morbide, de Bond à Castellucci, existe-t-il ? Il est l’expression d’une modernité peut-être provisoire mais irréfutable. Siméon voudrait le corriger avec les solutions d’hier. N’est-il pas temps, plutôt, d’imaginer une nouvelle modernité ?


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