Nicolas Leron est allé rencontrer Thomas Bellorini au Théâtre de Suresnes Jean Vilar, où il jouait du 3 au 27 mars 2014 À la périphérie, une mise en scène du texte de Sedef Ecer.

 

Comment êtes-vous arrivé à ce texte de Sedef Ecer, À la périphérie ?

Sedef Ecer et moi, on se connaît depuis un moment. Ça fait une dizaine d'années qu'on travaille ensemble, que je mets de la musique dans des textes qu'elle monte. Ce texte là, je l'ai entendu pour la première fois à la Maison des métallos (Paris, 11e). Elle m'avait invité à une lecture, il y a presque deux ans. C'était un texte qui n'avait jamais été monté, et qui m'a tout de suite touché parce que dans mon rapport au théâtre, la musique est très importante, et là j'entendais une place directe pour la musique. Le personnage tsigane de Kybelée laissait une place immense à ça. Ce personnage est, dans l'écriture, l'un des plus légers, peut-être pas tout à fait abouti dans sa construction. Elle est un peu floue...

...mais elle chante...

Au départ, elle ne chantait pas. Mais, pour moi, il y avait tout de suite cet univers là qui pouvait prendre sa place et qui, du coup, permettait de dire ces choses là sans être non plus dans un espèce de truc pathos, conte... Sur ces deux époques, il y a toute cette période du passé qui est compliquée, dans le récit. On raconte uniquement ce qui s'est passé. Et malgré le fait qu'il y ait tous ces parallèles et ces résonances sur le couple présent (Tamar et Azad), ça reste compliqué dans le montage, je trouve. Et là, pour moi, c'était une évidence ; il y a quelque chose qui m'a vraiment de suite plu. Après, j'ai travaillé pendant cinq ans en résidence à la Courneuve. Dans ce cadre là, j'ai travaillé avec des primo-arrivants. C'est un travail que je continue parce que ça me touche...

Qu'est-ce qui vous touche dans ce travail avec les primo-arrivants ?

C'est de voir le pouvoir de la musique avec des gens qui ne parlent pas le français, mais qui pourtant sont en France depuis quelque mois, et qui grâce à la musique communiquent. Et pas uniquement sur des choses qu'on leur apprend, sur la langue. Moi, je leur laisse la place, pour leurs musiques traditionnelles, leurs musiques populaires, leurs chansons. Et par ce biais là, ça se mélange réellement. Après, on voit malheureusement que deux ou trois ans après, on retrouve les mêmes élèves qui ont complètement bougés, qui sont complètement formatés, en bien ou en mal, je n'en sais rien, mais en tout cas ils sont intégrés dans un cursus beaucoup plus clair. Au départ, lorsqu'ils arrivent en France, il y a une liberté vocale, une liberté dans la générosité de se livrer qui est extraordinaire. Le passage d'Azad en France ne pouvait pas ne pas me parler.

Sedef Ecer joue dans votre pièce le rôle de Sultane, la présentatrice télé. Comment s'est passé le dialogue entre elle et vous, l'auteur et le metteur en scène ?

Pour moi, pendant tout le montage, c'était super. D'abord parce que j'avais un allié. L'auteur, c'est quitte ou double. Ca peut être soit génial, soit l'horreur. Pour nous, c'était génial dans le sens où c'est elle qui m'a demandé de faire la mise en scène, moi qui lui ai dit que j'avais adoré son texte. C'est elle qui est venue vers moi et du coup elle m'a entièrement fait confiance, notamment quand j'ai effectué beaucoup de coupes dans le texte et mis quasiment un tiers de musique dans ce spectacle. Ce n'était pas une évidence pour elle au départ, je pense. Mais elle m'a complètement fait confiance.

Y compris pour le rôle de Sultane ?

Tout à fait. Par exemple, La vie en rose, c'est moi qui l'ai mise. J'ai demandé de réécrire un texte en turc sur cette chanson.

Cette tonalité naïve, sans connotation péjorative, qui est très présente dans la pièce, est-ce quelque chose qui vous est propre ou qui est présente dans le texte, entre conte et tragédie ?

Dans l'écriture, je trouve qu'il y a du conte oriental. Je ne voyais pas transcrire ça de manière conceptuelle et froide. Au départ, la pièce peut-être jouée par trois comédiens en parallèle. La première chose que j'ai dite à Sedef est que si je montais la pièce, ça serait au moins à six. On aurait perdu, je crois, beaucoup de ce que moi j'appelle vitalité et chaleur, et qu'on peut aussi appeler naïveté au sens où on n'est pas obligé de passer par quelque chose de rude et âpre pour dire ces mots là.

La violence est bien présente, mais sans être dite, comme si elle était derrière les mots.

Tout ce qui est dit par le couple du passé (Bilo et Dilcha) n'est pas dit par le couple du présent (Azad et Tamar), avec des parallèles qui sont implicites. C'est un parti pris de mise en scène. On aurait pu effectivement monter cela de manière totalement différente. Mais cette tonalité là, de couleur, de vitalité, de musique se retrouve dans tous mes spectacles.

Votre mise en scène et la scénographie font penser à celles de La Bonne âme du Se-Tchouan, montée par votre frère Jean Bellorini à l'Odéon l'année dernière. Les accents de votre pièce font également penser aux pièces de Wajdi Mouawad. Quelles sont vos sources d'inspiration ?

C'est d'abord la musique. Dans le théâtre, mes sources d'inspiration ne sont pas des metteurs en scène conceptuels et froids. Par exemple, je suis très content de l'affiche du spectacle. On aurait pu prendre un bout de périph' et là on a choisi cette photo avec des visages dessinés sur les maisons, une affiche très colorée.

Comment comprenez-vous la dimension politique de cette pièce, s'il y en a une ? Qu'est-ce que la périphérie pour vous ?

Je pense qu'il y a une dimension politique dans la pièce, mais je n'impose pas de réponse. Je n'affirme rien. Le seul truc que je dis c'est qu'à la fin on chante. On arrive dans cet endroit, ce bidonville qui a été détruit. On le dit. Mais maintenant, je l'espère, on ne dit pas qu'il y a les bons orientaux et les méchants occidentaux. On rêve en permanence de meilleurs futurs, où que l'on soit. Il y a des limites que je ne dépasse pas, où je ne dénonce pas quelque chose.

Ça veut dire quoi « à la fin, on chante » ?

Quand on ne sait plus quoi dire, on chante. Quand on a envie de pleurer, on chante. Quand on est épuisé au travail, on se met à chanter.

 

Propos recueillis le 24 mars 2014.

 

* À lire également :

- La critique de la pièce À la périphérie, par Nicolas Leron.