La gestation pour autrui, au confluent de la société, de la médecine et de l’intime est l’un des lieux de bataille de la politique biomédicale.

Quand une juriste décrit froidement la gestation pour autrui comme dans un monde digne de 1984 d’Orwell, cela se note. Dès l’introduction, Muriel Fabre-Magnan, dans La gestation pour autrui. Fictions et réalité, annonce la couleur : tordre le cou au sentimentalisme emphatique des "pro-GPA" et de leur rhétorique axée sur le malheur des couples infertiles. A cette fin, elle rapporte 20 ans de pratique de la GPA   aux Etats-Unis pour décrire les effets prévisibles qu’aurait celle-ci en France. Glaçante, l’introduction finit par ces mots : "On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas".

L’auteur va tour à tour démontrer l’instrumentalisation des "enfants produits"   et des femmes porteuses   . Mais ces démonstrations sont encadrées par une vision plus large du phénomène. Celui-ci crée le risque de rendre la maternité incertaine   et mène à la constitution d’un "prolétariat reproductif"   .

Mme Fabre-Magnan, professeur de droit, débute par la preuve juridique que la GPA perturbe la certitude de la maternité. Jusqu’à cette technique, le droit était fondé sur un adage latin affirmant que la femme qui accouche est la mère de l’enfant. Rien de plus simple. Mais avec la GPA, la mère sera-t-elle celle qui "désire" l’enfant, celle qui donne ses ovocytes ou celle qui le "porte" ? L’auteur met en garde contre la tentative de croire le lien de filiation comme uniquement composé de volonté. Rejetez le biologique, il revient au galop.

Le deuxième chapitre est intitulé des "enfants produits". L’auteur y explique que l’enfant est dû en contrepartie d’un prix versé par les parents d’intention. Dès lors, l’enfant est juridiquement une chose, au sens juridique. Cette situation est contraire à l’abolition de l’esclavage, mais n’est pas étonnante au regard des dispositions autorisant l’ "enfant médicament". Les américains prévoient ainsi que l’enfant fera l’objet d’une "delivery"   et qu’il y aura restitution des sommes versées si l’enfant n’est pas remis.

La démonstration se poursuit par la question de l’abandon de l’enfant. En effet, la mère porteuse, mère en droit français, abandonne volontairement son enfant et renonce à exercer sur lui ses droits et devoirs. Cette conclusion se tire aussi du rapport sénatorial   au terme duquel la mère porteuse pourrait garder les droits sur son enfant, ce qui est l’aveu implicite de la nécessité de les abandonner dans la GPA.

La question se corse en cas de "défectuosité" de l’enfant. Les contrats américains de GPA prévoient que l’enfant doit être un "healthy child"   . De multiples questions se posent ici : que faire en cas d’accident ? de maladie génétique ? de séparation des parents d’intention ? En cas de préjudice de la part des parents d’intention pour non remise de l’enfant ? L’auteur ne donne pas de réponse à ces questions, laissant penser qu’il n’y en a pas. Elle tente tout de fois d’apporter quelques pistes juridiques. Si pour la question de l’angoisse, la Cour de cassation a apporté dans des arrêts récents des pistes de réflexion et le Sénat a envisagé l’octroi d’un accompagnement psychologique, pour les autres questions, l’auteur en est à rechercher les fondements juridiques de la responsabilité, signe de la grande nouveauté de ce domaine. Faut-il un régime de responsabilité pour faute ou sans faute sur le fondement de la théorie du risque créé   ?

C’est donc à une inévitable judiciarisation de la matière que conclut l’auteur. En effet, la seule gestion des dossiers par l’Agence de biomédecine   ne suffirait pas à prévenir tous les conflits pouvant survenir. Restent aussi les questions de la fixation du prix de l’indemnisation et des critères de sélection des dossiers. L’une des questions qui revient aussi souvent est celle de l’intérêt de l’enfant. Il faut constater qu’on ne sait pas aujourd’hui quelles sont les conséquences de la GPA sur l’enfant, ce qui revient à admettre qu’il s’agit là d’une expérimentation. L’auteur questionne alors. Faut-il alors décréter un moratoire sur cette mesure au nom d’un principe de précaution portant sur ce risque anthropologique ? Peut-on considérer que la capacité d’adaptation de l’enfant est une raison pour ignorer le caractère expérimental de la mesure ?

Enfin, l’auteur s’interroge sur le passage de la procréation à la production d’enfants. Par exemple, si on raisonne sur le principe de l’égalité entre les couples, on devrait autoriser les couples d’homme à "se faire fabriquer médicalement" un enfant par GPA. Pour le juriste, il faudrait aborder la question non sur le plan moral mais sur le point de savoir si nous souhaitons vivre dans une société qui fabrique des enfants et les abandonne pour de l’argent.

Le troisième chapitre constate que la GPA met des femmes à disposition des couples d’intentions. Les appeler "porteuses" est un euphémisme. La GPA, telle que pratiquée aux États-Unis, est une atteinte grave à leur liberté individuelle   . Cela pose la question du contrôle du consentement de la mère porteuse : comment vérifier qu’elle a bien consenti ? Faut-il exclure, comme dans certains États des Etats-Unis, les femmes pauvres de peur qu’elles le fassent pour l’argent ? C’est donc, comme la prostitution, une location d’une partie du corps, sauf qu’elle est plus lourde, qu’elle implique l’enfant à naître et suppose un accouchement, événement risqué.

Le dernier chapitre donne une perspective de philosophie politique à cette question. Mme Fabre-Magnan considère que la GPA fait naître un prolétariat reproductif. Prolétariat provient du latin proletario qui désigne la classe romaine vivant uniquement de ses enfants, les proles. Ce nouveau prolétariat désigne alors ceux vivant de leur capacité à engendrer, mais qui, à la différence des Romains, engendrent pour autrui. On aura beau dire qu’il existe une indemnisation, c’est négliger le risque d’un développement du tourisme procréatif et les rémunérations indirectes qui permettraient de contourner cette gratuité. Le gros problème de la gratuité est ainsi qu’elle "ne se décrète pas".

L’auteur poursuit en étudiant le moyen de protéger la femme porteuse par un contrat de travail. Le contrat de travail est l’outil classique de réduction la subordination du salarié : il permet de limiter la subordination du salarié et donc de le protéger.   . Mais cela se heurte à une question juridique : les enfants sont des fruits et l’employeur doit en être propriétaire à la source ce qui n’est pas le cas ici   .

Cette critique politique de la GPA aboutit à la conclusion qu’il n’y a plus de limite à l’exploitation de l’homme par l’homme. On en vient à permettre l’exploitation des femmes socialement défavorisées et à permettre une maternité à deux vitesses   .

Mme Fabre-Magnan adresse un message clair : le droit n’est pas neutre et n’a pas a avoir pour finalité le bonheur individuel. Admettre la GPA c’est autoriser le marché à broyer le plus faible. La croyance en une main invisible est en fait un retrait du droit, poussant les plus pauvres à vendre ce qu’ils peuvent   .

L’auteur avait prévenu à la fin de l’introduction : "On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas". La force de cet essai est qu’il utilise deux données : l’expérience des Etats-Unis en matière de GPA et la logique juridique. Le format très court de cet essai   nous laisse un peu sur notre faim quant aux données américaines. Cependant, Mme Fabre-Magnan réussit très bien dans sa dénonciation de la nov-langue qui s’est construite autour de la GPA en qualifiant juridiquement les notions clés du débat, et en les identifiant. Par exemple, elle précise que le terme "indemnité" est défini par les vocabulaires juridiques comme le nom donné à certaines rémunérations, mettant à bas la croyance qu’il ne s’agit que d’une manière de réparer le désagrément de la grossesse.

La nov-langue utilise des notions juridiques hors de leur contexte et contribue à une vision uniquement emphatique de la GPA. C’est l’utilisation du vocabulaire juridique, fort de notions centenaires, qui autorise l’auteur à rendre à la GPA d’autres visages, dont certains sont rudes. La GPA est alors à rapprocher des notions d’esclavage, de vente et d’abandon d’enfant.

La concision sert la lecture de cet essai. Mais c’est surtout la révolte de l’auteur envers une conception uniquement empathique de la GPA qui fait le moteur de cet ouvrage. Et, cependant, on est agréablement surpris par la précision des raisonnements, malgré notre envie de voir l’auteur les développer davantage. Cela n’est donc pas un essai pour les spécialistes de la question, mais plutôt la contribution d’une juriste au débat politique à destination du citoyen. Et ce débat est d’autant plus important qu’est fréquemment évoqué le projet de loi relatif à la procréation médicalement assistée, dont on a dit un temps qu’il inclurait la GPA.

Mme Fabre-Magnan finit son essai par deux phrases de Georges Orwell: "La liberté c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit". En somme, appelons un chat un chat et n’ayons pas peur de le faire