Un ouvrage de vulgarisation sur le travail... laborieux

Le travail a le vent en poupe. Ou plutôt, les ouvrages de vulgarisation sur ses profondes mutations, et souvent sa disparition, se sont multipliés ces dernières années au rythme du chômage. Depuis "la fin du travail" annoncée par Jérémy Rifkin, à l'exploration bienveillante des communautés qui s'y refusent   , nombreux sont les ouvrages qui semblent vouloir répondre à la question "Le travail : une valeur en voie de disparition ?" comme l'avait formulé Dominique Méda dès 1995.

À première vue, l'opuscule de Lars Svendsen s'inscrivait donc dans cette veine, en promettant d'apporter une perspective philosophique à un sujet plus souvent traité par des économistes ou sociologues. L'auteur, professeur de philosophie à l'Université de Bergen, en Norvège, avait déjà commis plusieurs ouvrages de philosophie populaire salués par la critique, notamment une "petite philosophie de l'ennui"   un ouvrage sur la mode ou encore sur la peur (non traduits en français mais disponibles en anglais) et plus récemment une philosophie de la liberté (seulement en norvégien).

C'est donc avec enthousiasme que j'ai acheté et commencé l'ouvrage de Lars Svendsen, le jour-même où je débutai un nouvel emploi moi-même : quel meilleur moment pour se (re)poser des questions fondamentales sur le sens du travail, en compagnie d'un philosophe réputé ?

L'auteur lui-même présente son ouvrage comme "un ensemble d'instantanés destinés à illustrer les divers aspects de cette activité"   , le travail donc. Et effectivement, il s'agit bien d'une suite plus ou moins disparate de chapitres se terminant sur, au choix, des poncifs affligeants – le travail manque parfois de sens, mais parfois on lui en donne trop   , pas possible ? - ou des affirmations souvent plus provocantes que convaincantes : l'ennui au travail serait ainsi un problème plus significatif que le stress   , et ce n'est pas le travail qui nous épuiserait mais nos loisirs   . Choses à quoi le lecteur a souvent envie de rétorquer : mais dans quel monde vis-tu, Lars ?

Pour avoir vécu dans le même pays que l'auteur pendant quelques années, je crois que je vois un peu le monde dont il veut parler – un monde sans chômage, au niveau de vie effarant, où la plupart des gens finissent le boulot à 15h, où les écarts de revenus sont globalement assez faibles, et où la naissance d'un enfant donne droit à un an de congés parentaux. Dans ce contexte, effectivement, on rencontre des gens qui sont plus épuisés par leur week-end paintball que par leurs heures sups non rémunérées. Mais tout le monde ne vit pas dans un pays aussi riche que la Norvège !

Enfin passons. Même un livre sur le travail au pays des bisounours aurait pu être intéressant. Hélas... L'ouvrage oscille dangereusement entre recueil de citations ad hoc, affirmations historico-sociologico-économiques qui manquent cruellement de références, anecdotes personnelles et familiales dont on se demande si elles sont censées servir d'argument, et rappels d'éléments de culture générale qui font parfois se demander au lecteur si l'auteur ne le prend pas un peu pour un imbécile. En effet, du Panopticon au principe de Peter, rien n'est supposé acquis, donc tout est expliqué, rendant la lecture d'autant plus fastidieuse. Le côté positif tient en ce qu'absolument aucun prérequis n'est nécessaire pour lire l'ouvrage, qui est donc peut-être à recommander aux plus jeunes de nos lecteurs – ils y puiseront sans doute quelques références utiles pour leur copie de bac...