Cet ensemble de quarante chapitres très courts est issu d’une série d’émissions radiophoniques diffusées sur France Inter pendant l’été 2012. Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, a déjà publié deux livres savants sur l’auteur des Essais : Nous, Michel de Montaigne (1980), et Chat en poche : Montaigne et l’allégorie (1993).

Fort de cette lecture attentive, il propose ici un beau travail de vulgarisation et se fait passeur intelligent pour montrer que Montaigne, grande figure de l’humanisme, est aussi notre contemporain. Le texte des Essais est abondamment cité et commenté, mais sans pédantisme et avec le souci de toujours l’expliquer et l’éclairer, qu’il s’agisse de l’engagement, de la conversation, de l’amitié ou de l’éducation, de l’instabilité intrinsèque de l’individu et du monde ou du refus de la servitude volontaire et de la veulerie.

Montaigne fait donc l’actualité, après le succès rencontré par l’ouvrage de Sarah Bakewell, Comment vivre ? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse, paru chez Albin Michel (lire la recension de l’ouvrage sur Nonfiction : “Montaigne grand public”).

Pour lutter contre l’esprit de sérieux et l’infatuation de ceux qui se croient irremplaçables et importants, rien de tel que de lire ou relire ce qu’écrit Montaigne dans le chapitre “De ménager sa volonté”, au troisième livre des Essais, après son expérience de maire de Bordeaux : “La plupart de nos vacations sont farcesques. Mundus universus execet histrionam [Le monde entier joue la comédie. Pétrone]. Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme rôle d’un personnage emprunté. Du masque et de l’apparence il n’en faut pas faire une essence réelle, ni de l’étranger le propre. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C’est assez de s’enfariner le visage, sans s’enfariner la poitrine.”

Ce petit livre, limpide, parfois grave, et très agréable à lire, se conçoit comme une invitation à relire les Essais, dont il présente la “substantifique moelle”, comme disait Rabelais, ou comme une incitation à les lire, sans s’effrayer de leur langue imagée et concrète, de leur écriture “à sauts et à gambades”, mais en s’attachant à la figure de cet auteur fascinant qui forme la matière de son livre : “Me peignant pour autrui, je me suis peint en moi, de couleurs plus nettes, que n’étaient les miennes premières. Je n’ai pas plus fait mon livre, que mon livre m’a fait. Livre consubstantiel à son auteur : D’une occupation propre : Membre de ma vie : Non d’une occupation et fin tierce et étrangère, comme tous autres livres.”

Nietzsche ne s’y est pas trompé, qui reconnaît : “Qu’un homme tel que Montaigne ait écrit, véritablement la joie de vivre sur terre s’en est trouvé augmentée.” Ce livre issu d’une commande pour un été peut donc accompagner toutes les saisons de la vie