Des chercheurs africains mettent en valeur la diversité et le dynamisme de la littérature orale du continent, à partir de leurs terrains de recherche, en prenant la question du genre comme fil conducteur.

Littérature orale africaine. Décryptage, reconstruction, canonisation, dirigé par Clément Dili Palaï et Alain Cyr Pangop Kamesi, semble s’incrire dans la lignée de l’ouvrage de 2008 coordonné par Ursula Baumgardt et Jean Derive, intitulé Littératures orales africaines. Perspective théoriques et méthodologiques. Il n’est d’ailleurs pas anodin que Jean Derive signe la préface des “mélanges offerts au professeur Grabriel Kuitché Fonkou”, publiés aujourd’hui chez L’Harmattan.

On peut établir un parallèle entre ces deux ouvrages, au-delà de la préface, dans une visée qui leur semble commune. En effet, les deux chercheurs du LLACAN affichaient en 2008 dans leur introduction la double volonté d’élargir la conception de la littérature orale africaine à d’autres genres de discours que le conte, le proverbe ou l’épopée, à quoi elle est parfois réduite, d’une part et, d’autre part, “de remettre en cause le cliché d’une littérature orale africaine fondamentalement passéiste”   pour en révéler les évolutions et la modernité. Cette même double orientation sous-tend les travaux réunis par Clément Dili Palaï et Alain Cyr Pangop Kameni.

Les genres traditionnellement étudiés par les spécialistes de littérature orale sont bien présents, mais les différents travaux vont toujours au-delà de leur définition habituelle, en les mettant en perspective et en relation avec d’autres genres. Si la troisième partie est consacrée, de manière très classique, aux “contes et parémies”   , c’est davantage l’influence de ces grands genres de l’oralité africaine dans d’autres formes de discours qui intéresse les différents contributeurs. Françoise Ugochukwu observe ainsi l’héritage de la structure du conte dans le cinéma nigérian contemporain. Karen Ferreira-Meyers s’interroge sur la double présence des proverbes et de l’épopée dans les autofictions de Véronique Tadjo. Clément Dili Palaï s’intéresse à la porosité des contes et du mythe dans des corpus du Nord-Cameroun. D’autres genres, sans doute moins attendus dans les études académiques sur l’oralité, sont abordés, comme le discours publicitaire (Jean Benoît Tsofack), l’opéra (Pierre Roméo Akoa Amougui) ou la chanson. Sur ce dernier genre, les articles d’Adeline Nguefak, Sylvestre Djouamon et Rahma Barbara sont consacrés à des formes de chants très diverses (chant de résistance, chanson traditionnelle, chanson modernisée).

Plus profondément, l’ensemble de l’ouvrage est structuré autour de cette question du genre littéraire. Le “cadrage général et générique” de la première partie tourne tout entier autour d’un questionnement méthodologique pour penser et organiser sur le plan théorique ce très large pan de la production culturelle africaine qu’est l’oralité. On touche ainsi aux limites du domaine des études littéraires, qui s’enchevêtrent notamment avec la sociolinguistique et l’histoire sociale, comme en témoigne l’étude de David Maura sur les patronymes mafa. Les deuxième et troisième parties, qui concernent la poésie orale pour l’une, les proverbes et contes pour l’autre, continuent cette logique générique.

La quatrième partie porte sur la néo-oralité, les nouvelles formes de littérature orale apparue dans la seconde moitié du XXe siècle, avec l’introduction dans les pratiques culturelles de nouveaux supports et de nouveaux médias (cinéma, radio, disques et cassettes, etc.). Les contributeurs réfléchissent alors sur la façon dont les formes et la logique des genres traditionnels de la littérature orale nourrissent et construisent certaines pratiques culturelles contemporaines. De la littérature autofictionnelle à la publicité en passant par le cinéma ou le discours politique, les genres littéraires oraux irriguent les cultures africaines dans toute leur diversité. L’ouvrage rejoint sur ce point la seconde visée des « perspectives théoriques et méthodologiques » d’Ursula Baumgardt et Jean Derive, qui insistaient eux aussi sur le dynamisme polymorphe de l’oralité africaine.

Cependant, l’ouvrage de Clément Dili Palaï et Alain Cyr Pangop Kameni s’écarte notablement de celui d’Ursula Baumgardt et Jean Derive dans la méthode employée. Plutôt que de fournir des perspectives théoriques nourries par une expérience de terrain, le livre des deux chercheurs camerounais part constamment d’études de terrain, très localisées, richement documentées, pour arriver à un questionnement théorique.

La cohérence d’ensemble du volume n’en pâtit pas pour autant. D’une part, l’organisation des différentes parties est solidement orchestrée. D’autre part, le point de référence reste l’Afrique centrale, et plus précisément le Cameroun. C’est là dans la logique des “mélanges”, qui rendent hommage au travail de Gabriel Kuitché Fonkou à l’université de Dschang, qui a grandement contribué à l’essor des études sur la littérature orale au Cameroun. Un article dresse d’ailleurs le bilan de l’originalité des travaux menés dans le cadre académique dont il a été l’un des fondateurs (Alain Cyr Pangop et Marie Makougang). Ce n’est pas pour autant une preuve de fermeture : certains articles portent sur les cultures nigériane, béninoise, burkinabée ou marocaine. Le Cameroun n’est pas un lieu exclusif, mais un espace de référence : l’ouvrage porte majoritairement sur des formes orales assez précisément situées, qui résonnent cependant d’échos plus larges, ouvrant à des questions théoriques plus générales.

Enfin, en partant d’expériences de recherches diverses, l’ouvrage peut illustrer les débats théoriques qui agitent les études sur les littératures orales africaines. Certaines contributions sont ainsi empreintes d’un certain traditionalisme, voire d’une forme d’afrocentrisme – parfois sur un mode polémique. D’autres, prenant le contrepied, livrent des études formelles de schémas narratifs ou de pratiques de performance. Certaines études proposent une approche plus thématique : à plusieurs reprises, le lecteur est ainsi amené à voir comment le traitement du motif de la famille peut refléter les évolutions sociales africaines. Il faut aussi noter l’importance que prennent les études féministes ou les théories du genre, comme en témoigne notamment l’article d’Enongene Mirabeau Sone.