Un livre retraçant l'ascension au pouvoir de Loukachenko, de chef de sovkhoze à maître incontesté du Bélarus indépendant.

Paru à Moscou en 2010, interdit en Biélorussie, cet ouvrage est à notre connaissance la seule biographie d’Alexandre Loukachenko disponible en langue française. Après une préface de Stéphane Chmelewsky, ancien ambassadeur de France à Minsk, l’historien, politologue et journaliste Valeri Karbalevitch dresse un portrait virulent du président biélorusse, s’efforçant de comprendre comment cet ancien directeur de sovkhoze a pu, sans le soutien d’aucun parti politique, accéder au pouvoir trois ans après la chute de l’URSS et s’y maintenir depuis.

La première partie du livre est consacrée à l’arrivée au pouvoir l’Alexandre Loukachenko. Né en 1954, à Kopys, une petite ville près de la frontière russe, d’une mère paysanne et d’un père inconnu, et après une enfance sans doute difficile, A. Loukachenko poursuit des études d’histoire. Une fois diplômé, il exerce plusieurs métiers avant d’obtenir, par correspondance, un diplôme d’économie de la faculté d’agriculture qui lui permet de prendre une nouvelle orientation. Au milieu des années 1980, il est nommé secrétaire du parti d’un sovkhoze du district de Chklov, dans l’oblast de Moguilev, une subdivision voisine de sa ville natale. Il devient peu après directeur du sovkhoze de Gorodets, dans le même district. A l’époque, le pays s’engage dans la voie des réformes, ce dont il sait tirer parti pour redresser son sovkhoze déficitaire, tout en poursuivant une carrière politique locale, multipliant les réunions, fustigeant le régime en place. Battu en 1989 aux élections du Soviet Suprême d’URSS par le premier ministre Viatcheslav Kebitch, il sort cependant de cette première épreuve avec un nombre de voix plus qu’honorable. Un an plus tard, il est élu député au Soviet Suprême de Biélorussie.  

Après l’indépendance, nommé président d’une commission de lutte contre la corruption, A. Loukachenko rend un rapport controversé mais qui lui permet de se créer une image d’homme intègre et courageux, n’hésitant pas à dénoncer les abus dans les plus hautes sphères. Une image dont il se sert en 1994 lors des premières élections présidentielles du pays qu’il remporte contre V. Kebitch. La Constitution biélorusse, adoptée quelques mois plus tôt et créant la fonction présidentielle, lui confère des pouvoirs importants qu’il n’aura pourtant de cesse de développer au détriment du judiciaire et du législatif. Le fait est d’autant plus vrai que le Soviet Suprême, faute d’un nombre d’élus suffisant aux législatives suivant l’élection présidentielle, ne pourra se réunir durant plusieurs mois, jusqu’à ce que de nouvelles élections soient organisées. En dépit d’un bras de fer avec les députés affaiblis, le président parvient, en 1996, à faire approuver le projet d’une nouvelle Constitution qui le rend encore plus puissant.

La montée au pouvoir d’Alexandre Loukachenko est rendue possible par le contexte de la perestroïka et de la démocratisation dans lequel il se pose en défenseur des réformes et du monde rural, fustigeant le système soviétique et la nomenklatura dont il se dit également victime. Mais le président biélorusse prendra très vite le contrepied de ce discours. Déjà, dès l’accession du pays à l’indépendance, il avait, remarque V. Karbalevitch, voté contre les réformes et soutenu l’idée d’une union monétaire avec la Russie. Depuis son élection, explique l’auteur, A. Loukachenko a instauré un système spécialement modelé pour lui, usant du populisme et de la manipulation face à une population trop longtemps privée de culture politique, faisant appel non à l’identité nationale mais à l’héritage soviétique et plongeant son pays dans une inefficacité économique et un isolement diplomatique patents.

C’est ce mode de gouvernement qu’étudie V. Karbalevitch dans la seconde partie de son ouvrage. Après un chapitre consacré à la psychologie d’A. Loukachenko, il passe en revue le retour du pays à "l’économie de mobilisation", les questions de politique étrangère, le feuilleton des relations avec la Russie (un rapprochement dont le président biélorusse aurait espéré, à la fin des années Eltsine, tirer parti pour "s’installer au Kremlin"), ou encore évoque la gestion des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl qui a touché une partie du territoire   , pour montrer que, dans bien des domaines, l’intérêt du pays est souvent mis de côté. L’auteur décrit la "verticale du pouvoir" instaurée par A. Loukachenko et consacre un dernier chapitre à "l’escadron de la mort" considéré comme responsable de la disparition de plusieurs personnes trop gênantes   à la fin des années 1990.

Soif de pouvoir, peur du complot, folie des grandeurs – qui va jusqu’à le faire organiser des compétitions de hockey auxquelles il participe dans les grands "palais de glace" qu’il a fait construire, ou amener son fils cadet, encore un enfant, à des réunions diplomatiques –, absence de véritable vision de transformation de la société ou de stratégie à long terme, versatilité, trivialité, mais également charisme et instinct politique… la personnalité d’A. Loukachenko, telle qu’elle apparait au fil des pages et des citations choisies pour ouvrir chacun des chapitres, pourrait parfois prêter à sourire s’il n’avait pas plongé tout un pays dans "un cauchemar politique hérité du passé" où les contrepouvoirs sont écrasés et les réformes impossibles car elles contribueraient à briser l’intégrité d’un système spécialement conçu par et pour un homme qui, conclut V. Karbalevitch, en est maintenant l’otage