Jean-Yves Tadié définit une poétique du roman d’aventures qui met l’accent sur la valeur littéraire des ouvrages, à partir des chefs-d’œuvre de Dumas, Verne, Stevenson et Conrad.

Les éditions Gallimard republient, dans la collection “Tel”, Le Roman d’aventures de Jean-Yves Tadié, initialement paru aux Presses universitaires de France, en 1982, devenu un ouvrage de référence sur la question. L’ouvrage rejoint alors, dans le catalogue de la collection, Le Récit poétique. Apparemment, les deux ouvrages traitent d’objets très différents : les pirates de Stevenson et les mousquetaires de Dumas ont peu à voir avec l’univers de Julien Gracq. Pourtant, Jean-Yves Tadié emploie dans les deux ouvrages une méthode semblable : il fait le choix d’une étude des stratégies d’écriture.

Il centre son propos sur la “phénoménologie de la lecture”   au sein des romans d’aventures : il analyse les moyens mis en œuvre par les auteurs pour susciter une identification du lecteur au personnage et lui communiquer les sentiments et les émotions liés à ses aventures. Jean-Yves Tadié définit donc une poétique du genre. Il aborde ainsi le genre à travers des outils issus de la narratologie, de l’étude systématique des personnages, de la configuration littéraire de l’espace. Il procède aussi par comparaison : son effort de définition du genre du roman d’aventures le conduit à le distinguer d’autres genres romanesques. La construction de l’intrigue le distingue du genre policier – qui part de ce qui s’est passé, alors que le roman d’aventures se fonde sur un déroulement chronologique d’une intrigue. L’accent mis sur l’espace au détriment de l’histoire distingue nettement Alexandre Dumas de Walter Scott.

Quoique principalement théorique, la démarche de Jean-Yves Tadié s’articule aussi à une histoire littéraire. L’analyse du genre part de son histoire. En effet, si la notion d’“aventure” semble essentielle au destin du genre romanesque en lui-même, de manière transhistorique, le roman d’aventures se distingue par l’accent mis sur l’aventure elle-même, plus importante que les personnages et leur évolution. En se distinguant d’autres sous-genres romanesques au cours du XIXe siècle, il acquiert ainsi une autonomie. Et il atteint son âge d’or au siècle suivant, avant de connaître une forme de déclin sur laquelle conclut l’ouvrage.
L’un des intérêts de cette poétique du roman d’aventures réside dans cette définition par une démarche d’écriture d’un moment particulier de l’histoire littéraire européenne. Le livre de Jean-Yves Tadié semble aller à rebours d’une attitude attendue à l’endroit d’un genre considéré comme populaire, ou destiné à un public enfantin. À propos d’un objet qu’on serait tenté d’appréhender à travers le prisme des études culturelles, Jean-Yves Tadié propose une poétique qui, à rebours d’une telle démarche, met l’accent sur la valeur littéraire des textes. Le roman d’aventures de Jean-Yves Tadié se caractérise par ses qualités esthétiques : la maîtrise de l’écriture permet de cerner des romans d’aventures littéraires, qui se démarquent par leur jeu original sur les règles du genre.

La démarche générale du livre se comprend à partir de ce postulat : Jean-Yves Tadié commence par poser des traits de définition du genre avant d’étudier les œuvres de quatre auteurs en particulier. En effet, puisqu’il s’agit de traiter de l’écriture des textes et de leur pragmatique, le critique passe par une étude détaillée de certains romans, qui lui permet d’illustrer et de compléter tout à la fois son propos. Le rythme et l’ordre du récit deviennent essentiels pour bien analyser Jules Verne ; la construction des personnages chez Stevenson permet à la fois de comprendre les procédés de l’identification du lecteur et de saisir la spécificité de la vision du monde de cet auteur.

Les études suivent le cours d’une démarche comparatiste : Jean-Yves Tadié confronte deux écrivains français à deux écrivains britanniques. Elles épousent aussi le cours d’une histoire littéraire du roman d’aventures. Celui-ci paraît ainsi émerger du romantisme avec la figure d’Alexandre Dumas, trouver son apogée au tournant du siècle, avec les figures de Jules Verne et Robert-Louis Stevenson, et sa pleine maturité avec Joseph Conrad dans le premier tiers du XXe siècle.

Surtout, les études présentent les auteurs selon la valeur littéraire de leur œuvre. D’une part, Jean-Yves Tadié rétablit certains oubliés des canons littéraires – en 1982, la critique universitaire commençait seulement à redécouvrir Jules Verne. Si la démarche peut sembler normative, elle a surtout pour résultat de rendre à certains auteurs une place dans le panorama de la littérature européenne, à redorer le blason d’un genre relégué au second plan, à lire avec sérieux des romans dont il démontre les qualités esthétiques et littéraires. D’autre part, il y a comme une gradation dans la succession des études. De l’art d’Alexandre Dumas et Jules Verne, où Jean-Yves Tadié décèle aussi des défauts, l’ouvrage fait passer le lecteur à la riche œuvre de Joseph Conrad, qui pousse le genre à ses limites, et à son “sommet” en lui conférant “la poésie, le style, l’espoir d’une philosophie”   .

Le livre ouvre alors sur une autre réflexion, sur la façon dont le sous-genre du roman d’aventures a débordé de son cadre pour s’instiller dans le roman tout court. Notamment, puisque la notion d’exotisme est si liée au genre, on est tenté de confronter ce corpus européen à la façon dont il transparaît en filigrane et palimpseste chez des auteurs comme Chinua Achebe, Wole Soyinka ou Luis Sepúlveda. La stimulante étude de Jean-Yves Tadié constitue donc à la fois une somme et une référence sur le sous-genre du roman d’aventures et une ouverture à d’autres interrogations sur la place de ce genre au sein de la littérature mondiale.