Un ouvrage d'actualité, qui a le mérite de proposer plusieurs solutions audacieuses à une problématique complexe, malgré un certain parti pris institutionnel.

Comme dans de nombreux autres corps de l'État, au ministère de la Défense et au sein des Armées, on s'inquiète de la "judiciarisation" des pratiques professionnelles. Le risque de la "judiciarisation inutile" de l'action militaire est perçu avec acuité jusqu'au plus haut niveau de la hiérarchie. Il a ainsi été exprimé très explicitement par François Hollande, lors de son premier message aux Armées le 19 mai 2012. Cette prise en compte est vécue dans les rangs des forces comme une marque de considération des personnels voire une contrepartie symbolique énoncée par la hiérarchie à l'heure où de nouveaux sacrifices sont exigés notamment à l'aune des contraintes budgétaires. Du côté politique, elle est exprimée comme un message de confiance dans les armées et l'expression que rien ne saurait inhibée le recours à la force, si nécessité s'en fait sentir.

Le surgissement de la procédure pénale dans l'univers des opérations militaires extérieures n'est néanmoins pas totalement nouveau. Il s'est fait jour avec une gravité particulière à l'heure des guerres balkaniques. Les autorités civiles et militaires de la rue Saint Dominique et du boulevard Saint Germain se sont d'abord inquiétées de voir les personnels mis en cause devant la Cour pénale internationale notamment par les avocats de ceux qu'ils ont combattu sur le terrain. Voir accuser à la face du monde des soldats, au nom de la défense des droits de l'homme, par les défenseurs de tortionnaires du pire acabit est une perspective insupportable aux responsables politiques et militaires qui ont dépêché légitimement des femmes et des hommes en armes sur un théâtre d'opération. Aujourd'hui, non seulement cet aléa juridique persiste mais il s'ajoute aux procédures intentées au commandement par des familles de combattants français tués au feu. On notera d'ailleurs que le nombre de mort à peu d'importance puisque les décès accidentels   ou d'actes terroristes   n'ont pas entrainé de saisine de la justice. En outre, la clarification de la jurisprudence accroit paradoxalement l'angoisse de judiciarisation même si les condamnations civiles et pénales sont rares.

Toute chose égale par ailleurs, ce sont les suites judiciaires données par les proches des dix soldats tombés le 18 août 2008 à Uzbin en Afghanistan qui ont, raisonné comme un coup de tonnerre au sein de l'institution militaire et laissé transpirer le sentiment d'un décalage croissant entre les exigences de l'état militaire et celles de la société civile contemporaine. Officier de réserve, l'ancien directeur juridique d'EDF actuellement associé au cabinet d'affaires CMS Bureau Francis Lefebvre, Christophe Barthélemy, a décidé d'analyser les causes du malaise, les incompréhensions civilo-militaires et les moyens d'assurer une meilleure protection juridique aux militaires envoyés au combat. L'essai de l'ex-auditeur de l'Institut des hautes études de défense nationale est celui d'un réserviste indigné. Il n'en relaye pas moins les préoccupations pour ne pas dire les points de vue du monde militaire. La préface de l'ancien chef d'état-major des armées et du comité militaire de l'Union européenne, le général (2S) Henri Bentegeat, en témoigne d'ailleurs sans détour.

Le parti pris institutionnel et l'exaltation de l'altérité militaire de l'étude de C. Barthélemy opposent parfois de manière un peu factice le monde civil et les Armées, les prévôts et les guerriers, les hommes d'action et les magistrats. Ils laissent de côté un peu rapidement les évolutions intrinsèques des régimes juridiques notamment l'apparition des délits non intentionnels depuis le milieu des années 90 mais également le sentiment profond, depuis la Guerre de 14, que les officiers de métier exposent trop souvent inutilement la vie des autres. Il n'en demeure pas moins que la désacralisation présente du soldat fait de sa mort un "accident" qui "certainement" aurait pu être évité.

A défaut de pouvoir esquiver les plaintes pour homicide involontaire, l'institution militaire doit s'interroger sur la manière de parler des risques de décéder au combat, d'honorer ses morts, de l'usage de la vive force et de parler de ses engagements extérieurs. Ces réflexions sont d'autant plus indispensables qu'il faut bien constater un nombre limité de condamnations suite aux procédures pénales engagées contre des soldats. L'extinction de certaines procédures ont d'ailleurs pu laisser perplexe l'opinion   , tout comme l'absence d'interrogations sur certaines opérations de combat   . Il ne faut donc pas sur-estimer l'effet déstabilisateur des procédures passées, en cours ou à venir. Rien ne démontre que la délégation des ordres aux échelons inférieurs, la confiance dans la capacité de discernement des chefs, le lien indissoluble entre l'obéissance aux ordres licites reçus et la protection qui en résulte pour les subordonnés ne soient réellement menacés. Pour autant, l'introduction des règles de droit pénal s'impose dans le champ de la décision militaire.

Les combats en milieu urbain, contre des acteurs non étatiques, l'adversité asymétrique où l'ennemi n'admet pas les lois de la guerre sont bien des raisons d'être vigilant afin que les modes opératoires militaires ne soient pas l'objet de recours. Dans ce contexte, l'application du droit des conflits armés en particulier dans les opérations autres que de pure coercition mérite d'être étudiée avec la plus grande attention. Toutefois, cela ne suppose pas de remettre en cause le principe de la compétence unique des juridictions pénales ordinaires pour statuer sur les infractions relevant du droit des conflits armés ou celles relevant des opérations militaires faisant l'objet du II de l'article L. 4123-12 du code de la défense voire des infractions de nature délictuelle ou criminelle pour lesquelles sont poursuivis des militaires en service. Nonobstant cet axiome de bon sens, selon une logique de milieu, l'avocat C. Barthélemy suggère la création de dispositifs ad hoc comme il en existe en France pour enquêter et lutter contre le terrorisme, les violations du droit de la propriété intellectuelle ou encore les malversations financières. Il est ainsi proposé de modifier le code de justice militaire, ses articles L. 112-1 à L. 112-36 pour "créer une juridiction pénale spécialisée, qui soit à même d'établir les faits et d'identifier, le cas échéant, de véritables comportements répréhensibles dans un contexte dont elle mesurerait la spécificité et la complexité". Les modalités sont dépeintes à grands traits   . Reste à savoir si cet écheveau juridique novateur ne fera pas naître dans l'opinion le sentiment de construire une justice éxonératoire pour les militaires en opération ! Un danger, à l'heure où il faut renforcer les liens Armées - Nation. Il n'est pas théorique surtout si certaines des propositions de l'auteur sont retenues.

Comme bien des militaires, C. Barthélemy marque une certaine prévention vis-à-vis de la gendarmerie. C'est si vrai, qu'il veut que les prévôts et gendarmes alertent le procureur conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale et n'ouvrent d'enquête que sur instruction écrite du Commandement de la gendarmerie prévôtale, une fois que celle-ci aura constaté qu'une infraction a été ou paraît avoir été commise mais aussi après avoir consulté l'ensemble du dossier, y compris l'enquête de commandement et d'éventuels documents déclassifiés. Adopter une telle mesure nuirait à la réactivité des procédures et nourrirait bien des suspiçions sur les volontés de l'exécutif et du commandement de voir déboucher les enquêtes.

Plus intéressant à débattre est la proposition d'appliquer aux militaires et à leurs ennemis le droit des conflits armés à l'exclusion du droit pénal ordinaire pour les interventions extérieures de haute intensité. Dans ce cas, il conviendra d'énoncer clairement la nature d'un conflit et le qualifier ni plus ni moins, comme dans le cas malien aujourd'hui, de guerre.

Plus compliquée sera de rechercher une synergie juridique avec les Alliés à commencer par les partenaires européens afin que les même règles de droit s'appliquent aux militaires à l'occasion d'un engagement commun. Uniformiser la règle de droit applicable aux militaires en opération extérieure, accentuerait le sentiment d'appartenir à la même communauté de défense et de valeurs, par delà même des cultures juridiques nationales bien différentes. Une avancée conséquente alors que la politique de défense européenne peine à se matérialiser en opérations militaires nouvelles ou sur les plans capacitaires et industriels.

Autre idée audacieuse de C. Barthélémy, sa proposition qu'au même titre que l'état de siège et l'état d'urgence soit définie par la loi, un texte établissant la nature juridique des opérations extérieures et les conditions dans lesquelles le pouvoir exécutif peut décider qu'elles entraînent l'application du droit des conflits armés, à l'exception du droit pénal français, et cela à l'ensemble des personnels qui y sont impliqués, volens nolens. Il en est de même pour que la loi précise que l'autorité politique est habilitée à distinguer selon les phases de l'opération (coercition, stabilisation...) et les zones d'action. Un tel texte permettrait de (re)légitimer le refus systématique qu'oppose depuis 1966 le Conseil d'État aux demandes de réparation des dommages nés des opérations militaires à l'étranger.

La somme des réformes proposées par C. Barthélemy témoigne d'un véritable plan d'action gouvernemental   . Des suggestions qui sont soucieuses d'efficacité comme en témoignent son appel à la formation des magistrats   ou encore son vœu de voir augmenter le nombre des conseillers juridiques sur les théâtres d'opération prévu au Protocole 1 des Conventions de Genève du 8 juin 1977. Une mesure qui pourrait d'ailleurs s'appliquer immédiatement au Sahel où ils sont, comme les prévôts, en nombre notoirement insuffisant aujourd'hui (4 LEGAD au Mali). Mais au-delà du droit, on retiendra aussi que le souci du détail opératoire de C. Barthélemy est allé jusqu'à examiner l'harmonisation des pensions prévues par le code des pensions d'invalidité et la définition des ayants-droit. Il est vrai que là aussi des réformes sont nécessaires. En effet, il est difficilement acceptable qu'il y ait des inégalités entre militaires selon qu'ils perdent la vie sur le territoire national ou en opération extérieure, ou bien selon qu'ils sont gendarmes ou qu'ils appartiennent à une autre armée