En ce dimanche 13 janvier défilera dans les rues du Royaume de France un improbable cortège, composé de prélats, de politiciens réactionnaires, d’extrémistes de droite et de fanatiques religieux, accompagnés de "braves citoyens" inféodés à une vision obtuse du mariage et de la famille, tous ensemble mobilisés contre une réforme législative proposant de mettre fin à une discrimination de fait entre citoyens adultes et responsables, censés être égaux en droits. Les grands médias, qui n’ont accordé que des entrefilets à la grande manifestation du 16 décembre en faveur du mariage pour tous, couvriront avec bien plus d’attention et de complaisance celle du 13 janvier regroupant les opposants au projet de loi. La vie médiatico-démocratique est ainsi faite : les messages d’intolérance et de mépris ont toujours été plus "vendeurs" (car plus conflictuels) que ceux mettant en valeur le respect de l’autre et l’égalité. A la faveur des manifestations de rues comme des sempiternelles foires d’empoigne entre pro- et anti- sur Internet, un rapport de force s’installe, de fait, entre une "communauté de l’égalité" et une "communauté de la haine". Si ce rapport peut menacer de tourner à l’avantage de la seconde (on a déjà vu notre "gauche de gouvernement" reculer sur des points importants, cf. la PMA ou l’épisode désastreux de la "liberté de conscience" des maires…), ce n’est certes pas en fonction de la force intrinsèque de ses arguments. Prenez n’importe quel discours d’un opposant au mariage pour tous, il entrera (au moins) dans une des dix catégories suivantes :

- 1. Les insultes ouvertes, propos de comptoir et  autres ricanements de corps de garde sur fond de clichés associés à l’homosexualité, célébrant en creux le profond satisfecit de leurs auteurs, qui se réconfortent ainsi, implicitement, de leur appartenance à une norme dominante.

- 2. Les comparaisons avilissantes (le rapport homosexuel apparenté à la pédophilie ou la zoophilie par exemple) qui, associées aux prospectives dégradantes sur les effets d’une évolution législative vers le mariage entre personnes de même sexe ("et si demain j’ai envie de me marier avec mon téléphone ?", etc.), en disent beaucoup plus long, hélas, sur l’univers psycho-sexuel propre à leurs auteurs (cette incapacité apparente à saisir le concept d’une relation affective entre adultes consentants est le signe d’une immaturité sexuelle inquiétante, au fond) que sur les conséquences effectives qu’entraînerait une telle évolution sur les mœurs contemporaines.

- 3. La hiérarchisation décomplexée des identités sexuelles, associée à l’emphase millénariste de la menace du "chaos" civilisationnel ("à quand la légalisation de l’inceste ou de la polygamie ?") : au nom de visions simplistes et délirantes de l’histoire de notre "civilisation" et de son possible effondrement, plusieurs députés FN et UMP ont, par exemple, fait publiquement mention d’une supposée infériorité morale de l’homosexualité sur l’hétérosexualité. (Ce n’est évidemment pas le seul domaine, aujourd’hui, où la parenté idéologique entre ces deux partis apparaît clairement.)

- 4. La convocation rassurante de la "tradition", grand classique du conservatisme, doublée de la référence désespérée à une supposée "essence" de la famille ("un papa et une maman"), que tout contredit par ailleurs : l’anthropologie historique des structures de parenté, l’observation sociologique des évolutions contemporaines de la famille (divorces, systèmes monoparentaux), etc.

- 5. L’expression naïve et arbitraire d’un système de valeurs fondé sur la base de textes religieux (autrement dit, dans une République laïque, sur rien), qui a d’ailleurs amené les représentants de certaines minorités (juive, musulmane) à prendre une position, sans doute évaluée par eux comme "stratégique", dans la grande vague de l’Ordre moral qui investira les rues ce dimanche.

- 6. L’homophobie chrétienne-compassionnelle (avec en figure de proue l’inoxydable passionaria anti-PACS Christine Boutin), qui, sous couvert d’une hypocrite et condescendante bienveillance (la soi-disant "souffrance" des personnes homosexuelles, vues comme des brebis égarées), répand une vision idéologico-normative extrêmement violente des rapports entre les êtres et des structures de filiation. Cette idéologie s’oppose ainsi, de façon virulente, à tout (égalité des droits, sensibilisation à l’homophobie dans les milieux scolaires, etc.) ce qui pourrait, dans les faits, atténuer la dite-souffrance possiblement ressentie par les homosexuels en raison des phénomènes d’exclusion dont ils sont victimes. Ce n’est pas la moindre des contradictions d’une pensée très étroitement religieuse (la foi est ici vidée de toute spiritualité, réduite à un petit vade-mecum moral) qui met en avant, théoriquement, les notions d’amour et de tolérance à l’égard des "déviants", pour mieux les piétiner au nom du respect de textes "sacrés".

- 7. La sociologie sauvage et intuitive d’un "monde homosexuel" fantasmé (associé, en vrac, à la luxure, à l’individualisme décadent post-mai 68, à la consommation de stupéfiants, etc.) et/ou réduit à une poignée de témoignages tirés de l’expérience personnelle et haussés à valeur de loi générale ("j’ai croisé un gay lors d’une soirée, et il m’a dit qu’il ne souhaitait pas se marier", etc.).

- 8. La camaraderie de sortie de boîte, qui entend reléguer le rôle social des personnes homosexuelles à celui de gentils transgressifs nocturnes, sympathiques, drôles, originaux et décoratifs, en assurant (à leur place) qu’ils ont bien de la chance d’être "différents", et qu’ils ne souhaitent pas vraiment s’embarrasser de cette "institution bourgeoise" qu’est le mariage. Notons que cette dernière posture manque ainsi gravement le fond du problème, qui n’est pas le mariage lui-même, mais l’égalité des droits.

- 9. L’"homophobie de l’agacement" (dont le fameux "Messieurs les homosexuels, laissez-nous tranquilles !" du député UMP Jacques Myard pourrait constituer le parangon) , qui s’indigne de constater que les Français homosexuels d’aujourd’hui (pourtant beaucoup mieux tolérés que leurs "ancêtres" des périodes passées ou leurs "congénères" d’autres aires géographico-culturelles), loin d’être reconnaissants envers la société qui ne les emprisonne pas et ne les classe plus dans la catégorie des malades mentaux, ont l’outrecuidance de réclamer encore et toujours plus de droits – un peu comme s’ils étaient pressés d’être reconnus comme des citoyens à part entière. Reposant souvent sur l’idée que l’homosexualité relève d’un "comportement" choisi (et non d’une donnée naturelle de l’individu, comme la couleur de peau par exemple), cette "homophobie de l’agacement" s’incarne souvent dans des phrases-type telles que : "L’Etat n’a pas à valider les caprices d’une minorité", et s’accompagne en général de jugements dépréciateurs à l’égard des homosexuels lorsque ces derniers outrepassent le caveau underground que la norme hétéro-tolérante leur avait alloué (on dit alors, parce qu’ils exposent leurs vies de couple ou qu’ils s’embrassent dans la rue, qu’ils "s’affichent", et que cela est "obscène").

- 10. La manifestation d’une inquiétude pour la condition psychique et morale des enfants élevés par des couples de même sexe. On touche ici à l’un des arguments les plus volontiers avancés par les discours des anti- (notamment par tous ceux qui débutent avec l’expression "Je ne suis pas homophobe, mais… ") : l’invocation d’un "principe de précaution" visant à la protection de nos chères têtes blondes est sans nul doute ce que les opposants au projet de loi considèrent comme leur argument le plus efficient, et surtout comme le plus "présentable". Le fait que leur sollicitude envers les enfants s’arrête bien souvent au seuil des foyers hétérosexuels dysfonctionnels, qu’elle repose sur une vision caricaturale à souhait de l’archétype oedipien et des fonctions sexuées au sein du couple, et qu’elle choisit d’ignorer le nombre important des études sérieuses menées dans les pays qui nous devancent sur la question de l’homoparentalité (et dont les conclusions rassureront tous ceux qui se posent réellement la question du bien-être des enfants), empêche cependant d’accorder un crédit suffisant à leurs préoccupations. Dans l’écrasante majorité des cas, ces dernières dissimulent assez mal le lien direct entre "l’inquiétude pour les enfants" et le préjugé dégradant à l’égard des homosexuels. Le rapport de couple homosexuel, souvent appréhendé sous l’angle du seul génital, est alors considéré comme une forme "impure" d’existence, un mode d’"être-ensemble" inférieur au rapport hétérosexuel. Certains discours de sollicitude contournent cet écueil en affirmant regretter l’existence d’un préjugé dévalorisant à l’égard des couples homosexuels, tout en faisant de l’existence regrettable de ce préjugé un argument pour combattre l’éventualité de l’adoption : les enfants élevés par des homosexuels risqueraient de souffrir, pendant leur développement, de l’homophobie ambiante de la société française. Il s’agit alors d’un renversement spectaculaire des priorités : l’urgence n’est plus de faire reculer l’homophobie en donnant aux homosexuels les mêmes droits qu’aux autres citoyens, mais de protéger les enfants qu’ils pourraient avoir de cette homophobie justement entretenue par l’absence de reconnaissance légale de leur structure familiale.

On touche ici à un cas de pure aberration rhétorique, une constante dans les arguments des opposants au projet de loi ; un autre de leurs arguments, consistant à démontrer l’inexistence d’une discrimination au motif que "les homosexuels ont, comme les autres, le droit de se marier… avec une personne de sexe opposé", en représente sans doute l’exemple le plus "abouti".

 

Perspectives et questionnements

Le grotesque échevelé de telles déclarations, comme de la petite poignée de postures dont on vient de proposer une typologie en dix points (non-exhaustifs), pourrait prêter à rire, bien entendu. Et on peut être certain qu’elles amuseront beaucoup les historiens-sociologues-anthropologues du futur qui se poseront, plus tard, la question de l’univers de discours et de pratiques propres aux opposants du "mariage pour tous". Mais pour nous qui, aujourd’hui, en sommes les témoins quotidiens, ces dix points résument ce que la communauté de la haine crie tous les jours, avec le plus grand sérieux, sur tous les supports, par l’intermédiaire de ses représentants officiels dans les médias de masse, comme de ses petits exécutants anonymes crachant leur bile sur les forums des sites d’actualité.

Cela n’empêche pas la communauté de la haine de hurler au scandale en regrettant l’absence, selon elle, d’un "vrai débat". C’est un mythe très répandu chez les réactionnaires de tout poil : se fantasmer comme une minorité de "libres-penseurs", de résistants, opprimés par une grande Pensée unique progressiste et totalisante (alors même qu’ils participent, dans les faits, d’un ordre dominant parmi les plus oppressifs qui soient). Il pourrait évidemment être considéré comme obscène de "débattre" d’une question touchant au rétablissement de droits de personnes discriminées par la loi, sans qu’en résulte aucun préjudice pour les autres (ne parlons même pas de l’éventualité de soumettre une telle question à un référendum…) ; mais que dire, sinon que ce débat a pourtant bien lieu, en continu et jusqu’à l’indigestion,  qu’il a tendance à ressembler à une "controverse de Valladolid" du pauvre, qu'il ne mène nulle part (comment débattre avec quelqu’un qui avance que la famille, "c’est (par essence) un père et une mère", que Dieu l’a voulu ainsi, etc. ?), et qu’il nous en apprend finalement beaucoup plus sur les opposants au projet de loi que sur les personnes effectivement concernées par ce dernier.

Il nous en dit long, en effet, ce "débat", sur l’état généralisé de l’homophobie dans le pays. A cet égard, les cris d’orfraie des opposants au mariage et à l’adoption pour tous, s’exprimant publiquement pour le maintien de la discrimination à l’égard des gays mais refusant qu’on les traite d’"homophobes", a de quoi intriguer : elle est sans doute le signe que l’homophobie a cessé d’être une étiquette "tendance" dont on pourrait se revendiquer fièrement (c’est déjà ça), quand bien même les comportements qu’elle recouvre demeurent, à l’identique, sous le vernis flatteur de la revendication d’une liberté d’expression que personne n’a jamais contestée. En démocratie chacun a le droit de s’exprimer, mais s’exprimer c’est aussi s’exposer, et il faut ensuite pouvoir assumer les propos que l’on a tenus. Or il se trouve que les tenants des dix postures répertoriées en début d’article – qui trouvent tout naturel d’énoncer publiquement, et avec toute la certitude de leur "bon sens" primaire, leurs prénotions sur les homosexuels – se scandalisent lorsqu’ils se trouvent, à leur tour, pris pour sujet d’observation et catégorisés. Au fond, ce qui paraît insupportable aux membres de la communauté de la haine, c’est bien qu’on analyse leurs discours, et que l’on révèle, sous les arguments irrationnels ou bouffons dont ils ont usé jusqu’ici, la nature véritable de leur positionnement ; c’est qu’on leur retourne, comme un miroir trop fidèle, cette haine de l’Autre dont leurs propos sont truffés jusqu’à la moelle, et qu’ils refusent (pour la plupart) de reconnaître pour ce qu’elle est.

On peut entendre, sous le terme "homophobie", des phénomènes différents : la "peur" des homosexuels (l’idée d’une société dévirilisée qui inquiète tant les tenants d’un patriarcat hiératique) ; le dégoût pur et simple à leur encontre ; le mépris de bon ton qui voudrait les maintenir à tout prix dans le ghetto des comportements déviants ; les jugements définitifs énoncés sur eux en tant que groupe, en prenant appui sur une espèce de sociologie sauvage et intuitive faisant fi de la grande diversité des êtres et des situations (les gays sont ainsi, les gays veulent ceci, etc.) ; le doute sur leur capacité à fournir un cadre éducatif sain pour des enfants ; leur "infériorité" ontologique, entérinée par un soi-disant commandement divin ; etc. Tous ces comportements renvoient aujourd’hui à la même démarche : ils prétendent justifier le maintien des personnes homosexuelles dans une position dégradée devant la loi, dans un état de sous-citoyen. Cela s’appelle naturaliser ses propres préjugés, et faire de son propre rejet conditionné (par une éducation fermée, favorisant l’ignorance, la peur, le dégoût de l’Autre) l’argument d’une vision inégalitaire de la société. Une société au sein de laquelle les personnes LGBT devraient, au mépris de leurs droits fondamentaux, continuer de payer le prix social de leur orientation sexuelle, sous prétexte que cette dernière heurterait la "vision du monde" de la frange la plus pathologiquement rétrograde de la population.

Nous qui allons être les témoins, ébahis, de la manifestation du 13 janvier, comment ne nous interrogerions-nous pas sur la persistance, en France, d’une communauté de la haine arque-boutée sur une conception aussi régressive de la hiérarchie entre les êtres ? Comment ne pas se poser de question, en particulier lorsqu’on constate la profonde faillite morale et intellectuelle des différentes "églises" instituées, de constater que leurs discours se trouvent encore, dans le contexte d’une République laïque, relayés avec un tel empressement, comme s’ils émanaient d’interlocuteurs valables et/ou compétents ? Comment ne pas voir que ce sinistre cortège sera essentiellement mené par des porte-paroles opportunistes, en mal d’existence médiatique, propulsés pour un temps sous les projecteurs de l’actualité, à un prix moral qu’il vaut mieux éviter d’évaluer ? (Cela vaut aussi pour les quelques "homos honteux" de service, "recrutés" pour les besoins de la cause, et qui échangent une petite gloriole passagère contre leur propre dignité, en faisant passer leurs propres névroses pour des caractéristiques inhérentes à l’homosexualité…)

Quant aux individus anonymes qui garniront le cortège, eux aussi - à leur corps défendant - nous interrogent… Comment faut-il se sentir, intimement et socialement, pour porter jusque dans la rue une conception aussi néandertalienne des rôles sociaux que celle des kitchissimes chorégraphies "Papa ! Maman !" aperçues dans nos rues à l’automne ? Quel assemblage de refoulement personnel, de malaise à l’égard de la sexualité, d’authentique répulsion à l’égard de la différence, de réaction morale et de fanatisme religieux, faut-il réunir pour passer ce cap ? Pourquoi cette urgence à vouloir à tout prix maintenir d’autres êtres humains dans un état d’infériorité manifeste, en s’opposant à une loi égalitaire qui ne modifiera rien à sa propre condition ? Jusqu’à quel point faut-il avoir intériorisé la "norme" d’un temps et d’un lieu, en en faisant d’office la garante du bien, pour vouloir l’imposer aux autres (après se l’être peut-être parfois imposée à soi-même) avec une telle vigueur ? Il serait quand même bon que des études sérieuses viennent nous informer un peu mieux sur le profil psychologique des manifestants anti-mariage gay, tant leurs comportements et leurs propos nous intriguent et nous semblent pathologiques, voire criminels.

Oui, car quelles que soient les préoccupations iréniques qu’ils mettent en avant (voir début de l’article), il faut quand même que ces manifestants l’assument, leur positionnement, dans un pays où les personnes homosexuelles sont encore agressées verbalement et physiquement du fait de leur orientation, et où les adolescents homosexuels font entre cinq et dix fois plus de tentatives de suicide que les adolescents hétérosexuels. Comment ne pas comprendre que la "croissance harmonieuse de chaque jeune" (pour reprendre les termes du courrier crapuleux du Secrétaire général de l’enseignement catholique), hétéro, bi ou homo, est beaucoup mieux assurée dans une société qui fait reculer l’homophobie et garantit à chacun un respect identique de sa nature et des orientations (ce que l’instauration du droit au mariage pour tous favorisera significativement), que dans une société qui stigmatise les homosexuels et présente l’homoparentalité comme une tare ou un risque ? On ne doute pas que les manifestants du 13 janvier se sont fabriqués un petit système moral qui leur permettra de continuer, après coup, à se regarder dans une glace. Mais on est tout aussi certain de l’effroi qu’ils inspireront aux générations futures, lorsqu’elles les découvriront dans les livres d’histoire, aux côtés des manifestants anti-PACS, anti-IVG, anti-droits civiques, etc., bref, aux côtés des hordes réactionnaires qui, de tous temps, et sous couvert de "traditions" supposément ancestrales, ont mobilisé leur temps et leur énergie pour empiéter sur les libertés fondamentales de certains de leurs concitoyens, en vociférant l’indignité fantasmée qu’elles leur prêtaient.

Du point de vue de la communauté de l’égalité, déjà entrée dans un monde où la discrimination d’état est une absurdité à éradiquer au plus vite, la communauté de la haine n’est déjà plus qu’un fascinant objet d’étude anthropologique et psychanalytique. Nous qui, hétéros, homos ou bis, comptons dans notre entourage familial, amical, professionnel des personnes hétéros, homos ou bis, nous qui sommes déjà passés naturellement, au quotidien et dans tous les aspects de notre vie, à ce monde de demain où l’orientation sexuelle de chacun – un phénomène finalement aussi aléatoire que le fait de naître droitier, gaucher ou ambidextre – n’induit plus de jugement a priori sur les gens, à ce monde de demain dans lequel il paraît totalement absurde et médiéval que tous ne disposent pas de droits égaux devant la loi d’un pays démocratique moderne, nous devons encore, pour un temps, subir le monde d’hier, celui des préjugés, des hiérarchisations arbitraires, des haines (plus ou moins bien) rentrées. Nous devons encore contempler ce monde d’hier et entendre ses représentants aboyer leurs absurdes rengaines, et quand bien même l’improbable composition de leur cortège finirait par nous les rendre plus aimablement grotesques qu’autre chose (un peu comme ce grand-oncle sénile "qu’on ne changera plus" et dont on supporte avec un haussement d’épaules les poussées de fièvres coloniales pendant les repas de famille), nous devons encore nous méfier de leur pouvoir de nuisance. Car ce monde d’hier à l’agonie, s’il n’a plus rien de pertinent à proposer au monde de demain, peut encore, pour un temps, nous le rendre parfaitement insupportable