Un ouvrage riche reflétant les interrogations et les craintes de notre société en matière de politiques environnementales

L’ouvrage de Chantal Aspe et Marie Jacque, mêlant sciences politiques, économiques, juridiques et science du vivant, permet de comprendre comment la question environnementale est appréhendée dans nos sociétés contemporaines. La perspective sociologique est, de ce point de vue, très originale. Elle s’intéresse aux conséquences sociales des transformations environnementales en posant notamment la question de la légitimité des discours (le discours scientifique), tout en étudiant le poids des différents acteurs (du législateur adoptant des normes contraignantes, de l’économiste évaluant les coûts des dommages et du scientifique analysant les risques) pour interroger finalement le rôle de la société civile   .

Poser la question environnementale dans le cadre social, c’est mettre en avant le fait que les problématiques écologiques touchent à la structure même de la société et que cette dernière influe sur notre cadre de vie. L’ouvrage met ainsi l’accent sur les conséquences sociales des grands bouleversements provoqués par les progrès techniques : la modernisation et l’urbanisation rapides de la France dont les effets pervers ont eu pour conséquence de voir se développer un imaginaire du retour à la nature. La ‘patrimonialisation’ des éléments naturels et culturels du paysage par exemple, tendant à la conservation du passé comme réponse aux craintes des incertitudes du futur, reflète cette France rurale idéalisée. La nature, espace jusqu’alors approprié par ses habitants, devient un lieu protégé et façonné par les politiciens et les scientifiques.

 

Du dépassement de la technocratie en matière environnementale ou le réveil citoyen

Les auteurs analysent de façon très fine les présupposés liés à la protection environnementale en retraçant l’histoire de la protection de la nature et du militantisme écologique. Cette protection est née du développement de l’écologie scientifique qui a permis de mettre en avant les impacts négatifs sur la santé de certaines industries répondant aux logiques productives de maximisation des profits. C’est donc par un retour à l’homme dans ses fondements les plus simples, le fait qu’il est avant tout un être vivant, que s’opère la contestation environnementale. L’écologie politique est alors scindée en deux courants de pensées qui n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Le premier regroupe l’État, bon nombre de scientifiques, des propriétaires fonciers, des chasseurs défendant une protection partielle d’une nature muséifiée, alors que le second abrite le militantisme écologique œuvrant pour une remise en question de l’ordre établi par l’économie de marché dont les modes de production bouleversent l’équilibre biologique.

La réponse institutionnelle proposée dans les discours des différents courants altermondialistes ou décroissantistes qui luttent contre l’exploitation des ressources naturelles par certains pays industrialisés, est celle de la démocratie participative, de la gouvernance et de la participation citoyenne. La question de l’éducation à l’environnement est alors posée. Partant du postulat que l’environnement nous concerne tous, et ce au plus profond de notre être social, l’éducation à l’environnement est définie comme "une prise de conscience des problèmes globaux d’environnement, la diffusion d’un savoir permettant la compréhension du fonctionnement global de l’environnement, une action sur le comportement en amenant les individus et les groupes à contribuer par leurs actes à sa protection"   . Cet écocitoyen doit ainsi être éduqué dès son plus jeune âge avec des méthodes éducatives nouvelles, redonnant une importance à l’empirisme afin de ne pas soumettre les jeunes enfants à des modèles pédagogiques insensibles et froids. Ce processus éducatif permet de sensibiliser, dès le plus jeune âge, les élèves aux problématiques environnementales. Il tend à dépasser le cadre rigide de l’école classique en autonomisant l’enfant tout en remettant en cause la hiérarchie des savoirs par la prise de parole et le débat.

 

La prise en charge publique de l’environnement : un statut disputé

La sphère juridico-administrative est un support contraignant dont l’effet est de réguler les pratiques sociales, ce qui a un impact sur l’environnement : l’espace que l’homme aménage, régule, parcellise en zones (zones urbaines, péri-urbaines, rurales, naturelles) affectées à des activités (protection, détente, reproduction d’espèces naturelles). Ainsi, aux premières politiques conservatoires s’ajoutent des pratiques gestionnaires, à travers notamment la question du paysage, objet au cœur du débat dans les années 90. Le paysage est comme un buvard qui absorbe les tâches d’une industrialisation mal acceptée parce qu’elle touche au patrimoine et à l’identité du pays. Le paysage illustre bien la réflexion qui est au cœur des politiques environnementales, celle du statut de la nature, c’est-à-dire de sa qualification faisant entrer tel élément dans telle catégorie de droit avec le régime juridique qui l’accompagne. Le paysage, tant dans la Convention européenne du paysage du 20 octobre 2000 que dans l’article L. 110-1 I du Code de l’environnement, est ainsi qualifié de patrimoine commun. Mais les auteurs relèvent une certaine évolution amorcée aujourd’hui. Cette évolution traduit une logique de marché, passant de la logique de la nature-patrimoine à celle de la nature-ressource, qualifiée de bien commun ou encore de bien public mondial. Les titulaires du patrimoine sont des gestionnaires, des garants et des dépositaires d’un patrimoine appartenant à tous. Ils sont inscrits dans une logique éthique, celle de la transmission du patrimoine mondial aux générations futures. En effet, le patrimoine est une appropriation collective de choses n’appartenant à personne mais dont l’usage est commun à tous, la propriété étant, elle, limitée par l’intérêt général. Mais cette logique de legs se confronte à une logique plus forte, celle du marché et des droits de propriété sur le vivant visant l’exploitation et de la privatisation des ressources naturelles protégées.

Toutefois, si l’approche de l’économie environnementale apporte des réponses à la régulation et au traitement de l’épuisement des ressources naturelles, elle se heurte à une limite : celle de l’évaluation monétaire du bien. Or, la nature a-t-elle seulement un prix ?   . La régulation de l’environnement ne peut que difficilement se satisfaire du cadre classique de l’économie, les normes économiques étant inadéquates pour penser les contraintes écologiques car si "les éléments de la sphère économique appartiennent à la biosphère et obéissent à ses lois", "tous les éléments de la biosphère n’appartiennent pas à l’économique et ne se lient pas à ses régulations"   .

 

La voix de l’expert dans une société du risque : analyse sociologique d’une légitimité (in)certaine ?

L’ouvrage aborde dans la dernière partie une question centrale en matière de protection environnementale, celle de l’influence de l’expertise scientifique. L’apparition de l’écologie dans les années 50 concurrence en effet l’économie dans l’explication du rapport de l’homme à son environnement. L’écologie scientifique arrive pour expliquer les phénomènes et les interactions entre le biotope et la biocénose, entre les êtres vivants et leur habitat dont ils ne peuvent être séparés. Cette logique d’interaction et d’interdépendance conduit à repenser la place de l’homme au sein de la Nature. Se développe alors toute une réflexion autour de la question du rôle de l’expert et de son influence sur la matière politico-juridique, la science façonnant l’ordonnancement juridique confronté à des données scientifiques complexes   .

Ce rôle croissant de l’expertise scientifique intervient dans des domaines sanitaires et environnementaux sensibles où incertitude rime avec risque, comme c’est le cas pour les OGM ou les antennes relais par exemple. Le risque va de pair avec les progrès de la science et des techniques qui génèrent à la fois des risques tout en offrant des outils pour mesurer et maîtriser ces mêmes risques. La législation intervient alors comme une réponse au risque dans divers domaines (l’alimentation, les risques technologiques, les catastrophes naturelles). Le rôle de l’expertise est alors au cœur du débat puisqu’elle conditionne le traitement des problèmes environnementaux et vient légitimer des décisions politiques.

Les auteurs abordent de nombreuses problématiques essentielles liées à la question environnementale et s’adressent ainsi à un public large, utile tout autant aux étudiants intéressés par ces questions qu’aux chercheurs et aux professionnels désireux de mieux appréhender les fils conducteurs sous-tendant les politiques environnementales contemporaines. L’ouvrage est organisé en sept thématiques indépendantes unies par un fil conducteur. Tout ceci fait de ce livre un manuel cohérent offrant un point de vue très clair sur une matière aussi foisonnante. La bibliographie particulièrement riche permet également d’approfondir les points abordés tout au long de cet ouvrage