Sous la forme du dialogue, André Miquel restitue un moment lumineux de l’histoire du monde arabe. Erudit mais limpide, médiéval mais définitivement actuel.

Quand André Miquel, arabisant érudit, longtemps titulaire de la chaire de langue et littérature arabes classiques au Collège de France (de 1976 à 1997), s’adresse au grand public, il abandonne le ton et la forme du savant. Son ouvrage prend la forme originale et alerte d’entretiens dialogués, formule classique reprise de la littérature arabe. L’auteur abandonne notes et références érudites mais nourrit son ouvrage de sa connaissance parfaite du califat de Bagdad du IXe siècle, sous le règne d’al-Ma’mûn (813-833), fils et successeur d’Hârûn al-Rachîd, au temps de nos Carolingiens.
   
Pour le lecteur non spécialiste, c’est la découverte d’un monde arabe ouvert, avide d’établir un dialogue entre les trois "religions du Livre", de connaître la culture et les modes de vie existant au-delà de l’univers musulman, d’assimiler la philosophie et la médecine grecques. Sont abordés successivement les trois religions et leurs rapports avec la raison, le statut de la femme, les formes du pouvoir politique, la guerre, les peuples du monde extérieur depuis les Îles Britanniques jusqu’à la Chine (la thèse de doctorat d’André Miquel avait porté sur les connaissances géographiques des Arabes jusqu’au XIe siècle), les sciences et techniques, enfin les arts. Le lecteur est bien transporté au IXe siècle, mais pour y retrouver parfois certaines des questions non réglées au XXIe, l’Histoire à Bagdad comme ailleurs étant faite de problèmes non résolus.
 
L’auteur ne cache pas qu’il prend quelques libertés avec la chronologie dans ses descriptions  du monde – descriptions tirées de voyageurs, géographes ou messagers en fait écrivant aux IXe et Xe siècles – mais pour le reste, c’est bien exactement le califat de Bagdad vers 830 qui est ainsi évoqué, avec son ouverture sur le  monde, sur l’autre. Le lecteur érudit s’amusera à mettre des noms d’œuvres et d’auteurs à propos de tous les divers thèmes abordés, jeu de piste dont il trouvera aisément les solutions, tandis que le lecteur "ordinaire" admirera l’ampleur des connaissances et l’ouverture d’esprit qui régnait alors à Bagdad.

André Miquel, dans un dernier chapitre plus personnel, "conversation entre deux amis" inscrite dans notre siècle et non plus au IXe, termine par un vibrant plaidoyer en faveur de la paix et de la tolérance ; mieux, par un appel à la fraternité.

Un livre savoureux, plein de sagesse, où l’érudition avance masquée   et qui souligne qu’un islam ouvert a existé (le sous-titre de couverture est "Un islam des Lumières") et peut renaître. André Miquel, traducteur des Mille et une Nuits,  n’a pas été un pont entre Orient et Occident pendant des décennies sans en tirer quelques enseignements