Dimanche 25 novembre. Au moment même où les médias français suivent le feuilleton de la bataille déchirante pour la présidence de l’UMP, les médias italiens annoncent, heure après heure, tout le long de la journée, les chiffres en crescendo du taux de participation au vote du premier tour des primaires de la coalition de centre-gauche pour l’investiture du candidat aux poste de premier ministre lors des élections législatives qui se tiendront en mars 2013. Un an après les primaires du parti socialiste français qui ont désigné François Hollande candidat à l'élection présidentielle du printemps dernier, le peuple du centre-gauche italien s’apprête à désigner celui qui, en 2013, sera le candidat au poste de premier ministre.

Le premier tour de la primaire italienne a été un véritable succès : près de 3 millions et demi d’électeurs ont défilé de 8h00 à 20h00 dans les bureaux de votes organisés par les comités de Italia Bene Comune   . Cette extraordinaire affluence aux urnes a démontré qu’une bonne partie de l’électorat italien est impatiente de redonner la parole à la politique. Depuis un an, Mario Monti préside le gouvernement “technique” italien. Mais, dès le printemps prochain, la parole repassera aux électeurs qui seront appelés à décider quelle coalition de partis aura le rôle difficile d’essayer de traduire en programme politique le travail de réformes commencé par le Président du Conseil Mario Monti.

La coalition de centre-gauche : quatre partis pour cinq candidats

Le centre-gauche, aujourd’hui constitué par le PD   , le SEL   , l'API   , et le PSI   a décidé d’organiser des primaires de coalition ouvertes aux électeurs.

Lors du premier tour du 25 novembre dernier, les électeurs italiens qui se reconnaissent dans la coalition de centre-gauche ont été appelés à choisir entre cinq candidats qui représentent trois générations politiques : Pierluigi Bersani   , Laura Puppato   , Matteo Renzi   , Bruno Tabacci   et Nichi Vendola   . Ces cinq personnalités, bien différentes de par leur formation, leur âge, leur idée de centre-gauche, ont fait le tour de l'Italie pendant cinq semaines dans le but non seulement de remporter la primaire, mais aussi de lutter contre la désaffection politique et de reconquérir la confiance d’un électorat qui se réfugie dans le grand parti des abstentionnistes.

Entre primaire de coalition et “congrès” de parti

Le casting des candidats à la primaire de coalition a été long et tourmenté, surtout au sein du PD. Selon les statuts du premier parti du centre-gauche italien, lors des primaires de coalition pour l’investiture du prétendant au poste de premier ministre, le concurrent désigné du PD est le secrétaire national du parti. Mais voilà que, dès le mois de juillet, Matteo Renzi, le jeune maire de Florence, a demandé la convocation de l’Assemblée Nationale de son parti afin de soumettre au vote une proposition de dérogation aux statuts. Dès lors, l’organisation des primaires du centre-gauche devient l’otage d’une lutte, interne au PD, entre les orthodoxes des statuts et les supporteurs de l’ouverture de la compétition à d’autres candidats du même parti. Après un été sous le signe des polémiques et des attentes, les éléphants du PD convoquent l’Assemblée Nationale : les délégués votent en faveur de la ratification de la dérogation à la règle statutaire. Tout le monde est satisfait : les répétitions générales peuvent finalement commencer.

Et pourtant, alors même que la primaire de centre-gauche fait son entrée sur scène, les projecteurs se rallument sur le PD, où une nouvelle controverse prend forme autour du difficile héritage des deux gouvernements de centre-gauche de Romano Prodi (1996-1998 ; 2006-2008). Le thème de la polémique est désormais posé sans complexes : le passé d’une coalition fragilisée par les désaccords profonds entre les ministres issus des différents partis hante un futur gouvernemental qui, face aux lourdes conséquences de la crise de la zone euro et de la mise en œuvre de la règle d’or, doit se bâtir sous le signe de la stabilité. La querelle révèle un clivage profond, une rupture générationnelle incarnée par les deux candidatures vedettes du PD : le secrétaire du PD, Pierluigi Bersani, et le maire de Florence, Matteo Renzi. Le premier prône la cause du rôle fédérateur d’un PD, point d’équilibre entre la gauche du communiste libertaire Nichi Vendola qui s’est durement opposée à la sévère cure d’austérité de Mario Monti, et le centriste Bruno Tabacci qui, avec le PD, a soutenu les réformes controversées des retraites et du marché du travail mises en œuvre par le gouvernement “technique”. Le second revendique la vocation majoritaire de son parti. L’un, fort de son expérience de ministre dans les gouvernements de centre-gauche de Romano Prodi, assume la posture du père de famille sage qui, face aux intempéries de la crise, peut surmonter les différentes positions des partis de la coalition par le dialogue et le compromis. L’autre, le candidat au franc parler, le “rottamatore”   pointe du doigt les pratiques politiques de la classe dirigeante de son parti, qui, lorsqu’elle a eu l’occasion de gouverner, a sacrifié tout projet de réformes sur l’autel des revendications des partis minoritaires de la coalition.

Face aux accusations de Matteo Renzi, les réactions des éléphants de son parti ne se font pas attendre : “Si Renzi remporte la primaire de coalition, le centre gauche est mort”, décrète l’ancien président du Conseil Massimo D’Alema. “Si je gagne, tout au plus, c’est la carrière parlementaire de D’Alema qui est terminée” répond le jeune maire de Florence. Résultat, au fil des semaines la primaires de centre-gauche, dans les journaux et sur la bouche des électeurs, change de nom et devient la “primaire du PD”, car elle ressemble plus à un congrès du PD qu’à une compétition entre candidats de la future coalition gouvernementale. Si ce n’est que, après quelques semaines durant lesquelles les projecteurs étaient fixés sur le seul PD, le 12 novembre, le rideau se lève et la coalition monte sur scène dans les studios de la chaîne Sky. Les cinq candidats ont finalement l’occasion de se confronter sur leur notion de “coalition” et de “politique de réformes”, sur leur idée de relance économique du pays et sur leur vision de la gouvernance économique de la zone euro. Pour la première fois la potentielle coalition de centre-gauche se révèle au grand public. Il en ressort un débat où les différences trouvent un terrain commun d’entente dans les expériences d’élus locaux des cinq candidats : la relance de l’économie passe par la politique d’aménagement durable des territoires.

Au lendemain de cette performance télévisuelle, les titres des journaux sont unanimes : le débat organisé par la chaîne Sky a dévoilé aux électeurs le potentiel politique de la coalition de centre-gauche.

Une primaire mise en danger par le projet de réforme électorale

Dans la nuit du dimanche à lundi les urnes ont finalement décrété qu'il y aura un second tour et que le duel final   se tiendra entre Pierluigi Bersani (44,3%) et Matteo Renzi (36,2%). La première question est : à qui ira les 15,2% du président du SEL Nichi Vendola ? Mais répondre à celle-ci n’est pas simple. Le rapport entre les jeunes générations émergentes du SEL et l’appareil du PD est tourmenté. En même temps, les jeunes militants et électeurs du SEL peinent à se reconnaître dans l’ambitieux maire de Florence. Mais une autre question hante le second tour de cette course à la candidature : la réforme électorale. À l’heure même où l’électorat de centre-gauche s’apprête à décider qui sera son candidat au poste de premier ministre en 2013, qui incarnera le mieux une candidature réformiste crédible, qui sera le meilleur partenaire de Hollande en Europe, les partis du centre conservateur concoctent un retour à un système électoral proportionnel. Ce qui veut dire que les partis du centre-gauche n’auront pas la possibilité de se présenter sous forme de coalition et d’indiquer le candidat au poste de président du Conseil. Le lieu naturel de la désignation du président du Conseil devient ainsi le Parlement où, depuis plusieurs semaines parmi les centristes de l’UDC, a déjà pris forme le projet d’un deuxième gouvernement sous le leadership de Mario Monti.

Le premier tour des primaires de centre-gauche et son fort taux de participation ont montré que les citoyens italiens s’intéressent à nouveau à la politique ; le projet de primaire de centre-droit pourra confirmer ce résultat ?