Une mise au point salutaire sur une "passion française".

Intifada. Le terme, devenu familier depuis le soulèvement populaire palestinien démarré fin 1987 contre l'occupation israélienne, claque sur la couverture. Aboutissement de plusieurs années d'une immersion savante et pratique dans le monde bouillonnant et parfois harassant des militants engagés en France sur le conflit israélo-palestinien, ce livre nous guide dans ces galaxies d'hommes et de femmes investissant temps, énergie et argent dans le destin de l'État d'Israël ou des Palestiniens.

Marc Hecker, chercheur à l'Institut français des relations internationales et rédacteur en chef adjoint de Politique Étrangère, n'en est pas à son premier livre sur les interactions politiques entre la France et le Moyen-Orient. Il a notamment publié une étude sur le traitement par la presse française de la crise et guerre du Golfe de 1990-1991   .Dans cette somme de 500 pages, le lecteur est invité à découvrir, derrière des blocs que l'on peut imaginer monolithiques, les "pro-palestiniens" et les "pro-israéliens", une diversité d'engagements et de mobilisations fruits des interactions entre l'histoire hexagonale et les scènes politiques israélienne et palestinienne.

Les militants et les États

La question de l'État se situe au cœur des réflexions de Marc Hecker. Si Israël est l'aboutissement d'un projet national, le sionisme, les Palestiniens aspirent à un État, désir encore inachevé et entravé. Celles et ceux qui se mobilisent depuis la France sur ces enjeux cherchent par différents moyens, que décrit et analyse l'auteur, à peser sur leur diplomatie nationale, tout en entretenant des liens mouvants avec les forces étatiques en présence.

Soutenir la cause palestinienne signifie pendant plusieurs décennies militer pour un peuple dispersé dans les territoires palestiniens, en Israël et en diaspora, avec une direction politique, l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), en exil d'Amman à Beyrouth puis à Tunis. Les accords d'Oslo de 1993 et du Caire, en 1994, créent une Autorité palestinienne, un embryon d'État, à Gaza et dans certaines villes de Cisjordanie. Les logiques de solidarité doivent alors s'adapter, y compris à la raison d'État d'une administration qui dispose de son système judiciaire et de forces de sécurité qui collaborent et coopèrent avec les autorités israéliennes. Les moyens d'action et les discours de ceux qui agissent ici en faveur des Palestiniens s'en trouvent souvent modifiés. La fracture inter-palestinienne suivant le décès de Yasser Arafat en novembre 2004 provoque des secousses encore vivaces. Les pages consacrées aux tourments des mouvances pro-palestiniennes depuis la victoire électorale du Hamas en janvier 2006 et sa prise de pouvoir dans le bande de Gaza, sont passionnantes.

La mobilisation civile internationale implique aussi de nombreux États, bien souvent à leur corps défendant. Quelle attitude adoptent les pays européens et les États-Unis vis-à-vis de leurs citoyens souhaitant se rendre dans des territoires palestiniens occupés par Israël ? Prenant le risque d'être des cibles et se plaçant dans des situations dangereuses ou diplomatiquement ingérables, ils ne cessent de provoquer des sueurs froides à bien des chancelleries. L'arraisonnement de la flottille pour Gaza au printemps 2010 et les autres tentatives en ce sens ont tragiquement mis en avant ces enjeux.

Mais l'énergie et les stratégies des militants ne se focalisent par uniquement sur le terrain proche-oriental ou sur le Quai d'Orsay et l'Élysée, cœurs de la diplomatie d'État. Le niveau local est devenu un espace privilégié des actions de lobbying. Ces mobilisations rencontrent parfois les ambitions diplomatiques des édiles locaux. On voit alors les batailles qui se déroulent dans certaines agglomérations, franciliennes notamment, quand certaines décident d'afficher le portrait de Guilad Shalit   quand d'autres font de Marouane Barghouti   un citoyen d'honneur.

Ayant étudié les deux rives de cette passion française, ce livre très documenté permet de croiser les analyses sur les stratégies et les discours politiques de groupes qui s'observent et se confrontent parfois mais n'entrent quasiment jamais dans un échange contradictoire voire un dialogue. Chaque univers a ses références et ses épouvantails et aime confirmer ses propres certitudes plutôt que de s'aventurer dans une rencontre avec la partie vue comme adverse, en France.

Ce who's who de l'appropriation par la société civile française d'un conflit international aurait encore gagné à évoquer quelques figures littéraires ou intellectuelles engagées dans l'Orient compliqué, comme l'écrivain et dramaturge Jean Genet, qui se rendit à plusieurs reprises auprès de Palestiniens, combattants et civils, en Jordanie et au Liban.

Une mise au point salutaire

Marc Hecker relève l'usage récurrent et imprécis du terme "importation" du conflit, en particulier depuis 2000 et le déclenchement de la Seconde intifada. La période d'importation concrète de l'affrontement proche-oriental en France se déroule principalement dans les années 1970, de deux manières : "des attentats commis par différents groupes palestiniens d'une part et des assassinats ciblés perpétrés, entre autres, par les services secrets israéliens", sans oublier certains meurtres de dirigeants palestiniens à Paris qui "résultent de rivalités inter-palestiniennes ou inter-arabes"   . Il n'y a donc plus aujourd'hui d'importation militaire à proprement parler de l'affrontement mais plus exactement une appropriation du conflit et même une exportation de cette appropriation , avec les voyages de militants français en direction des lieux du drame.

De cette analyse peut émerger une lecture optimiste : des agents d'États ou des groupes armés constitués depuis l'étranger n'important plus militairement le conflit sur le sol français, son appropriation dans l'espace public constitue une joute intellectuelle et politique, certes un peu plus vive que pour tout autre enjeu international, mais sans plus.

Pourtant, le nombre élevé de violences antisémites en France, depuis le déclenchement de la Seconde Intifada à l'automne 2000, peut amener à une lecture beaucoup plus inquiétante   . A travers cette appropriation du conflit, par une faible fraction de la jeunesse française, dans une logique qui va de la délinquance au passage à l'acte meurtrier, c'est un phénomène déconnecté de tout réseau militant structurant qui se déploie et qui revient régulièrement et violemment mettre à l'épreuve le tissu social hexagonal

 

* Lire aussi sur nonfiction.fr : 
- La recension de l'ouvrage de Les intellectuels arabes en France de Thomas Brisson par Mathieu Bouchard