"Il y a le Paris Paramount, le Paris MGM et le Paris en France. Le Paris Paramount est le plus parisien des trois !" Ernst Lubitsch

"Nous voulions créer une version atemporelle de la ville, alors nous l’avons stylisée et nous avons caricaturé des choses afin de créer une sorte de Paris de conte de fées", confesse Harley Jessup, le chef décorateur de Ratatouille, film d’animation Pixar sorti en 2007. La représentation de Paris dans le cinéma hollywoodien est, bien sûr, moins la représentation d’une réalité que celle d’un fantasme, à la fois individuel (celui du cinéaste) et collectif - tant ces films contribuent à forger continuellement l’image de la ville, ses symboles et son identité, tels qu’ils sont partagés par l’ensemble de la communauté des spectateurs à l’échelle mondiale. L’amour et la fascination de Remy pour les vues de Paris - et en particulier pour la tour Eiffel - rencontrent le désir de Paris développé chez tant de spectateurs. L’ouvrage Paris vu par Hollywood, dirigé par Antoine de Baecque, creuse les pistes dégagées par l’exposition éponyme qui se tient actuellement à l’Hôtel de ville de Paris. Trois dynamiques particulièrement marquantes se détachent : Paris comme ville imaginée, interprétée et réinterprétée ; Paris comme ville du désir, de l’amour et de la licence ; Paris comme ville-monument.


"Un air de réalité"

Les formes hollywoodiennes de Paris dégagent une évidente atmosphère française (et, par métonymie, européenne), faite d’histoire, de culture et de raffinement. Plus qu’une restitution fidèle de la réalité géographique de la ville, Paris est à comprendre comme un espace urbain dont la perpétuelle réinterprétation est sans cesse construite autour  - ou contre - les mêmes formes : des monuments (la Tour Eiffel, les Champs Elysées, Montmartre, Saint-Germain-des-Prés), des formes paysagères génériques (cafés, restaurants, bijouteries, hôtels, librairies), des figures (parisiennes, gamins, grooms, chauffeurs de taxi, prostituées…) et des gestes (lire le journal, discuter, boire du champagne, s’embrasser). Comme le relève Kracauer à propos des films américains situés en Europe, le cinéma hollywoodien parle plus des désirs américains que de Paris lui-même. Initié par Lubitsch dans les années 30 (Parade d’Amour, Sérénade à Trois) le Paris raffiné, impressionniste et pittoresque, demeure jusqu’aux années 60, avec Moulin Rouge (Huston, 1952), Un Américain à Paris (Donen, 1954), Les Girls (Cukor, 957), Gigi (1958) ou encore Irma la Douce (Wilder, 1963) - autant de reconstructions imaginaires de Paris filmées dans les studios californiens. Cependant, le regard frais sur la ville porté par les cinéastes de la Nouvelle Vague confronte le cinéma américain à une vision plus réaliste de Paris. Ariane (Love in the Afternoon), la "suite" parisienne de Sabrina (1954) tournée par Billy Wilder avec Audrey Hepburn en 1957, est considérée comme démodée par la critique française (aux Cahiers notamment) après la mise en scène plus réaliste de la ville-lumière proposée par Vadim dans Et Dieu créa la femme et Sait-on jamais (1957). Quelques années plus tard, Charade (Donen, 1963) et A la française (Parrish, 1963) seront tournés en décors naturels (dans le métro, aux Halles…).


Filmer le désir

On le voit aux titres précédemment cités, Paris est une ville dédiée aux femmes, à l’amour sous toutes ses formes. L’amour à la française, c’est un certain esprit licencieux qui excite la curiosité visuelle comme il appelle la condamnation morale. Les charmes de la parisienne sont explorés dans A Woman of Paris (Chaplin, 1927),  La Baronne de minuit (Leisen, 1939), ou encore Riche, jeune et jolie (Taurog, 1951). Claudette Colbert, Danielle Darrieux, Leslie Caron et Audrey Hepburn en sont les incarnations les plus sensuelles. Dans Drôle de frimousse (Donen, 1957), la libraire new-yorkaise (Hepburn) se métamorphose sous l’effet de Paris et devient une égérie de mode parisienne. Tout comme Shanghai, Paris représente pour le public américain un ailleurs exotique et sensuel, à la fois physiquement attirant et moralement repoussant. Le cinéma hollywoodien se saisit de ce paradoxe et en joue avec plaisir - en particulier pendant la période au cours de laquelle il subit l’effet du code de censure Hays. Dans le générique d’Ariane, une jeune femme tire le rideau d’une fenêtre donnant sur les toits de Paris (que surplombe la tour Eiffel), pour s’adonner hors champ, comme le titre anglais le suggère, à "l’amour l’après-midi". Quelle plus belle et implicite association de Paris et de l’amour dans un même plan ? Et puis la voix de Maurice Chevalier, qui affirme: "A Paris on fait l’amour, oh peut-être pas mieux, mais plus souvent qu’ailleurs". Ariane décrit d’ailleurs la confrontation entre Gary Cooper, mythe américain fatigué, et la pétillante parisienne dont il tombe amoureux - Audrey Hepburn, fantasme de femme comme Paris est, dans le film, un fantasme de ville.


La monumentalisation de Paris

Marqué par ses monuments historique, ses quartiers (Montmartre, Saint-Germain-des-Prés) et son urbanisme haussmannien, le paysage parisien est désormais aisément identifiable. Avec le développement des tournages sur site, la ville contemporaine, projetée sur grand écran, devient monument à part entière. Les courses-poursuites sur les toits (Frantic, Polanski, 1987), dans les rues (Ronin, Frankenheimer, 1998) ou à l'intérieur de la tour Eiffel (Dangereusement vôtre, Glen, 1985) font de Paris un décor traversé à toute vitesse : l’utilisation de l’urbanisme comme jeu d'obstacles pour la course-poursuite entre le héros et son poursuivant révèle alors de nouvelles propriétés de la ville. A ce titre, la poursuite entre la police française et Jason Bourne dans La Mémoire dans la Peau (Liman, 2002) utilise particulièrement bien l’étroitesse de l’espace urbain européen - par opposition aux boulevards d’un Bullit (Peter Yates, 1968) par exemple. L’urbanisme parisien générique connaît encore une occurrence marquante dans Inception (Nolan, 2010), où cafés, terrasses, avenues haussmanniennes, ponts et métros aériens représentent un Paris hors lieux, générique donc, détaché de toute identification topographique possible. C'est alors la ville entière qui devient monument, immédiatement identifiable et agrandie à l’échelle de l’écran.