Un petit ouvrage humoristique et déculpabilisant pour tous ceux qui ont l’habitude d’atermoyer !

Remettre au lendemain ce qu’on aurait pu faire le jour-même, voilà sans doute une des expériences les plus universellement partagées. Cela fait-il de tous les retardataires des procrastinateurs invétérés ? Pas si sûr, répond le philosophe John Perry, qui dresse un portrait détaillé et humoristique de ce qu’il appelle "la procrastination structurée".

La procrastination structurée consiste non pas à ne rien faire, mais à remplir son temps de tâches marginales permettant de se soustraire à une tâche plus importante, et plus effrayante. Le procrastinateur structuré peut donc être un hyperactif multipliant les activités, parfois très productives, tant qu’il a l’impression de ne pas s’atteler à la tâche la plus importante ou la plus urgente. "La procrastination structurée requiert une bonne dose de mauvaise foi, puisqu’elle repose sur une constante arnaque pyramidale contre soi-même. Il s’agit d’éviter des tâches à l’importance exagérée et aux délais irréalistes, en se persuadant qu’elles sont véritablement décisives et urgentes. Facile, dans la mesure où presque tous les procrastinateurs ont un talent particulier pour se mentir à eux-mêmes. Et quoi de plus noble qu’exploiter un défaut de caractère pour contrecarrer les conséquences fâcheuses d’un autre ?"   . Le procrastinateur aurait donc tort de chercher à limiter artificiellement ses tâches dans l’espoir de s’acquitter mieux ou rapidement des plus importantes, il finirait par ne rien faire du tout.

D’accord, dira le lecteur, mais quid de la tâche la plus importante ? Si elle est véritablement importante, le procrastinateur ne pourra pas l’ignorer indéfiniment. Certes non, mais d’une part l’ "arnaque pyramidale" permettra peut-être de la remplacer par une tâche encore plus importante, et donc de rendre la première faisable, d’autre part, quand le délai ultime s’approche dangereusement, le procrastinateur finit par prendre peur. "Les fantasmes de perfection font place aux fantasmes d’échec, et c’est ainsi que je me mets enfin au travail."   D’après John Perry, le procrastinateur est en effet un perfectionniste qui s’ignore, pour la bonne raison qu’il n’a (encore) jamais rien accompli de parfait.

Si vous vous reconnaissez dans cette description du procrastinateur structuré perfectionniste, peut-être certains des conseils distillés dans l’ouvrage pourront vous être utiles, du "triage des urgences" inspiré de la médecine urgentiste à l’incontournable to-do list, en passant par le choix d’une musique matinale énergisante. Aussi triviales que ces stratégies puissent paraître, John Perry établit un parallèle entre elles et les spiritualités orientales, du Tao-te-King chinois nous enjoignant d’ "accomplir de grandes œuvres par une série de petits actes", au kaizen japonais enseignant qu’un petit pas peut changer notre vie.

L’ouvrage de John Perry n’a cependant pas l’ambition de réformer les procrastinateurs structurés, sinon de les réconcilier avec eux-mêmes en leur montrant les éventuels avantages de ce type de fonctionnement. Si les réactions de l’entourage, professionnel et privé, du procrastinateur sont parfois évoquées, le lecteur regrettera sans doute qu’il n’en soit pas fait plus cas. John Perry doit en savoir quelque chose cependant, lui qui dédie le livre à sa femme "pour sa patience (parfois)". Que le procrastinateur s’aime, c’est bien, que son entourage le supporte, c’est autre chose