Au cœur de la campagne du candidat socialiste, l'écrivain en vogue livre un récit-journal particulièrement décevant.

Avec Rien ne se passe comme prévu, Laurent Binet a inventé une nouvelle figure dans la littérature, celle de l'écrivain "embarqué" dans "une machine de guerre", comme il l'écrit lui-même, celle de la campagne de François Hollande, campagne politique et médiatique où tout est prévu, justement, jusqu'au moindre détail. Car si l'auteur s'est imposé un thème, celui de suivre jour après jour la campagne du candidat socialiste, autant dire que le livre est pris irrémédiablement dans les mailles de la communication politique. Laurent Binet a beau suivre chaque jour les déplacements de François Hollande et de son équipe, il n'arrive pas à se dépêtrer de l'image d'un candidat en train de se présidentialiser. L'auteur est intimidé, reste à distance de l'animal politique qu'il avait pourtant envie de disséquer. Peu à peu, Laurent Binet devient malgré lui ce qu'il nomme "l'électeur-témoin". Cela fait qu'au final, le candidat Hollande est terriblement absent de ce livre, il n'apparaît qu'en creux, dans la bouche des autres, dans les petites phrases, les sondages ou encore à la télévision car l'écrivain donne la parole essentiellement à ses proches, Valérie Trierweiler, à ses plus importants conseillers Pierre Moscovici ou Manuel Valls ou encore aux nombreux journalistes qui suivent la campagne.

Un livre terriblement prévisible en somme, qui viendra compléter la liste déjà longue des essais et documents sur François Hollande. Sans doute la cause d'une restitution trop fidèle de ce que Laurent Binet a entendu et vu pendant cette campagne. Car là où l'on voudrait vraiment entrer dans les coulisses d'une campagne présidentielle, là où l'on attendait Laurent Binet pour nous présenter cette campagne de façon décalée, l'auteur se voit rattraper par le story telling d'une campagne, tel que l'on peut le retrouver dans tous les journaux. D'où l'impression également d'un livre qui ne retient que les petites phrases, les anecdotes, un texte qui se limite à une compilation de offs et de blagues entre politiques et journalistes, un texte qui apparaît aussi comme une espèce de défouloir à l'image des nombreux tweets qui ont marqué cette campagne. C'est un livre qui reflète un constat, celui de l'information continue où tous les candidats s’adaptent au “temps réel” des chaînes d’info, d’Internet et de Twitter qui relaient leurs faits et gestes. En cela, Laurent Binet participe, sans le vouloir, à cette "peopolisation" de la politique, mais surtout à cette nouvelle façon de fabriquer et consommer l'information, où l'on retrouve les mêmes phrases partout.

Avec Rien ne se passe comme prévu, on est loin du journalisme gonzo à la Hunter S. Thompson dont Laurent Binet se réclame pourtant : à l'ultra-subjectivité fait place dans ce livre une naïveté candide, pleine de bons sentiments, parfois comique aussi, sur le monde politique ou sur François Hollande lui-même, et là où Thompson remettait en cause par ses méthodes la fabrique de l'information dans Dernier Tango à Las Vegas (Tristram, 2010), Laurent Binet ne fait que rendre compte des rapports entre politiques et journalistes, sans proposer de réelle alternative. Même s'il n'hésite dans son livre pas à dénoncer ce système qui conduit, selon lui, à une "uniformisation de l'information" : "les journalistes échangent entre eux pour être bien sûrs qu'ils n'ont pas commis d'erreurs dans leurs prises de notes, pour les compléter éventuellement si quelque chose leur a échappé ou pour éclaircir ce qu'ils n'ont pas compris. C'est un moment clé, à mon avis, dans la fabrique de l'opinion car les journalistes se livrent en toute bonne foi, sous couvert de vérification, à une véritable séance d'harmonisation de leurs discours, où se dégagent les grandes lignes de ce qui va être retenu – et donc diffusé – par tous, à la fois en termes de citations, de problématisations et d'interprétations "

Hélas, dans son livre, parce qu'il n'arrive pas à décaler son regard de l'emballement médiatique et politique de cette campagne, Laurent Binet finit en quelque sorte le travail des journalistes, et cela ne fait pas un livre. Au contraire, il nous avait bluffé précédemment avec HhhH, par cette lutte à laquelle il se livrait avec le chef de la Gestapo, Reinhard Heydrich, entre le savoir documentaire, la vérité historique et l'invention fictionnelle, pour nous rendre plus prégnante encore la complexité du réel. Avec Rien ne se passe comme prévu, il faut croire que le réel est devenu singulièrement normal et formaté par cette campagne présidentielle.