L’historien britannique Orlando Figes, professeur au Birkbeck College de Londres, continue à être reconnu par le grand public comme un formidable connaisseur et conteur de l’histoire soviétique. Il s’était pourtant ridiculisé il y a deux ans en se lançant dans une campagne de dénigrement tous azimuts contre certains de ses pairs par des commentaires anonymes sur Amazon. Ce sont aujourd’hui les approximations de son travail de recherche qui apparaissent au grand jour.

En effet, Les Chuchoteurs, livre qui s’appuie sur les témoignages de survivants du stalinisme, publié en France par Denoël en 2007, ne répond pas aux exigences de son éditeur potentiel en Russie, Dynastia. Sa directrice, Anna Piotrovskaya, d’après des propos rapportés par le Guardian, juge en effet que sa publication en Russie "provoquerait à coup sûr un scandale et susciterait de nombreuses objections, soit contre les imprécisions factuelles contenues dans le livre soit contre la déformation des retranscriptions initiales des interviews."   . Ces erreurs sont apparues lorsque la première version russe du livre a été envoyée à Memorial, l’organisation humanitaire qui a mené de nombreuses interviews avec des familles de victimes du Goulag pour alimenter l’ouvrage. Le sujet est d’autant plus délicat que certaines de ces victimes ont été interrogées et sont encore vivantes. Figes aurait par exemple dépeint Dina Ielson- Grodzianskaia, une mère de deux enfants envoyée au Goulag en 1938, en "collabo" du régime ce qui ne correspondrait à aucune information rapportée dans l’entretien, d’après l’archiviste qui l’a mené…

Le manque de rigueur du travail du soviétologue le plus illustre de Grande-Bretagne avait déjà été dénoncé par Peter Reddaway et Stephen F. Cohen dans un article de The Nation récemment. Sans compter qu’un premier éditeur russe, Atticus, avait retoqué le manuscrit, officiellement pour des motifs financiers que Figes avait interprétés comme une censure politique due à ses critiques contre les discours pro-Staline de Poutine. Un nouvel épisode dont son éditeur français, Abel Gerschenfeld, se serait bien passé : "Les Chuchoteurs fait près de deux millions de signes ! Tout cela n’en fait pas un falsificateur. N’ayant lu ses témoignages que dans la version anglaise, je lui accorde le bénéfice du doute sous réserve d’inventaire. Mais dorénavant, on regardera ses manuscrits à la loupe, en cas de surprises."   . Espérons qu’il ait utilisé une loupe pour lire le manuscrit des Amants du Goulag, le nouveau livre de Figes qu’il publie en septembre aux Presses de la Cité

 

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- Orlando Figes, Les Chuchoteurs. Vivre et survivre sous Staline, par Sophie Mantienne. 

- "La déchéance de l'historien Orlando Figes", par Pierre Testard.