Les actes d'un colloque qui fait le point sur l'état de la réflexion autour de la notion émergente et mal cernée d'identité constitutionnelle des Etats membres.

« Si l´essentiel des principes et des valeurs des Etats membres en matière de protection des droits fondamentaux leurs sont communs et si leur protection est désormais assurée à l´échelon communautaire, chaque Etat membre souhaite néanmoins se réserver la possibilité au moins sur le plan théorique, de défendre ses valeurs et ses principes propres. »

Olivier Duteiller de Lamotte résume ainsi ce qui, valable pour les droits fondamentaux, l’est aussi plus généralement pour tout ce qui se réfère à la notion d’identité constitutionnelle. Les auteurs intervenant dans cet ouvrage, vont, tour à tour, présenter un aspect touchant à cette identité en tentant d’en livrer une esquisse de définition. Ainsi, seront abordées, outre le concept philosophique d’identité, les approches des cours de justice de l’Union européenne et de celle de la Convention européenne des droits de l’Homme ainsi que celles de certaines des cours constitutionnelles nationales.

Alexandre Viala introduit le colloque en présentant le concept d’identité constitutionnelle. Il constate qu´une des fonctions « aveugle » de la globalisation « est de broyer des particularismes culturels », ce qui, à son tour susciterait un besoin d'identité auprès des Etats, et plus particulièrement en droit constitutionnel. Ainsi apparaitrait l’insaisissable notion d’ « identité constitutionnelle », davantage prise en compte par les institutions européennes, afin d’empêcher que le processus d’intégration européen ne se transforme en un « phénomène aveugle d’uniformisation juridique ».

Deux sens peuvent être attribués à l’idée de l´identité. D’une part l'identité comme spécificité ou ipséité et d’autre part l'identité comme équivalence. On change, tout en restant soi-même. Ainsi, l’auteur tente de nous montrer que tout en relevant de la permanence, l’identité est aussi une construction. La permanence de la notion peut être illustrée par le biais du processus de révision constitutionnelle. Il existerait deux façons d’en concevoir la portée : une conception formaliste et substantialiste. Dans le premier cas, toute révision entrainerait l’existence d’une nouvelle constitution. L’auteur rejette cette conception et défend l’idée que toute révision constitutionnelle ne porte pas atteinte à son identité. La Constitution incarne ainsi ce qui est pérenne malgré les changements intervenus. Cette méta-norme qui demeure, invisible et conçue uniquement par l'entendement, s’affirme par son inscription dans la durée indépendamment des éléments normatifs la constituant. Mais, l’identité constitutionnelle ne se caractérise pas uniquement par sa permanence. Elle est aussi une construction, prenant racine dans une décision et une dénomination plutôt que dans une croyance. L’auteur évince ici l’approche supra-constitutionnelle de l’identité en précisant que les droits fondamentaux, principes supra-constitutionnels, ne sont pourtant pas inhérents à l’identité constitutionnelle car ils sont réputés universels.

Le professeur Denys Simon aborde ensuite la question de l’identité constitutionnelle dans la jurisprudence de l’Union européenne. Différentes prises de position des juridictions constitutionnelles sur le traité établissant une Constitution pour l’Union européenne et le Traité de Lisbonne traduiraient une certaine « anxiété des Etats » face à une potentielle menace pour l'intégrité du patrimoine constitutionnel national. L’auteur tente d’identifier le principe de l’identité constitutionnelle à travers d’une part, les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et, d’autre part, les normes de référence du contrôle juridictionnel. La CJUE ne fait que très exceptionnellement référence à l'obligation de respecter l'identité constitutionnelle des Etats, mais le principe du respect de leur autonomie constitutionnelle est omniprésent dans sa jurisprudence. La garantie de l'identité constitutionnelle était présente dès l'origine, alors même que le terme était ignoré ou non explicitement retenu dans la jurisprudence des Etats membres. Ainsi les notions d’effet direct et de primauté, ne peuvent, selon l’auteur, être appréhendées comme la manifestation de l’affirmation unilatérale, par le juge européen, de la supériorité des traités européens sur le droit national. Elles sont en réalité toujours accompagnées du principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale et recherchent un équilibre des composantes de l’autonomie étatique. La consécration de l’identité constitutionnelle par la CJUE passe le plus souvent par la reconnaissance de ses déclinaisons et ses composantes, par le biais d’une interprétation conciliatrice plutôt que par la reconnaissance d'un principe abstrait.

En examinant les normes de références du contrôle juridictionnel, l’auteur soulève une potentielle source de conflit entre d’une part, le respect des différentes identités nationales et, de l’autre, l’exigence d´application effective et uniforme du droit de l´Union, si la reconnaissance de l´identité constitutionnelle était en réalité une mascarade. Mais on peut plutôt considérer que le juge de droit commun veut en réalité garantir, par la voie de la question préjudicielle, le respect du droit national et du droit européen. Un tel partage des taches juridictionnelles devrait conduire à une « convergence ordonnée des interprétations ». La Cour interprète des notions autonomes du droit européen en intégrant, souvent sans le dire, les paramètres des identités constitutionnelles des Etats. Des conflits potentiels la jurisprudence européenne et nationale sont ainsi désamorcés et en fait plutôt rares. L’auteur conclut que pour que l’identité constitutionnelle ait une signification opérationnelle pour le dialogue des juges, il faut qu´elle se concentre sur des valeurs fondamentales.

L'identité constitutionnelle dans la jurisprudence conventionnelle est abordée par David Szymczak. Le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) joue un rôle primordial en matière d’identité constitutionnelle, non en tant qu’acteur mais en tant qu’arbitre. Selon l’intervenant la notion d’identité constitutionnelle relève davantage de la sphère politique que juridique.
Le terme même d'identité constitutionnelle ne figure nulle part dans les textes de la Convention, des protocoles ou dans la jurisprudence de la Cour. Mais les nombreuses références aux diverses identités (religieuses, ethniques, culturelles) participent à la formation d’une telle l'identité sans pour autant l’épuiser ni la définir. Dans les faits, on peut constater que les cas de conflits entre Convention et ordre juridictionnel national sont plutôt rares, car les convergences de catalogues de droits nationaux les en empêchent. Toutefois la nécessité pour un Etat de préserver son identité constitutionnelle a pu être un argument de défense efficace pour un Etat désireux de justifier une atteinte à la CEDH même s’il n’existe aucune exception constitutionnelle permettant aux Etats de déroger, par principe au droit de la Convention.

La CEDH ne reste pas insensible à la volonté des Etats de respecter leur identité constitutionnelle, au contraire elle les valorise. Cela s’explique par la profonde hétérogénéité constitutionnelle entre Etats membres, par la subsidiarité des mécanismes européens de contrôle et enfin par le nécessaire respect du noyau dur de la souveraineté des Etats. Les réserves interprétatives, les clauses transversales ainsi que les grandes libertés figurant aux articles 8 à 12 de la Convention permettent de valoriser l’identité constitutionnelle. Comme le système conventionnel n’est pas soumis à l’exigence d’une application uniforme du droit européen, certains domaines et certains droits garantis par la Convention sont également plus propices que d'autres à la valorisation par la Cour. La CEDH ne se prononce en principe pas sur la forme du régime d’un Etat à partir du moment où il s’agit d’une démocratie respectueuse des droits de l’homme et que les Etats ne tentent pas de se réfugier derrière des spécificités nationales pour échapper à leur responsabilité conventionnelle. Cependant il arrive que l’identité constitutionnelle des Etats soit neutralisée plus ou moins directement par la Cour, car en cas de conflit, la Convention prévaut sur les exigences nationales et les normes nationales suprêmes. Face à cette « neutralisation de leur identité constitutionnelle », les Etats vont, dans la majorité des cas, s'aligner sur exigences de la CEDH et plutôt rarement s’opposer aux exigences conventionnelles comme montre l’exemple des cours constitutionnelles allemande et italienne. L’auteur s’interroge sur ce que les Etats entendent défendre via l'argument de l'identité constitutionnelle. S’il s’agit de dire que la Cour ne doit pas remettre en cause la forme du régime ou des principes d’organisation de l’Etat, ces revendications semblent acceptables. Cependant, intégrer dans l’identité constitutionnelle toutes les spécificités culturelles et les traditions des Etats serait critiquable selon l’auteur. La CEDH ne doit donc pas être un « rouleau compresseur » mais rester « un juge entraineur » n’hésitant pas à heurter des traditions nationales pour permettre progrès des doits de l’Homme.

Franz Mayer traite de  l'identité constitutionnelle dans la jurisprudence constitutionnelle allemande. Le sujet de l'identité est abordé au travers de la jurisprudence en matière d'intégration communautaire. L’auteur commence par se demander quel fondement permettrait à la Cour Constitutionnelle (BVerFG) de développer l’idée d’une identité constitutionnelle alors que cette notion ne figure pas dans le texte de la Loi fondamentale de 1949. La décision BVerFG « Solange I » de 1974, constitue le fil rouge qui mènera aux décisions « Solange II », « Maastricht », et « Lisbonne », qui forment l’ensemble jurisprudentiel dédié à la question de l’identité. La BVerFG y décide que les droits fondamentaux, garantis par la loi fondamentale, protégeaient l’individu « aussi longtemps que» (« solange ») il n’y avait pas de système de protection des droits fondamentaux équivalent au niveau européen. Les droits fondamentaux, tels que garantis par la Constitution allemande, sont ainsi une partie « essentielle et irréductible de la Constitution ». Les progrès en matière de protection des droits fondamentaux établis entre temps au niveau européen amènent la BVerFG en 1986 dans son arrêt « Solange II » d’en confier la protection à la CJUE aussi longtemps que (« solange ») ce niveau restera suffisant.

Avec l’entrée en vigueur du  traité de Maastricht la BVerFG est saisie pour examiner la constitutionnalité la loi allemande de la transposition. Elle ne va se fonder ni sur l’identité nationale ni sur l’identité constitutionnelle allemande. Pourtant, on retrouverait, selon l’auteur, l’idée que certaines parties de la constitution allemande ne peuvent être aliénables et constituent, dès lors, des limites de la participation allemande à l’intégration européenne. Cette tendance est clairement confirmée dans l’arrêt « Lisbonne » de 2009 où la BVerFG fait ouvertement référence à l’identité constitutionnelle nationale. Elle y introduit le « principe de démocratie », concept permettant de réaffirmer les limites de la participation de l’Allemagne à l’intégration européenne et accepte la primauté du droit de l’Union à la condition que celle-ci ne porte pas atteinte au « noyau dur » de l’identité constitutionnelle nationale allemande, affirmé à l’article 79 de la loi fondamentale allemande. L’auteur aborde le dernier jalon du fil rouge par l’arrêt « E. Honeywell ». Suite au tôlé suscité par l’arrêt Lisbonne, la BVerFG semble revenir sur certains aspects de ce dernier en les précisant, voire même en les corrigeant, tout en précisant pouvoir contrôler des actes émanant des institutions européennes si ceux-ci avaient dépassé leurs compétences liées au noyau intransférable de l’identité constitutionnelle allemande.

L’auteur examine ensuite l’approche de la doctrine allemande à l’ égard de la notion d’identité constitutionnelle. La critique générale à l’égard de la position de la BVerFG concerne sa tentative de mettre le droit européen sous tutelle. De plus, elle ne devrait pas disposer du monopôle de définition de l’identité allemande, proposant une définition trop statique et un verrouillage exagéré de la notion. Une grande partie de la doctrine réclame que la BVerFG respecte la procédure de la question préjudicielle. Elle rejette, autrement dit, majoritairement la proposition de la BVerFG d’introduire de nouveaux recours en droit constitutionnel pour formaliser le contrôle de préservation de l’identité nationale. Bien qu’en droit constitutionnel allemand sa portée est résolue par l’article 79 alinéa 3 GG de la loi fondamentale, il semblerait que le débat sur la démocratie dans l’Union semble faire place à un débat sur la protection de l’identité nationale. L’auteur ajoute qu’il est nouveau qu’une cour constitutionnelle argumente non seulement sur la base du droit constitutionnel national mais aussi sur le droit de l’Union européenne. La question de la protection de l’identité constitutionnelle devrait donc être soulevée dans un esprit non seulement de coopération indirecte avec les autres juridictions constitutionnelles mais aussi dans le cadre de la coopération avec la Cour de justice. Franz Mayer aborde, finalement, le potentiel de la notion d’ « Europafreundlichkeit », principe constitutionnel d’ouverture à l’égard du droit de l’Union, qui devrait, selon lui, être associé au contrôle de l’identité constitutionnelle.

Dominique Rousseau abord, ensuite, le concept de l'identité constitutionnelle sous l’angle de la jurisprudence française. La notion d’identité née en tant qu’élément de langage dans les années 2000 puis, en tant que telle, en 2006. N’apparaissant que rarement dans la jurisprudence elle est pourtant à l’origine d’une abondante littérature juridique s'interrogeant sur la signification possible de cette notion. L’auteur constate que l’identité constitutionnelle est d’abord conçue comme un bouclier de l’identité nationale. Au tournant du siècle, l´Europe se serait dotée des instruments lui permettant de se concevoir comme une identité politique. Ainsi, des années 1957 à 1986, les Etats maitriseraient encore le processus européen et ce ne serait qu’en 1986 que les choses évoluent avec le Marché unique et la mise en jeu d´une partie de la souveraineté financière et monétaire. La réelle rupture sera introduite par l’entrée en vigueur, en 1993, du Traité de Maastricht avec, en France, une révision constitutionnelle intégrant un nouveau titre entièrement consacré à l´Union européenne. En 2000, l’entrée en vigueur d’une Charte des droits fondamentaux annonce l’engagement dans un processus constituant, qui, bien qu’ayant échoué, est repris avec l’entrée en vigueur, en 2009, du traité de Lisbonne.

La doctrine participe à ce processus en empruntant au droit constitutionnel les mots pour décrire « l´architecture constitutionnelle de la Communauté ». La CJUE, elle-même, semble y donner sa caution en qualifiant les traités de «charte constitutionnelle de base». Or ce glissement ne se fera pas sans heurts. Les réactions à l’encontre de «l´euro» constitutionnalisme ne se feront pas attendre. En France, le Conseil constitutionnel protègera en 2006 la « personnalité constitutionnelle de la France ». La défense de l´identité constitutionnelle nationale doit, selon l’auteur, être conçue comme la protection de son autonomie constitutionnelle. Face aux contraintes politiques, la notion d’identité constitutionnelle a, par la suite, pris un sens souverainiste. En effet, la réutilisation de la notion dans ce sens est facilitée par son « impuissance substantielle », car le contenu de la notion est indéfini. Cette indécision, notamment de la part de la doctrine, fragilise le sens souverainiste attribué initialement à la notion d’identité constitutionnelle. Autrement dit, pour être une arme effective contre l’intégration européenne, la notion devrait être clairement définie. Or, le Conseil Constitutionnel lui-même fabrique une notion sans lui donner une réelle « substance opératoire ». C’est un choix conscient. Donner un sens clairement souverainiste à la notion d’identité, exposerait la France à une action en manquement ce que le Conseil ne peut risquer.

Communément, l’intégration européenne est synonyme de la désintégration des nations. L’auteur propose cependant d’envisager l’Europe sous le signe d’une étoile où l’identité constitutionnelle permet de respecter les fonctions essentielles de l’Etat. L’Union ne peut se construire en respectant les identités nationales. Elle ne serait donc pas une pyramide mais une étoile dont les branches seraient les identités constitutionnelles. L’Union puise dans les traditions constitutionnelles des Etats membres son raisonnement tout en laissant une marge d’appréciation dans la mise en œuvre des droits fondamentaux. Elle doit donc respecter les branches constitutionnelles car elles constituent aussi son identité. L’identité constitutionnelle n’est donc plus un « barrage érigé contre le flot normatif européen mais une source de la normativité européenne, une branche de cette étoile européenne elle-même appelée à participe au devenir de l’étoile mondiale. »

Alejandro Saiz Arnaiz aborde le thème de l’identité nationale sous l’aspect de la jurisprudence constitutionnelle espagnole. L’auteur aborde d’abord les relations entretenues entre les cours constitutionnelles nationales et la Cour de justice au sujet de l’identité constitutionnelle. Il estime que la notion d’identité nationale en tant que limite à l’intégration européenne apparait dans un contexte particulier, celui de la « méconnaissance consciente » de la réalité constitutionnelle des Etats par la Cour de Justice. Depuis 1970, bien que faisant référence aux traditions constitutionnelles communes en tant que source d’inspiration pour la protection des droits fondamentaux, la Cour n’en fait qu’une liste imprécise et non définie. Le respect de l’identité nationale des Etats par l’Union a cependant été renforcé par le projet de Traité constitutionnel, ce qui contribue à une plus grande clarté quant au contenu possible de l’Identité nationale et normalise sa présence dans l’interprétation du droit de l’Union.

L’auteur livre quelques conclusions relatives à la notion d’identité constitutionnelle. D’abord, le respect de l’identité nationale n’équivaut pas à un affranchissement quelconque vis-à-vis du droit européen. Après que ce dernier ait intégré les valeurs constitutionnelles des Etats, les constitutions nationales doivent adapter leurs prétentions à celle de la primauté du droit de l’Union. Ensuite, ce sont les juridictions constitutionnelles qui sont les mieux placées pour définir l’identité constitutionnelle nationale même si la Cour de justice a pour fonction de contrôler si cette appréciation est conforme aux objectifs constitutionnels et droits fondamentaux. Les valeurs constitutionnelles de l’Union, en tant que valeurs constitutionnelles communes aux Etats « doivent être précisées et développées par la Cour en dialogue constant avec les juges nationaux dont l’outil de dialogue est le renvoi préjudiciel. » Il convient, selon l’auteur de trouver un équilibre entre le respect de ces valeurs nationales et l’objectif d’intégration. Le rôle essentiel de définition de l’Identité constitutionnelle par les cours constitutionnelles nationales est complété par le rôle joué par la CJUE en tant que garante du respect du droit dans l’interprétation et l’application des Traités.

L’auteur aborde ensuite la question du traitement de l’identité constitutionnelle par la Cour constitutionnelle espagnole. Le débat sur l’identité constitutionnelle nationale née, en Espagne, avec la déclaration du Tribunal constitutionnel du 13 décembre 2004. Jusqu’alors le Tribunal s’était limité à affirmer que la Constitution ne saurait admettre de contradiction textuelle avec le droit européen et avait ouvert la voie d’une possible limitation indirecte des effets de la primauté avec le « recourso de amparo ». L’on retrouve ici, une fois de plus, la critique selon laquelle la notion d’identité constitutionnelle, n’est pas clairement définie. Le conseil constitutionnel en donnerait une définition volontairement vague, ce qui, selon l’auteur, est critiquable. Ce choix peut être volontaire car ce manque de précision délibéré conduit à ce que dans l’abstrait il existe une harmonie entre le Traité et la Constitution. L’hypothèse d’un conflit est, selon l’auteur, donc peu probable.

Stéphanie Laulhe Shaelou aborde le sujet sous l’angle des jurisprudences constitutionnelles tchèque, lettone et polonaise. Elle débute par un constat : les constitutions des nouveaux Etats membres paraissent globalement mieux préparées pour l’adhésion à l’Union européenne que celle des anciens membres. L’auteur explique cela par le contexte historique de l’après communisme où il était quasi impossible à ces états de déléguer leur souveraineté à une organisation internationale. Même si la plupart des constitutions actuelles des nouveaux Etats membres prônent la primauté législative de leur parlement, le rôle de la Constitution dans ces Etats est appelé à rester prédominant. Pour les mêmes raisons, ces constitutions sont souvent caractérisées par un degré élevé de protection des droits fondamentaux rigoureusement protégés par les cours constitutionnelles, gardiennes de l’identité constitutionnelle au détriment du pouvoir politique. L’auteur analyse ensuite les caractéristiques du contrôle de constitutionnalité dans ces trois Etats pour conclure qu’elles varient notoirement.

Parmi les nouveaux Etats, la Cour constitutionnelle tchèque semble avoir le plus développé la question de l’identité constitutionnelle. Le Tribunal polonais et la Cour tchèque l’abordent de façon explicite tandis que la Cour lettonne se fonde sur une approche téléologique, reposant sur le droit international, restant implicite sur la question de l’identité constitutionnelle. Aucune des trois cours constitutionnelles ne semblent contester la perte de la souveraineté au sein de l’Union, plutôt perçue comme un renforcement de leur souveraineté. Malgré tout, elles ne s’estiment pas dispensées d’effectuer un contrôle de constitutionnalité tant relatif au transfert des compétences de l’Union qu’à l’égard des valeurs fondamentales de la nation qui ne peuvent être transférées que sous certaines conditions et qui représentent peut-être des limites à l’intégration. Elles s’accordent sur le fait que l’Union reste une organisation internationale et que sa finalité ne peut être un Etat fédéral européen.

Laurence Burgorge Larson clôt ce colloque en résumant très clairement que la notion d’identité constitutionnelle est insaisissable mais que ses fonctions, elles, sont identifiées. Insaisissable, d’abord du fait de l’indétermination de son sens. Cette notion critique car « fondamentalement dérangeante », renvoie autant à la ressemblance car la notion est in fine déterminée par l’analyse subjective de chaque auteur se situant dans un courant de pensée donné, qu’à la dissemblance de son contenu. Elle recouvre plusieurs conceptions, forcément variables d’une juridiction à une autre, mais aussi d’une décision à une autre au sein d’une même juridiction. S’y ajoute l’hétérogénéité doctrinale bien que cette dernière tente de fournir un travail d’identification et de mise en cohérence. Là où le concept est présent expressis verbis, il souffre soit d’un « laconisme qui le rend flou », soit d’une surabondance d’éléments constitutifs risquant de porter atteinte à la spécificité de la notion.

La première fonction la notion est celle de fermeté dans le sens de l’ipséité. Il faut comprendre l’identité comme ce qui distingue et se singularise par le repli. Elle symbolise une limite infranchissable, un noyau dur. Il semblerait que le débat sur la démocratie dans l’Union européenne ferait place à un débat sur la protection de l’identité constitutionnelle nationale. La seconde fonction assignée à l’identité est celle d’ouverture, car chaque notion évolue et se réinvente sans cesse au contact d’autres notions. Ainsi la bien connue « attitude défiante » des Etats vis-à-vis de l’intégration européenne est accompagnée d’une nouvelle prise en compte par les juridictions suprêmes de ces manifestations identitaires dans un sens conciliatoire. Les solidarités de fait entre les Etats seraient telles que la CJUE peut se permettre de revaloriser les identités constitutionnelles. L’intégration européenne ne doit en aucun cas devenir un carcan autoritaire, abolissant les particularismes nationaux. « L’ère est assurément au pluralisme constitutionnel en Europe. »