C’est à travers les différents conflits que l’on peut étudier des configurations d’opinion et de politisation de différents milieux sociaux et ce dès la fin du Moyen Âge.

C’est à travers les différents conflits que l’on peut étudier des configurations d’opinion et de politisation de différents milieux sociaux et ce dès la fin du Moyen Âge.

Cet ouvrage collectif retranscrit les thématiques qui ont été abordées lors du colloque du mois de mai 2009 à l’université du Maine. Durant trois jours, vingt-cinq historiens se sont intéressés au concept d’ « opinion » et de « politisation » à travers le prisme du conflit et ce dans une perspective diachronique allant du Moyen Âge au début du XXe siècle. Ceci étant, les auteurs mettent en avant des invariants historiques que l’ont peut observer lorsque l’on appréhende l’analyse de l’opinion et de son expression. Il faut donc entreprendre le présent ouvrage dans sa globalité tout en considérant que la lecture de chacun des articles se suffit à elle-même. Néanmoins, la contextualisation socio-culturelle des modalités d’expression d’une opinion est nécessaire pour une intelligibilité du discours historique. C’est ce que rappellent les auteurs qui ont co-dirigé l’ouvrage en introduction et en conclusion.

Ce colloque a eu pour mérite d’aborder un espace européen divers, qu’il s’agisse de l’analyse des conflits à Florence à la fin du XIVe siècle entre les différentes élites   ; la manipulation des esprits par le duc du Palatinat-Neubourg pour servir ses propres intérêts lorsque ce dernier se convertit au catholicisme le 25 mai 1614 dans le contexte des troubles de religion qui embrasèrent l’Europe   ; la naissance de l’opinion en Angleterre au XVIIe siècle ou encore la politique mesurée de la censure menée par le tsar russe pour « contenir » des oreilles susceptibles d’être séduites par les idées révolutionnaires de l’époque avec notamment ce que l’on a appelé « les évènements » de 1905   .

Pour autant, quelque soit la période, la construction d’une « opinion » est l’affaire des dominants. Et pour cause, seuls les princes, les élites, quelles soient nobiliaires, urbaines ou religieuses, non seulement, savent manier l’art du discours et la transmission de l’information écrite mais détiennent surtout un pouvoir manifeste qui permet un encardement des populations. Ces élites, à l’image du roi d’Angleterre et du roi de France qui contrôlent la presse écrite naissante dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, supervisent le processus de la « publicisation » des écrits notamment après la Glorieuse Révolution qui a ravivé les tensions entre les deux royaumes   .

Néanmoins, un certain nombre d’articles nous révèlent que l’opinion concerne également les plus humbles. Loin de constituer un réceptacle dont les agissements sont malléables au gré des puissants, l’historien Mickael Braddick rappellent le développement des nouvelles solidarités basées sur des valeurs et des croyances communes dans les campagnes anglaises pendant les guerres civiles   . La diffusion des journaux, des pamphlets et des tracts conditionnent l’expression de l’individu en tant qu’acteur social. Les pétitions, un exemple de ce que l’on appelle les « popular politics » dans l’historiographie de l’Angleterre corroborent cette prégnance de l ’ « opinion populaire »   .

Cette culture politique de l’opinion publique est encore plus manifeste aux Etats Unis. En effet, Nicolas Barreyre nous rappelle que la victoire présidentielle des démocrates de 1872 n’a été possible qu ’avec une utilisation fine de l’opinion publique à travers les journaux « indépendants » et leur directeur   .

Sur les vingt-cinq articles, on ne peut attribuer aux populations dominées une prise en main totale de l’élaboration de leur opinion. Ici, la question du rapport de force le justifie. L’historien Georges Bernard le rappelle dans son article intitulé « Religion et « popular politics » sous les premiers Tudors » : lorsque Henri VIII rompt avec Rome, aucune place n’est laissée à la négociation. Les ménagements des opinions trouvent leurs limites face à un pouvoir intransigeant   .

Le rapport que les élites entretiennent avec le « peuple » est ambivalent : parfois courtisé, il est une arme redoutable de pression pour l’adversaire. C’est ainsi que Don Juan José d’Autriche défend l’intérêt des habitants du royaume de Castille en évoquant la lourdeur des ponctions fiscales à laquelle il remédierait une fois au pouvoir à la place du favori Nithard soutenu par la reine   . De la même manière, le procureur du parlement de Rennes Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, au prise avec l’État centralisateur, se veut le défenseur des libertés des provinces notamment en matière fiscale et rédige des Mémoires pour que le « public » appuie son combat face au pouvoir royal   .

L’opinion, entendue comme un phénomène collectif a toujours été une colonne sur laquelle les puissants se sont appuyés. Mais les protagonistes de ce même appui sont tout autant mis à l’écart en ce sens qu’ils peuvent rapidement se révéler incontrôlables. En effet, le caractère versatile du « peuple » et de ses agissements a souvent été une des craintes majeures des tenants du pouvoir. L’opinion est bruyante, elle s’exprime de façon désordonnée. Il n’est pas anodin de constater que le terme d’ « opinion » soit utilisé pour désigner les hommes qui ont choisi de se convertir au protestantisme. Nicolas Le Roux nous rappelle dans son article   les propos de Ronsard dans son Discours des misères de ce temps; il qualifie l’ « Opinion » de « peste du genre humain ». Derrière ces attributions, on retrouve toute la structure de la société médiévale fondée sur une logique d’inégalité, d’ordre où les puissants dominent au premier rang desquels le roi, adoubé du sceau de droit divin.

Pour autant, ce colloque et la structure de l’ouvrage laissent entrevoir l’émergence de nouveaux enjeux liés à la question de l’ « opinion » et de ses modalités d’expression avec la rupture consécutive à la révolution de l’imprimé et la généralisation du support de l’écrit qui lui est inhérent sous forme de pamphlets, libelles ou encore de journaux. Les intervenants du colloque remettent en cause le paradigme habermassien de l’espace public et de facto de l’émergence de l’opinion propre à un milieu social en particulier à savoir la bourgeoisie européenne de la seconde moitié du XVIIIe siècle   . L’opinion et sa traduction dans un quelconque espace ne se limitent pas à une réalité exclusivement discursive Il existe des configurations d’opinions qui se cristallisent lors des situations conflictuelles qu’il faut contextualiser selon l’espace. En cela, la réflexion collective dudit colloque appuie la remise en cause de la thèse habermassienne de l’espace public dont un autre ouvrage collectif, dirigé par Pattrick Boucheron et Nicolas Offenstadt, a fait un objet d’analyse historique récemment   .

Cet ouvrage collectif a le mérite d ‘apporter un éclairage historique sur le concept aujourd’hui galvaudé d’« opinion » et encourage à un approfondissement de la question à travers le prisme d’une histoire du ressenti des acteurs sociaux.