Dans un ouvrage ambitieux, le physicien Hubert Krivine expose les révolutions de la pensée scientifique des derniers siècles, à travers la perception que l'on a eue de la place de la Terre dans l'univers, et nous offre ses réflexions sur la place et la valeur de la science.
 

Hubert Krivine, physicien de son état, et auteurs d'ouvrages de mathématiques et de physique, se penche sur l'histoire et la philosophie des sciences ; son fil conducteur : la vision de la Terre, de son histoire, de sa place dans l'univers, et comment celle-ci a profondément changé, faisant vieillir la Terre de 4 milliards d'années en à peine 400 ans. L'ouvrage est d'une grande rigueur, l'auteur cite de nombreux extraits de documents de première main.
L'ouvrage est articulé en trois grandes parties : la première traite de l'âge de la Terre, la deuxième de son mouvement et de la bataille de l'héliocentrisme, la troisième, plus courte, étant réservée à des réflexions générales sur la nature du concept de vérité scientifique.

L'âge de la Terre.  Laissons de côté les diverses versions mythologiques de l'histoire du monde et entamons directement avec l'Antiquité grecque, et plus précisément avec Aristote, qui a marqué de son empreinte la quasi-totalité de la pensée occidentale jusqu'à la fin du moyen-âge. Le monde sublunaire changeant et corruptible, tout comme le monde supralunaire, inaltérable, sont immuables et ont existé de tous temps. En rupture, la Bible postule un monde créé. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas un antagonisme porteur de violence, et H. Krivine nous rapporte l'étonnant propos de Buridan : Je suppose   que le monde a perpétuellement existé, comme Aristote semblait   l'entendre, bien que ce soit faux au gré de notre foi. À la Renaissance, la question de l'Âge de la Terre se pose de nouveau, et cette fois-ci, les récits bibliques sont pris comme source "historique", permettant d'effectuer de savants calculs permettant de donner un âge précis au monde, de 5600 ans environ (différents calculs donnant des résultats comparables à quelques années près seulement   , la palme revenant au calcul de l'archevêque Ussher, qui date la naissance du monde au 23 octobre 4004 av. J.-C.). On remarquera que Kepler et Newton ont effectué certains de ces calculs.
Au XVIIe siècle, de violentes polémiques éclatèrent sur ces datations, incompatibles avec d'autres chronologies historiques, aggravées par les antagonismes entre catholiques et protestants. Et puis, commence à germer l'idée de l'universalité des lois de la physique et de leur utilisation comme "horloges" permettant de dater la création du monde. Les arguments qui ont permis de vieillir notre planète sont de nature variée :

- géologique, par l'étude de la durée nécessaire à l'érosion, à la stratification ;

- thermodynamique, avec l'étude du temps de refroidissement d'une boule (on découvre Buffon physicien, effectuant des mesures sur des boules de tailles diverses et extrapolant le résultat à la Terre, puis devant se rétracter devant la menace --- déjà --- d'origine religieuse...), puis avec l'étude de la durée de combustion d'une sphère de la taille du Soleil ; Kelvin majore l'âge du Soleil par 20 millions d'années, faute évidemment d'avoir eu connaissance des réactions nucléaires ;

- chimique, par l'étude de la teneur en sel des océans et l'évaluation de la vitesse de transport des sels par les rivières ; l'idée remonte à Halley, et des calculs effectués à la fin du 19e siècle donnent un âge d'au moins 90 millions d'années.

- astronomique, par l'étude de l'évolution de la distance de la Terre à la Lune ;

- biologique, par l'estimation des temps nécessaires à l'évolution des espèces ; Darwin estimait que l'âge de 20 millions d'années avancé par Kelvin était beaucoup trop court.

- enfin, les méthode de datation par la radioactivité sont clairement détaillées, et l'âge actuel (4,55 milliards d'années) est expliqué. Mieux, l'auteur explique pourquoi cet âge-là est, sans doute, destiné à resté fixe   .

Le mouvement de la Terre. Cette partie début de manière assez technique, expliquant les problèmes que posent les observations astronomiques et notamment le mouvement, en apparence irrégulier, des planètes sur le fond du ciel. L'auteur fait preuve d'un grand sens pédagogique, ne reculant pas devant des analyses poussées et bien illustrées, des différents modèles (celui de Ptolémée, ceux de Copernic, de Tycho Brahe  et de Kepler notamment), ainsi que des méthodes de mesure des distances. Il réserve ensuite tout un chapitre à la bataille de l'héliocentrisme, insistant bien sur les positions respectives de Giordano Bruno, de Galilée et de l'Église, notamment. L'"orgueil" que l'Église condamnait en Galilée n'a été, finalement, que celui d'avoir oser remettre son l'autorité suprême en cause (et pourtant, Galilée ne ménageait pas sa peine pour expliquer que ce n'était pas son but). Le semblant de réhabilitation de Galilée qui a eu lieu en 1992 nous permet de lire des perles  : Une tragique incompréhension réciproque a été interprétée comme le   reflet d'une opposition constitutive entre science et foi. Les   élucidations apportées par les récentes études historiques nous permettent d'affirmer que ce douloureux malentendu appartient désormais   au passé.   Et Krivine de relever : "Quelle incompréhension ? Quel malentendu ? Les protagonistes principaux se sont parfaitement compris et n'étaient pas d'accord."
S'inscrivant en faux contre l'écoeurante mode voulant que l'on associe sciences et religion, qui au mieux mettra des charlatans à la Bogdanov sur le devant d'une scène fréquentée par les sots, mais au pire prendra au piège de véritables penseurs, Krivine rappelle que, par définition, la pensée scientifique se construit autour de l'idée de preuve, et que par nature elle est changeante et (relativement) prompte à se remettre en cause. S'il évoque le conservatisme en science, c'est pour rappeler que ce conservatisme ne dure en général que quelques dizaines d'années, durée totalement sans rapport avec celles qui concernent les conservatismes religieux. Il rappelle également que le règne de l'imagination appartient certainement plus aux chercheurs qu'aux théologiens   .
Alors même que de nouveaux dangers menacent, non seulement aux États-Unis, mais de plus en plus en Europe, le libre exercice de la pensée, de la créativité et de la recherche de la vérité scientifique, l'ouvrage de Krivine arrive à point nommé pour éclaircir certains points qui, avec le temps, se sont recouverts d'un brouillard parfois épais. Le seul reproche que l'on puisse lui faire serait qu'on aurait aimé qu'il fût plus long... mais l'auteur a sans doute choisi une certaine brièveté (relative) pour ne pas perdre une partie de ses lecteurs. Les liens vers de nombreuses sources permettront au passionné de poursuivre leur lecture.