Quatorze études pour décrypter le "héros féminin" ou comment la culture populaire s'est emparée du genre, du féminisme et de la sexualité.

Le héros décliné au féminin

Alors qu'elles sont de plus en plus nombreuses à peupler nos fictions, l'on pourrait croire que les héroïnes parviendraient enfin à se faire une place dans notre culture, ouvrant alors d'autres formes de récits et participant de fait à une reconnaissance de la femme dans des domaines jusque là considérés comme incompatibles avec sa place dans la société. C'est en quelque sorte ce projet idéal, le but ultime de l'héroïcité déclinée au féminin : libérer de tels personnages du joug patriarcal et faire valoir leurs pouvoirs au même titre que la gent masculine.

Deux chercheurs, Loïse Bilat et Gianni Haver, posent alors cette question de l'agencement entre masculin et féminin dans les productions culturelles " grand public " mettant en avant une héroïne. En étudiant la relation entre l'héroïne et le contexte patriarcal dans lequel évolue généralement cette dernière, Bilat et Haver s'intéressent à la construction des représentations, à leur réception dans la société. Dans le premier essai du livre, qu'ils co-signent, les auteurs posent les bases de leur étude sur l'héroïcité à travers l'outil "genre" et relèvent déjà un aspect problématique : l'héroïne n'est pas l'alter ego du héro. En effet, dans le langage commun, le concept d'héroïne ne détermine pas l'aspect extraordinaire du personnage ni ne lui confère automatiquement le rôle de personnage principal. Les auteurs proposent alors de qualifier ces personnages féminins hors norme et héroïque, des " héros féminins ". Plus qu'une nuance ou un simple effet de langage, cette distinction permet réellement de se positionner de façon critique vis-à-vis de l'héroïsme décliné au féminin. Sont ainsi passés au crible le schéma actanciel des fictions, le rapport à la violence, au spectaculaire, la question de l'hypersexualisation. En conclusion, les deux chercheurs estiment que le héros féminin reste majoritairement enfermé dans des rôles stéréotypés qui annulent le potentiel subversif qu'on serait tenté de lui attribuer.

Pour appuyer ce constat, Loïse Bilat et Gianni Haver ont fait appel à plusieurs chercheurs français, belges, suédois ou encore canadiens. Au total, l'ouvrage propose 14 articles chacun autour d'un héros féminin particulier, issu aussi bien de films, que de bandes dessinées ou de jeux vidéo. Ce large panel de figures héroïques et surtout cette diversité de champs artistiques permettent alors de voir comment la culture populaire, en général, appréhende l'agencement de la féminité et de l'héroïsme.


De Wonder Woman à Beatrix Kiddo : le prototype de la femme forte, belle, maman et/ou amoureuse

Si chaque personnage étudié dans le livre comporte sa part de singularité et ainsi ses propres formes émancipatrices et conservatrices, un point commun majeur se retrouve dans la construction du récit et sur la construction identitaire du héros. Car si comme leurs homologues masculins, ces dames sont l'objet d'un parcours initiatique motivé par une quête particulière, les poussant à découvrir leur potentiel hors norme et à en assumer les conséquences, les motivations de ce parcours sont tout à fait divergentes. Ainsi, les héros féminins seraient plus enclins à se battre corps et âme pour l'amour, la défense de leur enfant plutôt que pour sauver la planète, défendre la justice. Wonder Woman dans les années 40 combat les ennemis nazis mais avant tout par amour pour le capitaine de l'armée américaine Trevor, Beatrix Kiddo dans Kill Bill joue du sabre japonais pour retrouver sa fille, Charly Baltimore renoue également avec son passé de femme d'action suite au kidnapping de sa fille.

Question féminité, les héros se parent généralement des stéréotypes de beauté et démontrent encore les limites de leur potentiel. Leur force physique n'altère en rien leur plastique ultra féminine, leurs courbes généreuses. Ce primat de la beauté et le côté hyperbolique de la féminité renvoient directement à la question de la sexualisation des héros. Celles-ci demeurent l'objet du regard masculin et incarnent une forme de désir. L'exemple de Lara Croft est ici le plus parlant, l'héroïne pouvant être manipulée par le joueur dans des positions très suggestives et qui pourtant ne servent en rien l'avancement du jeu.  

L'héroïcité : laboratoire expérimental du féminin

Il convient toutefois de reconnaître que l'héroïcité contient par essence un fort potentiel dans le questionnement identitaire et donc sur la construction du genre. Echappant à la normalité, le récit héroïque peut alors proposer des personnages relevant du schéma expérimental, s'affranchissant des normes. La perméabilité entre le champ réaliste et celui surréaliste permet à des personnages comme Fifi Brindacier de transgresser les limites de l'âge et du genre. Indépendante et dotée d'une force extraordinaire, Fifi incarne un modèle féminin et féministe que seul l'héroïsme rend possible. Plus loin encore, le personnage de Gally, héros cyborg du manga Gunnm, rend compte de la construction du corps et du genre, laissant percevoir de forts accents foucaldiens. Créée, recréée, recomposée, Gally parvient alors à questionner l'attribution de tel ou tel caractère au genre masculin ou féminin.
A travers ces 14 portraits de héros féminins, on perçoit donc que le héros féminin dans sa version contemporaine reste confronté à des stéréotypes, des ambivalences et des contradictions qui font écho aux structures patriarcales que la société véhicule encore. Pourtant des avancées sont notables. Nous ne sommes plus étonnés de leur présence, ni de leur force. Mais nous ne sommes toujours pas étonnés de les voir toujours belles, soumises au regard et au pouvoir masculin entre autres. C'est cela qui constitue les limites de nos héros féminins contemporains et c'est ce dont le livre rend compte très justement.