De Mlle Necker à Mme de Staël, l’ouvrage propose dans une perspective historique la vie de ce grand écrivain dont la vie, si bien connue, n’a été finalement qu’une fuite du bonheur.

Écrire une biographie est, à mon avis, un exercice de style et un travail parfois périlleux. En effet, jauger la part de “vérité” (ce qui est réellement arrivé) et la part de potentialité/virtualité (ce que le biographe interprète comme vrai) peut paraître complexe. Souvent, le lecteur s’attend à une fresque personnelle sur tel ou tel personnage afin de découvrir ce qu’il a été en son temps pour, peut-être, mieux comprendre les écrits et les œuvres. Ghislain de Diesbach, connu du grand public pour ses diverses productions, s’est donc lancé dans la biographie de madame de Staël. La présente version est en fait une deuxième réédition de l’ouvrage princeps paru en 1983 et 2008.

Si la vie de Mme de Staël est riche, l’ouvrage l’est aussi à plus d’un titre. En effet, il se compose de quatorze chapitres, eux-mêmes découpés en plusieurs parties, à la manière de ces grands biographes du XIXe siècle (Sainte-Beuve, Lanson). De la naissance de la petite Necker à la mort de Mme de Staël, le biographe “trace le portrait exhaustif d’une femme à la sensibilité rare, exigeante et tourmentée”. Mais que dire de neuf sur un écrivain aussi connu que Mme de Staël… ? En fait pas grand-chose, car tout semble avoir été dit même si ici ou là, le lecteur aguerri et amateur pourra tantôt apprendre une anecdote peu révélée, tantôt se rafraîchir la mémoire sur tel ou tel événement.

L’intérêt de cet ouvrage réside sans doute ailleurs. Non pas dans la vie de l’auteur de Corinne, mais dans la vue générale qu’en offre le critique. Il est parvenu, avec bon ton et à propos, à tisser avec l’Histoire une relation saine et confidente. Les méandres de la vie de Mme de Staël sont constamment mis en perspective avec la vie socio-économique des XVIIIe et XIXe siècles. L’on comprend mieux dès lors l’engagement de cette femme politique pour ses amis, ses penchants pour l’amour et pour la vie libre (avec Louis, comte de Narbonne, avec Adolf, conte de Ribbing ou avec le célèbre Benjamin Constant), car, assurément elle fut une femme de caractère.

Si l’ouvrage est très intéressant, il peut aussi s’avérer être un objet fastidieux pour le curieux ou l’amateur non plus de littérature mais de biographie. À de nombreuses reprises, on peut regretter une mise à l’écart de l’héroïne au profit d’une synthèse historique. C’est dans ces moments que la lecture et le fil biographique se perdent dans les avenues de l’Histoire. D’autant plus que Ghislain de Diesbach a eu constamment le souci de donner en kaléidoscope la vie des hommes et des femmes qui gravitaient autour de Mme de Staël, à commencer par ses propres parents qui bénéficient, à eux seuls, d’un grand nombre de pages dès l’ouverture du texte. Il serait alors légitime de se poser la question du bien-fondé de ces dernières. D’aucuns diront qu’elles sont nécessaires pour mieux comprendre ce que fut Mme de Staël, d’autres, prenant l’argument du critique, d’affirmer qu’il n’est absolument pas nécessaire de remonter si loin, car l’auteur De l’Allemagne s’est construite contre le modèle maternel et en continuité avec celui du père. La question reste bien sûr ouverte.

Qu’il nous soit permis seulement de ne donner qu’un seul exemple d’un développement qui allonge la lecture et ne facilite guère la compréhension de la destinée de cette femme si surprenante. À la page 124, par exemple, le biographe se mue en historien de la royauté, sans lien visible avec la fille deNecker. D’ailleurs, n’est-il pas surprenant qu’il commence en disant : “De même qu’il y eut dans le monde antique une période pendant laquelle les anciens dieux n’étant plus, le nouveau n’étant pas encore, l’homme seul a compté, les dernières années du règne de Louis XVI correspondent à un rare moment de l’histoire d’une civilisation : entre un absolutisme de droit divin, auquel personne ne croit plus, et un despotisme populaire, que nul ne peut prévoir, seuls comptent les gens d’esprit dont la plupart seront décimés par la Terreur ou asservis par l’Empire.” Surprenant est aussi cette longue phrase, dont la tonalité généralisante n’aura pas échappé aux lecteurs attentifs. Malheureusement, nombreux sont ces développements méta-biographiques qui noient la découverte de l’écrivain.

Enfin, si la qualité de l’écriture et le sens de la mise en scène (les dialogues entre les différents acteurs sont légion, voire pléthoriques) sont indéniables, on pourra aussi regretter quelques jugements (de valeur ?) à l’emporte-pièce sur tel ou tel personnage. En effet, on pourrait considérer le travail du biographe comme celui d’un objectif photographique (à moins que le biographie tente de s’amuser avec les règles et l’affirme dans une préface ou dans un quelconque autre texte). Zoomant ou dézoomant sur un aspect précis de la vie de Mme de Staël, il se contenterait de refléter au plus juste ce qu’elle offre aux lecteurs ou ce que l’on dit d’elle. Écrire une biographie est, in fine, une espèce d’oubli de soi quand le soi est le biographe, à moins, ce qui est évident, que l’on s’engage à mêler sa propre conception d’un monde politique à l’objet décrit dans la biographie. Un peu à la manière de Stephen Zweig qui n’hésite pas, en l’assumant, à mêler biographie et auto(-biographie) quand il écrit son Érasme, par exemple. Dans le projet de Ghislain de Diesbach, rien ne permet de dire que la biographie est un exercice de style. Il nous apparaît donc dérangeant d’entendre à quelques reprises des jugements auctoriaux.

Quoi qu’il en soit, et malgré ces quelques remarques, l’ouvrage de Ghislain de Diesbach est d’une haute facture. Il permet véritablement de comprendre qui fut la future Mme de Staël et combien celle-ci a compté dans le panorama historique et littérature du XIXe siècle. Et de conclure avec le critique, qui ne cache pas son admiration : “Pour une femme comme elle, condamnée par l’excès même de ses dons à rester unique en son genre, il ne pouvait y avoir d’autre but à sa vie que l’immortalité, acquise au détriment de ce bonheur dont elle a porté si longtemps le deuil éclatant”   .