Chronique d'un déracinement entremêlé de moments privilégiés, suspendus dans le temps, lors de la guerre au Liban.

À Beyrouth, en 1984, deux enfants attendent dans leur appartement le retour de leurs parents, partis visiter leur grand-mère de l’autre côté de la ligne de démarcation. Zeyna Abirached est née en 1981 à Beyrouth et a voulu réaliser cette bande-dessinée sur la guerre libanaise en voyant un documentaire.

"En avril dernier, sur le site de l'INA, qui venait de mettre ses archives en ligne, je suis tombée sur un reportage sur Beyrouth en 1984. Les journalistes interviewaient les habitants d'une rue située sur la ligne de démarcation. Bloquée à cause des bombardements dans l'entrée de son appartement - l'entrée était souvent la pièce la plus sûre car la moins exposée -, une femme au regard angoissé dit une phrase qui m'a donné la chair de poule. Cette femme, c'était ma grand-mère."

Le parti pris de cette bande-dessinée est donc de situer l’action dans une unité de lieu très restreinte : l’entrée de l’appartement, la pièce la plus sûre pour la famille de l’héroïne mais aussi pour tout l’immeuble qui s’y donne rendez-vous lors des bombardements dans le quartier. L’unité de temps : le bombardement, et l’attente du retour des parents.

Côté graphisme, la recherche est très intéressante, notamment par le dessin en noir et blanc, aux traits très épais et marqués, et dans une 2D recherchée, brodée comme une tenture, comme la tenture de l’entrée. Les dessins rappellent beaucoup Persepolis, l’ouvrage phare de Marjane Satrapi, ce qui nuit sans doute à cette bande-dessinée de qualité. Ceux qui ont lu ou vu Persepolis pourront être gênés par cette similitude des traits et des graphismes.

En effet, l’ouvrage de Zeina Abirached a une ambition bien moindre que l’œuvre de Marjane Satrapi. Le jeu des hirondelles est basé sur un moment court et intense, quasiment une anecdote de guerre que seul le titre replace dans un contexte plus large et profond. Le départ de la famille et l’errance que la guerre impose peu à peu à toutes les familles de l’immeuble forment le "jeu des hirondelles". Finalement par son issue heureuse, la tension de la scène est relâchée, et l’on découvre une deuxième lecture : ce livre est le témoignage d’un moment privilégié, heureux presque, un clin d’œil dans le déracinement. Ballotés de maison en maison, les enfants n’ont pour repère qu’une tenture dans l’entrée, et surtout les voisins qui les entourent. Mais le jeu des hirondelles ne les laissent pas profiter d’un confort précairement reconstruit au cœur de la guerre. À peine posés et installés, il faut déjà repartir.

La beauté de cette ouvrage est dans le décalage entre son titre, la réalité de la guerre, et la suspension du temps, tout le temps du témoignage. Malgré le manque d’originalité du trait, les symboles et l’utilisation de la 2D plaquée sur la feuille sont remarquables et font du Jeu des hirondelles une œuvre intéressante et précieuse, comme ces moments de quotidien au milieu de la guerre.


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Crédit illustration : Abirached, Mourir, partir, revenir. Le jeu des hirondelles © Cambourakis 2007