La mise en place et l’abondement par l’Etat d’un véritable système de formation professionnelle et continue, rémunéré et donnant lieu à l’accumulation de droits à la retraite au même titre que les périodes d’activité, permettrait de contrecarrer les conséquences négatives non anticipées des périodes présentes de chômage non indemnisé sur le niveau des retraites futures, afin d’éviter aux chômeurs de " payer la double peine ". Explications.

 

Pour une " allocation formation continue professionnelle " à destination des chômeurs non indemnisés

Deux constats peuvent être faits aujourd’hui. D’une part, alors que les parcours des travailleurs sont de moins en moins linéaires, près d’un chômeur sur deux est non indemnisé. D’autre part, la formation professionnelle est plus que jamais nécessaire pour adapter les chômeurs aux nouveaux besoins du marché dans un monde en complète mutation.
Face à ces constats sans appel, la mise en place d’un véritable système de formation professionnelle et continue sous la forme simple d’une " allocation formation continue professionnelle " (AFCP) à destination des chômeurs non indemnisés apparait indispensable.
Une telle formation permettrait en effet de former et de réinsérer les chômeurs, tout en sortant de la logique de stigmatisation du " mauvais chômeur " ou du " mauvais RSAiste ", à qui l’on veut imposer une obligation de travail minimum en échange des minimas sociaux. Ce n’est en effet pas de " travail d’utilité sociale " dont les allocataires du RSA – et l’économie dans son ensemble – ont besoin, mais du savoir nécessaire à leur adaptation aux mutations rapides du marché travail. Or une telle adaptation ne peut se faire que par la formation continue.
Deux avantages immédiats découleraient donc de la mise en place d’une AFCP à destination des chômeurs non indemnisés : cette allocation permettrait de résoudre le double problème des cotisations retraite des chômeurs non indemnisés, et de leur adaptation aux mutations de l’économie.

 

La situation actuelle

Un rapide rappel de la situation actuelle permet de mieux comprendre les enjeux de la mise en place de l’allocation formation continue professionnelle à destination des chômeurs non indemnisés.
La prise en compte dans les régimes de base des périodes d’inactivité professionnelle involontaire est aujourd’hui différente en cas de chômage indemnisé et de chômage non indemnisé. D’un côté, tous les trimestres indemnisés par un régime d’assurance-chômage (assurance-chômage et prestations de solidarité comme l’allocation spécifique) sont pris en compte pour le calcul de la durée d’assurance et assimilés à des trimestres d’assurance pour la détermination des droits à la retraite. De plus, ces trimestres donnent lieu à l’attribution de points dans les régimes complémentaires. De l’autre côté, les périodes de chômage non indemnisés ne sont au contraire prises en compte que dans une certaine limite et uniquement par les régimes de base  

Ainsi, dans un contexte où les carrières courtes et heurtées sont de plus en plus nombreuses, les chômeurs de longue durée souffrent doublement : d’une part, lors de leurs périodes de chômage non indemnisé ; d’autre part, quand vient l’âge de la retraite, où ils se retrouvent avec le seul minimum vieillesse du fait du trop faible nombre de trimestres durant lesquels ils ont pu cotiser.
Or jusqu’à présent, ce problème des cotisations retraite des chômeurs non indemnisés n’a jamais été affronté. Seules des aides financières exceptionnelles de court terme et sur le mode de l’ultime recours ont été décidées  

 

Quel fonctionnement pour l’allocation de formation professionnelle continue ?

L’allocation de formation professionnelle continue se traduirait au contraire par la prise en compte des périodes de chômage non indemnisé – bien au-delà des limites actuelles – dans le calcul des droits à la retraite.
Le versement de cette allocation de long terme se ferait par substitution progressive et compensatoire à l’allocation chômage, qui n’a pas pour vocation une prise en charge de durée indéterminée des chômeurs. L’AFCP serait prise en compte, au même titre que l’allocation chômage, dans le calcul des droits à la retraite. Mais cette allocation ne serait pas une nouvelle " rallonge " accordée aux chômeurs à l’approche de leur fin de droits. Il s’agirait au contraire d’une mesure de longue durée destinée à les former afin de faciliter leur réinsertion sur le marché du travail dans des emplois mieux adaptés aux nouveaux besoins de l’économie.
Son objectif serait en effet, au-delà du seul problème du niveau des pensions de retraite, de développer la formation tout au long de la vie. Alors que les seules formations existantes sont aujourd’hui associées à la perception de l’allocation chômage, la création de l’AFCP permettrait de les ouvrir également aux chômeurs en fin de droit.
Bien évidemment, il faudrait assortir cette allocation de conditions strictes : le demandeur d’emploi serait dans l’obligation d’accepter l’ensemble des formations qui lui seraient proposées, formations déterminées en collaboration étroite avec un "conseiller d’orientation " attribué à chaque chômeur mais prenant également en compte les besoins de l’économie réelle.
L’AFCP serait gérée par l’agence actuellement en charge de la formation continue dans le cadre des droits de tirage spéciaux. Les chômeurs en fin de droit ne seraient ainsi pas stigmatisés et bénéficieraient du même système de formation continue que l’ensemble des salariés. Bien évidemment, cette agence travaillerait en étroite liaison avec une agence de placement.

 

Un coût faible pour une double source de financement

Se pose bien évidemment à cette étape la question du financement de l’allocation de formation professionnelle continue
Selon les chiffres de février 2010, sur dix personnes au chômage (y compris les seniors dispensés de recherche d’emploi), cinq sont indemnisées par le régime d’assurance chômage, une reçoit l’allocation spécifique de solidarité, et une perçoit le RSA. Trois personnes sont donc complètement laissées pour compte par le système et quatre au total (le RSA ne constituant pas un salaire, il n’est pas comptabilisé dans les trimestres pris en compte pour le calcul des droits à la retraite) ne cotisent pas pour leur retraite. L’allocation de formation professionnelle continue concernerait donc 4 chômeurs sur 10, c’est-à-dire d’après les derniers chiffres du chômage, plus de 1 600 000 personnes.
Pour les chômeurs non indemnisés qui touchent actuellement le RSA, ce RSA serait transformé en AFCP, le montant touché restant inchangé (le montant du RSA socle pour un individu seul et sans enfant étant aujourd’hui de 467 euros), mais l’Etat versant chaque mois aux caisses de retraite un montant correspondant à 6,75% du RSA socle (pour un coût total annuel de 16 millions d’euros).
Pour les chômeurs non indemnisés ne touchant actuellement aucun minimum social, ils percevraient une AFCP d’un montant égal au niveau du RSA, l’Etat versant également directement aux caisses de retraite un montant correspondant à 6,75% du RSA socle (pour un coût total annuel de 750 millions d’euros).
Le coût total de l’AFCP serait donc de 766 millions d’euros, c’est-à-dire particulièrement faible au regard du double bénéfice qui peut en être attendu. Deux sources de financement pourraient de plus être mobilisées.
D’une part, l’allocation de formation professionnelle continue pourrait être financée par la réduction de deux niches fiscales et sociales : la suppression de l’abattement de 15% sur les cotisations sociales versées par les particuliers employeurs sur la base du salaire réel – qui se surajoute à la dépense fiscale en faveur des emplois à domicile (crédit et réduction d’impôt sur le revenu) – et dont l’efficacité n’a jamais été évaluée (gain de 460 M€), et un rabot de 10% sur la dépense fiscale en faveur des emplois à domicile (gain de 300 M€). Cette solution est cohérente : elle consiste à réduire les dépenses fiscales dont l’efficacité sur l’emploi est limitée pour financer une mesure d’aide au retour à l’emploi.
D’autre part, une autre possibilité de financement, sans doute plus conflictuelle, pourrait être envisagée : il s’agirait de plafonner à un niveau plus bas qu’il ne l’est actuellement le montant de la pension de retraite pour les plus hauts salaires, et d’utiliser les montants ainsi récupérés pour financer l’AFCP. Cela aurait le mérite d’introduire un peu plus de redistribution dans le système de retraite actuel.

 

* Julia Cagé, économiste à l’Université d’Harvard et à l’Ecole d’Economie de Paris, pour Cartes sur table.