La republication de ce dictionnaire (1992 - 2012) offre aux étudiants et aux scolaires un nouvel instrument de culture générale

 Evitons, d’entrée de jeu, la considération quasi-obligatoire, dans ce genre de cas, portant sur les forces et les faiblesses d’un dictionnaire ou d’un dictionnaire encyclopédique. Nous y reviendrons plus tard, à propos de cet ouvrage qui remplit précisément ce rôle de vouloir permettre à ses lecteurs de situer tel ou tel mouvement artistique et littéraire dans le temps, dans l’espace, dans ses auteurs et dans son contenu.

Commençons par une perspective plus générale. De tels dictionnaires, notre époque en est friande. La question est de savoir pourquoi ? On publie des dictionnaires de la culture, de la science, de la philosophie, ... tous ouvrages qui prétendent présenter à un large public une information à partir de laquelle classer, ordonner, mettre en perspective, condenser des éléments centraux à propos de tel ou tel objet. Voilà pour la conception. Mais comment le lecteur reçoit-il ces ouvrages ? Qu’en est-il de la réception ?

La question est d’importance dans la mesure où elle favorise (ou non) l’approche de ces livres. Dès lors qu’on y répond, il est possible (ou non) de distinguer les ouvrages qui diffusent uniquement une érudition un peu vaine, ceux qui réduisent le savoir et la pensée à des notices de quelques lignes, ceux qui constituent une aide véritable à l’élaboration d’une pensée critique. Dictionnaires et encyclopédies, désormais, rivalisent autour de ces différents projets, quand ils ne se confondent pas.

Le dictionnaire des Virmaux que nous présentons ici ne prétend pas se substituer à un savoir vivant. D’une certaine façon, il y conduirait plutôt. Les notices alignées en ordre alphabétique (de « Abbaye » à « Zwanzeurs ») ne se contentent pas d’informations techniques rapidement diffusées. Elles sont rédigées à chaque fois dans une optique spécifique, laissant alors le lecteur à même de juger si ce qu’il lit doit ou non être prolongé et comment. En tout cas, pour s’y retrouver nulle difficulté : l’ordre alphabétique est redoublé par un Index des mouvements et un Index des noms.

Le propos couvre la période 1870-2010. Pourquoi 1870 ? Parce que la fin du XIX° siècle voit éclore un prodigieux fourmillement d’écoles et de mouvements artistiques et littéraires qui de déclarations en manifestes transforment le paysage culturel. Cette césure permet aussi d’éviter d’entrer dans les voies d’une histoire complète de l’art, qui aurait exigé un tout autre travail. A la charnière du XX° siècle, les catégories habituelles de cette histoire sont remises entièrement en question. Entre les « Zutistes », les « Vilains Bonshommes » et les « Hydropathes », quelque chose prend forme qui passera rapidement dans le Dadaïsme, puis les grands mouvements de la modernité des avant-gardes.

La classification et la fixation des catégories retenues par les auteurs reconduisent vers deux aspects de ces mouvements nouveaux : les termes émergents et les écoles constituées pour la plupart des genres artistiques (arts plastiques, musique, théâtre, littérature, design, sculpture, danse). L’agencement des deux aspects selon l’ordre alphabétique rompt heureusement le fil d’une succession de mouvements risquant l’insipide. Il reste qu’il était délicat de distinguer systématiquement les mouvements, les procédés, les genres et les doctrines, aussi les auteurs s’arrangent-ils parfois pour laisser assez de place à chacun sans tomber dans le formalisme.

Le champ géographique recouvert est très nettement mondial, même si l’Europe domine les énoncés. En tout cas, le parti pris international était tout aussi inévitable (dès l’échelle européenne) que l’ampleur souhaitée d’une exploration presque infinie. Disons que l’Inde, le Japon, l’Argentine, et bien d’autres contextes culturels ont droit à une présence par définition bienvenue.

Les notices n’hésitent pas à s’organiser en échos successifs. Parfois, c’est l’ordre alphabétique qui confronte deux mouvements (Abstraction géométrique et abstraction lyrique), parfois un rappel dans le texte suscite un renvoi de lecture vers une autre catégorie. Dans quelques cas, une catégorie se trouve cité plusieurs fois (Grand jeu se retrouve à son nom et à AEAR, ...). Ce qui signifie que les auteurs sont demeurés attentifs aux passages d’un mouvement à l’autre, aux recoupements requis, aux croisements de problématiques. Certes, certaines proximités sont « évidentes » et on aurait reproché aux auteurs de ne pas les signaler, mais ils ne manquent pas non plus l’occasion de préciser des éloignements moins perceptibles.

Tout cela contribue à faire de ce dictionnaire un véritable instrument de travail. Ce n’est pas uniquement une mémoire substitutive, il peut susciter des considérations sur les arts et la littérature de ces deux derniers siècles.

Evidemment, il convient d’en passer aussi par quelques reproches. Il nous semble que l’article « abstrait » ne dit pas grand chose. L’article « Ecole de Francfort » n’est pas suffisamment centré sur les problématiques artistiques et littéraires de cette école. L’article « Bourbaki » n’a vraiment de lien avec l’ensemble que parce qu’un de ses membres (François Le Lionnais) a participé aussi à l’Oulipo. L’article consacré à la revue « Argument » est peu convaincant dans ce cadre, et celui qui précise le mode d’existence de l’agence « Viva » ne suffit pas, d’ailleurs pour une raison précise donnée par des auteurs qui tissent un fil conducteur pourtant pertinent entre quelques catégories de ce dictionnaire : par exemple « A cœur joie », ou « Action française ». En effet, en accentuant un peu le commentaire sur l’impact littéraire ou artistique de ces mouvements, il devenait clair qu’ils avaient leur place dans l’ouvrage. La diffusion des œuvres (agence « Viva »), les pratiques amateurs (« A cœur joie »), les revues politiques (« Action française ») ont contribué, dans notre histoire, à donner corps ou un certain corps aux domaines artistique et littéraire. A ce titre, ils appartiennent de droit à un tel dictionnaire, mais les  notices devaient le mieux préciser. Il est important que les affaires culturelles ne se réduisent pas aux oeuvres, puisque ces dernières ont besoin des institutions et des moyens de diffusion pour accéder au public.

Pour le plaisir de la complémentarité, le lecteur pourra avoir recours en parallèle à l’ouvrage publié il y a 11 ans (2001), par l’ENSBA : Groupes, mouvements, tendances de l’art contemporain depuis 1945. Il apercevra entre les deux ouvrages autant de recoupements que de compléments. Mais il verra aussi se déployer un temps historique qui classe et déclasse des mouvements, chaque relecture de telle ou telle période accentuant l’importance d’un groupe ou d’un autre ou diminuant la présence d’un autre.

Enfin, il se rendra compte aussi du fait que ces dictionnaires, au fil du temps, sont obligés de se multiplier en même temps que de se diversifier. En effet, la catégorie d’art numérique (sous toutes ses formes) est manifestement sous-traitée à peu près partout. Il a fallu attendre la publication de dictionnaires spécialisés dans les multi-médias et les arts électroniques pour que ce domaine soit servi à la hauteur de ses vues. C’est dire si ce genre d’entreprise est tributaire à la fois de l’information des auteurs (ici évidente pour les parties les plus classiques), de la réalité de la division du travail dans le domaine choisi (ici de plus en plus ample), et de l’intérêt de lecteurs pour les domaines en question