Julien Autin est avocat au barreau de Paris. Il témoigne dans cet entretien de la pratique quotidienne du droit et des interrogations des justiciables au prisme de son expérience des permanences juridiques organisées par la Ville de Paris, qu’il assure en bénévole depuis plusieurs années.
 
Nonfiction.fr – Un certain nombre de mairies ont mis en place des permanences juridiques proposant des conseils gratuits d’avocats : qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

Julien Autin La mise en place de consultations gratuites tenues par les Avocats dans les mairies me semble s’inscrire dans une démarche d’ensemble, à savoir : celle de l’accès au droit pour tous.  Il s’agit de faire en sorte que le droit devienne à la portée de chacun et ce dans une société où il est de plus en plus présent et complexe. A chaque situation correspond des règles de droit. Ces permanences juridiques ont donc pour objectif d’expliquer aux gens la situation juridique dans laquelle ils se trouvent et d’essayer de leur apporter un début de réponses ou de leur prodiguer des conseils quant aux démarches à suivre ou à effectuer. Le but est donc de créer un pont entre les gens et le droit en s’efforçant de rendre celui-ci plus intelligible et proche de chacun plutôt qu’imperméable et extérieur.

Nonfiction.fr – Y a-t-il un "profil-type" des personnes qui vous consultent ? Autrement dit, tout le monde profite-t-il en pratique de ces services, et dans le cas contraire, qui n’en profite pas ?

Julien Autin En ce qui me concerne, je n’ai pas remarqué de profil type. Bien évidemment, pour profiter de ces services, il faut avoir connaissance de leur existence. Car, à défaut, vous ne vous dirigerez pas vers votre mairie pour vous inscrire à ces permanences juridiques. Mais, c’est là la seule condition logique pour y avoir accès. Autrement, il m’est arrivé de croiser des personnes aussi diverses que variées.

Nonfiction.fr – À quel sujet vient-on vous demander conseils ? Y a-t-il des domaines du droit particulièrement – ou particulièrement peu – représentés ?

Julien Autin En tant que professionnel, l’un des attraits de ces permanences juridiques réside dans le fait que, précisément, je ne sais jamais à l’avance sur quels sujets porteront les questions. Je n’en ai connaissance que quand elles me sont directement posées, lors de l’entretien. Et l’exercice est d’autant plus appréciable que ce ne sont jamais les mêmes. Il y a bien des domaines récurrents comme le droit de la famille, le droit du travail ou le droit du logement mais, de manière générale, on peut m’interroger sur tout et n’importe quoi. Ainsi, pour exemple, ai-je déjà eu à répondre sur un problème lié aux cendres mortuaires dans le cadre d’une succession.

Nonfiction.fr – Avez-vous observé une évolution des demandes de ces personnes, dans leur quantité et dans leur objet ? Si oui, à quoi l’attribuez-vous ?

Julien Autin Je ne tiens pas de statistiques mais, en échos à ma précédente réponse, j’aurai tendance à dire qu’il y a certains domaines plus récurrents que d’autres comme le droit de la famille, le droit du travail, le droit du logement ou le droit de la nationalité. La raison en est probablement qu’il s’agit là de domaines qui, dans notre société, touchent le plus de personnes. Que cela soit de facto ou en raison des circonstances économiques et/ou sociales de l’époque. Le droit étant traditionnellement défini comme un moyen de régulation sociale, il paraît donc normal qu’un bon nombre de questions portent sur ces sujets.

Nonfiction.fr – Comment évoluent les situations après consultation : avez-vous le sentiment que l’information que vous délivrer encourage des procédures, ou au contraire qu’elle sert aussi parfois à les décourager ?

Julien Autin Dans la mesure où mon intervention en mairie se limite à assurer ponctuellement une permanence juridique de trois heures, je ne sais pas ce qu’il advient après ladite consultation. D’ailleurs, il n’y a pas nécessairement lieu de faire une procédure. Et, dans le cas contraire, je ne peux concevoir que l’information délivrée décourage à engager une procédure lorsque celle-ci apparait justifiée. En réalité, j’ai surtout le sentiment que le fait d’intenter une action ou pas, dépend plus de la personne que du bien fondé de cette action. En ce sens, et pour répondre à l’une de vos précédentes questions, je dirais que si "profil type" il y a, on en distingue deux : celui des personnes réellement prêtes à résoudre leur problème en en finançant le coût et celui des personnes qui, venues chercher un renseignement gratuit, rechignent à l’idée de devoir payer quoi que ce soit pour faire valoir leurs droits. Ainsi ai-je eu le cas d’une femme victime d’un dégât des eaux qui, quoi que fortunée, préférait subir depuis deux ans les détériorations de l’appartement dont elle était propriétaire plutôt que de saisir la Justice par le biais d’un Avocat et ce, sans compter le fait que son appartement risquait de s’écrouler. . .

Nonfiction.fr – L’existence d’un tel type de conseil a-t-il un "revers de la médaille" ? Ne risque-t-il pas par exemple – sans que tel soit l’objectif bien-sûr – de justifier le principe selon lequel chacun a de toute façon accès à la loi, même si ce principe n’est pas conforme à la réalité des pratiques ?

Julien Autin Dans le prolongement de ma précédente réponse, je crois que si ce type de permanences juridiques devait occasionner un : "revers de médaille", il se résumerait à conforter certains dans l’idée que tout devrait leur être toujours gratuitement dû. Mais, il s’agit là d’un risque minime car ceux-ci ne sont pas légion et il nous revient de leur faire comprendre le contraire. Autrement, je ne suis pas d’accord avec vous. Peut-être péché-je par naïveté mais il me semble que chacun a effectivement accès à la loi. Ainsi, les plus démunis ont-ils la possibilité de demander l’aide juridictionnelle pour se voir désigner un Avocat afin que ce dernier s’attèle à défendre leur cas. Selon les ressources qui sont les leurs, l’Etat prendra en charge une partie ou la totalité du coût de la procédure. Il est cependant vrai que, pour ce qui est de certains domaines tels le divorce, une catégorie de démunis – les étrangers en situation irrégulière – ne peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle et donc, dans cette mesure, de l’accès au droit. Mais de manière générale, l’accès au droit est organisé. Ce qui peut faire défaut c’est l’information. Beaucoup de gens ignorent qu’ils peuvent avoir accès à la Justice et ce même s’ils n’en ont pas les moyens. Du coup, ils n’entreprennent aucune démarche et, de facto, n’ont pas accès à la Justice. C’est notamment la raison d’être des permanences juridiques gratuites en mairie que de faire savoir à chacun qu’il peut avoir effectivement accès au Droit et à la Justice.

Nonfiction.fr – Personnellement, qu’est-ce qui motive les avocats qui, comme vous, participent à cette mission ?

Julien Autin Pour ma part, j’aime assez partir à la rencontre de nouvelles personnes et d’essayer, dans la mesure du possible, de dénouer leur(s) problème(s). Il y a là un côté social et humain que j’apprécie.  A cela, s’ajoute un certain goût du challenge car c’est toujours une épreuve que de devoir répondre aux multiples questions posées par des interlocuteurs qui s’enchainent. Enfin, cet exercice me permet de me confronter moi-même à l’étendue de mes connaissances, ce qui n’est jamais un mal

Propos recueillis par Pierre-Henri Ortiz
 

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