Invité à intervenir auprès d’étudiants en littérature à l’université British Columbia de Vancouver, le romancier Glen David Gold voulait, comme il l’écrit sur le blog du Los Angeles Review of Books, leur faire part du meilleur conseil qu’on ne lui a jamais donné : " Cultive tes amitiés littéraires, mais pour l’amour de Dieu, ne les laisse jamais se transformer en transactions ".

Mais contrairement à son ancien professeur dont il transmet la sagesse, il doute de l’effet fulgurant de cette maxime. Comment, alors, se dit-il, faire comprendre à des aspirants écrivains bercés d’illusions, que le monde dans lequel ils vont graviter, une fois publiés, ressemble à un « aquarium à poisson rouge empli d’ambitions déçues »   rassemblant critiques, éditeurs et auteurs « tirant brillamment au révolver la listes des signes de leur pouvoir, de leur rang, et de leur soutiens » ? Comment leur expliquer le caractère trouble des relations qu’ils noueront avec leurs semblables, et la finesse de la démarcation qui existe entre l’entraide et la transaction ?

Glen David Gold décide donc de personnifier la maxime et la change en apologue. Il préfère ainsi raconter l’histoire de la lettre envoyée par William Faulkner à une jeune écrivaine, Joan Williams, qui, au nom de leur relation passée, lui demandait d’écrire une critique sur son premier roman. Sans surprise, la réponse est négative. Avançant petit à petit dans la lecture de la missive, le romancier égrène les contresens et explicite les intentions cachées du Prix Nobel de littérature.

Car le refus de William Faulkner, contrairement à ce que semble indiquer le ton parfois acerbe de la lettre, est un cadeau. Il n’écrit pas la critique demandée, non parce qu’il est vexé que son ancienne maîtresse souhaite utiliser son aura pour se créer un public. Son refus ne s’explique pas non plus par la piètre estime qu’il aurait du travail de Joan Williams, même s’il lui conseille d’écrire à nouveau (et mieux). S’il ne rédige pas de critique, c’est parce qu’il souhaite que le livre de son ancienne protégée existe pour lui-même et non pour avoir été encensé par un écrivain au faîte de sa gloire.

La maxime initiale prend alors elle-même une profondeur qu’elle ne semblait pas avoir au premier abord. " Ne laisse jamais tes amitiés littéraires se transformer en transaction "  n’est pas une injonction morale. C’est un conseil pragmatique : si tu veux la gloire, la vraie, prends garde à ce que ton succès ne doive rien à tes relations